Pas un… mais trois Papageno (et une quasi Reine de la Nuit) !
Le chef Enrico Pagano et une troupe de jeunes chanteurs (pour la plupart issus de l’Accademia di Belcanto) permettent de redécouvrir les très beaux UCCELLATORI de Florian Gassmann (1759) dans un spectacle fort réussi scéniquement.
La dernière des productions programmées au Festival della Valle d’Itria est un titre du XVIIIe siècle de Florian Gassmann, compositeur autrichien se situant entre baroque et classicisme, dont le livret est fourni par Li uccellatori de Carlo Goldoni. L’œuvre a été créée en 1759 au Teatro San Moisé de Venise, mais sa partition manuscrite n’a été redécouverte que récemment, à Vienne, où l’opéra avait été donné en 1768. L’histoire est basée sur les démêlés amoureux entre un couple de nobles sérieux (le marquis Riccardo et la comtesse Armelinda) et un groupe de comiques composé de trois chasseurs d’oiseaux (Cecco, Pierotto et Toniolo) et de deux servantes (Roccolina et Mariannina), au sein duquel Cecco se trouve convoité par les trois femmes.
À l’aube, les oiseleurs Pierotto, Cecco et Toniolo sont prêts à partir à la chasse lorsqu’ils sont rejoints par les deux servantes Mariannina et Roccolina, avec lesquelles ils échangent des salutations et des regards langoureux. Amoureuses mais méfiantes l’une envers l’autre, les jeunes filles préfèrent garder secret leur amour. Cependant, la comtesse Armelinda rejette les offres amoureuses du marquis Riccardo : son cœur est en effet rongé par un sentiment inavouable, envers quelqu’un qui n’est pas son égal mais appartient à une classe inférieure, Cecco. Objet du désir de trois femmes différentes, l’oiseleur se retrouvera malgré lui à devoir déjouer un attentat meurtrier contre lui et à assister à un procès fictif, dont le juge et le notaire ne sont autres que les deux servantes rivales travesties. Après renoncements et repentirs, accès de colère et escarmouches amoureuses, le lieto fine consacrera, une fois de plus, le rétablissement de l’équilibre social et érotique.
Après avoir surmonté un certain agacement face au sujet – la chasse de malheureux oiseaux finissant dans la poêle à frire… -, on apprécie le texte plein d’esprit de Goldoni dans lequel les chasseurs et les chassés sont les humains eux-mêmes dans un jeu d’escarmouches amoureuses entre classes sociales différentes : la comtesse se déclare amoureuse du roturier Cecco sans être pour autant une Lady Chatterley perdue par son amour pour son garde-chasse ; il s’agit plutôt d’une noble qui s’ennuie et qui se rend vite compte de l’inconvenance de sa relation (« Vo facendo il precipizio mio| Che rossor, che vergogna | amare un uom sì vile ») et reprend une relation socialement acceptable en acceptant la cour du marquis jusqu’alors maltraité : « Se il Marchese | tornasse a supplicarmi, | forse all’affetto suo potrei piegarmi ». Au finale, telle est la morale de l’histoire : « Vive le dieu de l’amour, | oiseleur émérite | qui excelle à chasser | les cœurs aimants ».
Les personnages nobles utilisent un vocabulaire sophistiqué et chantent dans le style virtuose de l’opera seria, et aux personnages populaires reviennent des pages comiques exprimant les pulsions érotiques avec une vitalité simple. La musique de Gassmann se plaît à rappeler les oiseaux en imitant, par les hautbois et les violons, les cris de la caille dans l’air de Pierotto. Mais les oiseaux sont