Quel plaisir de constater que l’opérette fait toujours partie de la programmation des festivals d’été !
Dans le magnifique écrin Belle Epoque du théâtre du Casino Grand Cercle d’Aix-les-Bains, l’un des plus purs joyaux de l’opéra-bouffe du Second Empire rallie les suffrages et les cœurs grâce en particulier à Valentine Lemercier, chanteuse-actrice de grande classe pour laquelle on est prêt à repartir pour la Guerre de Troie !
Une production qui s’inscrit dans le cadre d’une nouvelle forme de festival
Comme Estelle Danvers, nouvelle directrice de la manifestation, l’a confié à Opéra magazine [1], Aix-les-Bains a décidé de renouveler quelque peu la formule attendue d’une succession de spectacles en inscrivant l’édition 2023 du festival autour d’un thème intitulé « Un été avec Offenbach ! » centré autour de la personnalité si diverse du « petit Mozart des Champs-Elysées » (l’homme, le violoncelliste, le compositeur…) et de l’environnement musical qui était le sien (conférence sur Hervé, père de l’Opérette en France). De fait, en parallèle des concerts, la maîtresse des lieux souhaite vivement qu’une activité festivalière – pouvant être constituée de conférences, de cabarets musicaux… – se mette en place non seulement au théâtre du Casino mais également dans les musées et le théâtre de verdure de la ville. Dans les prochaines éditions, le nombre de productions pourrait ainsi être multiplié… et l’idée d’une saison d’hiver pourrait également faire son chemin. On le souhaite vivement, tout comme d’ailleurs Eve Ruggieri, marraine d’honneur de cette trente-quatrième édition [2], qui a visiblement été conquise par les lieux et par la qualité de la programmation, comme elle l’a fait savoir au public et aux édiles locaux réunis lors de la Première de cette Belle Hélène !
Une Belle Hélène qui fait le plein de bonne humeur et de qualités artistiques
Salle comble en cette chaude soirée estivale pour accueillir cette Belle Hélène aux allures de véritable péplum déjanté !
Dans un décor qui joue la carte de l’efficacité et du mélange des genres entre péplum et modernité – n’oubliant pas au passage quelques projections en fond de scène – l’œil du spectateur se promène d’une place de Sparte, où l’on peut admirer le fronton du temple de Zeus, jusqu’aux plages de Nauplie où, pour un peu, on se prendrait à vouloir aller toucher le sable et goûter l’eau de la mer Egée, en passant par le passage obligé de la salle de bain d’Hélène où la statuaire n’est pas absente ni le cygne paternel de notre héroïne – tout de même fille d’un drôle d’oiseau ! – qui quittera la scène, enlevée par Pâris, sur la croupe d’un magnifique cheval blanc ! Cette production de La Belle Hélène trouve, de fait, dans la mise en scène de Jean-François Vinciguerra un excellent vecteur pour montrer que l’humour parfois si corrosif du texte de Meilhac et Halévy peut, au-delà des références désormais peu compréhensibles à la vie politique et sociale du règne de Napoléon III, ravir les spectateurs d’aujourd’hui, y compris ceux qui, lors de cette soirée, paraissent les moins habitués à l’univers d’Offenbach ! Ici, grâce à la scénographie et aux indications du metteur en scène, tout fonctionne dans le respect de la partition et d’un comique qui évite toujours l’écueil du graveleux et de la lourdeur pour prendre par contre, lorsque le personnage s’y prête, le judicieux parti du théâtre de boulevard : cela nous vaut ainsi, en particulier dès l’entrée en scène d’Hélène, de désopilantes phrases et une prosodie que l’on croirait tout droit sorti de « Folle Amanda » ou de « Joyeuses Pâques » !
Il est indispensable, à ce stade, d’associer au succès de cette entreprise les costumes signés de l’incontournable maison Grout, qui mêlent avec un égal bonheur le goût de l’antique – si prisé encore sous le Second Empire -, la mode des années 1970 et…les peignoirs de bain des centres de thalasso de la petite station savoyarde !
On pouvait se douter que, venant du monde de la danse classique, Estelle Danvers utiliserait au mieux les artistes du ballet de la compagnie Lychore qu’elle dirige : évoluant par touches successives leur permettant de se mêler au chœur et aux interprètes principaux, les dix danseurs et danseuses réunis apportent, dès la scène d’introduction, un élégant et gracieux supplément de souffle antique et méditerranéen dans un ouvrage où règne tout de même l’esprit des fêtes d’Adonis !
Si le chœur, composé d’un effectif de vingt-trois membres pour l’essentiel amateurs, relève particulièrement bien les défis d’une partition où sa présence est quasi omni-présente sur le plateau, et ce dès l’introduction (« Vers tes autels, Jupin »), on est moins convaincu par la prestation de la formation orchestrale réunie – et composée de seize musiciens professeurs des conservatoires régionaux – qui, placée sous la direction experte de Bruno Conti, ne trouve pas toujours, dans la désormais incontournable édition Keck, matière à exprimer toutes les exigences d’une partition-pastiche où il faut, dans un savant dosage, se montrer léger comme une bulle de champagne mais faire entendre, dans le même temps, la musique des grands maîtres de l’Europe musicale contemporaine, de Rossini à Gounod, en se payant même le luxe de faire arriver la colombe de Vénus sur les accords du cygne de Lohengrin !
Côté vocal, la distribution réunie relève dans l’ensemble le défi de l’homogénéité puisqu’il n’y a pas vraiment ici de « seconds » rôles ! Que de difficultés dans l’art du phrasé et de la projection pour ces rois, fils de rois et autres représentants de la Cléricature … : D’Olivier Grand (vigoureux Agamemnon) aux deux Ajax de Nicolas Grumel et Thierry Mulot, amusants à souhait, en passant par Yvan Rebeyrol (bouillant Achille), Thomas Morris (Ménélas hilarant dans sa tenue de tennisman cornu !) et bien évidemment Jean-François Vinciguerra (désopilant en Calchas aux faux airs de Jean Yanne !), l’ensemble de l’aréopage parvient à faire rire en évitant de sombrer dans la vulgarité. Comme c’est souvent le cas dans cet ouvrage, le cortège des rois puis le trio patriotique « Lorsque la Grèce est un champ de carnage » recueillent les faveurs du public et font un tabac !
Mention spéciale à l’Oreste d’Alfred Bironien, ténor à la voix solide qui dans ce rôle de fils à papa, bien entouré de jolies filles, trouve matière à exprimer une verve comique constamment décalée qui nous ravit.
Découverte pour nous que celle du Pâris de Blaise Rantoanina : ce jeune ténor à la voix légère, originaire de Madagascar, révélation classique de l’ADAMI en 2016, a été membre de la troupe de l’Opéra de Trèves et interprète déjà un certain nombre de grands rôles (Fenton, Ferrando, Don Ottavio…). Si la vaillance dans les aigus de l’air d’entrée « Au mont Ida » est bien au rendez-vous et que l’on a plaisir à entendre la berceuse du deuxième acte, souvent coupée, l’interprète ne convainc pas totalement dans le duo du rêve ni dans son « Je suis Pâris ! » final. Un ténor à suivre cependant.
Si Valentine Lemercier avait déjà eu l’occasion d’interpréter Hélène lors d’un remplacement à l’Opéra de Nancy en 2018, le travail effectué ici avec le metteur en scène, d’une façon forcément plus aboutie, permet d’assister à une véritable prise de rôle de belle envergure. Vocalement, Valentine Lemercier donne à entendre, dès ses couplets d’entrée – « Amours divins » – une voix égale sur tout l’ambitus avec en particulier un médium charnu et de belles couleurs particulièrement remarquables dans une « invocation à Vénus » de grand style. En outre, dans les ensembles de fin d’acte, particulièrement opératiques – « Les dieux décrètent par ma voix » à l’acte I; « Va-t’en, va-t’en, mon amour te suivra ! » à l’acte II -, la voix se projette parfaitement et montre toute son ampleur. Scéniquement, en outre, l’interprète casse la baraque ! Usant, sur les conseils du metteur en scène, d’un exceptionnel accent « so british » pour prononcer le nom de la déesse « Venus » – la mode de l’anglomanie est toujours bien présente au xixe siècle dans le grand monde des beaux quartiers ! -, cette Hélène promène sur scène son ennui et cette oisiveté bourgeoise qui, du drapé de la robe au postiche sculptural de la blonde chevelure, en font une incarnation de tout premier plan qu’il sera urgent de réentendre !
Pour l’heure, longue vie au nouveau festival lyrique d’Aix-les-Bains !
[1] Opéra magazine, n°194 juillet-août 2023.
[2] La célèbre productrice de radio et de télévision a consacré une causerie à « Hortense Schneider, la diva d’Offenbach » au théâtre du Casino le 21 juillet.
Hélène : Valentine Lemercier
Parthénis : Anaïs Suchet
Léœna : Marie Gibaud
Pâris : Blaise Rantoanina
Ménélas : Thomas Morris
Calchas (et Bacchis, suivante d’Hélène aussi !) : Jean-François Vinciguerra
Agamemnon : Olivier Grand
Oreste : Alfred Bironien
Achille : Yvan Rebeyrol
Ajax I : Nicolas Grumel
Ajax II : Thierry Mulot
Philocôme, serviteur de Calchas : Frédéric Duparcq
Chœur et orchestre du festival lyrique, dir. Bruno Conti
Mise en scène : Jean-François Vinciguerra
Costumes : Maison Grout
Chorégraphie : Estelle Danvers
La Belle Hélène
Opéra-bouffe en trois actes de Jacques Offenbach, livret d’Henri Meilhac et de Ludovic Halévy, créé au théâtre des Variétés, Paris, le 17 décembre 1864.
Festival lyrique d’Aix-les-Bains, représentation du samedi 22 juillet 2023.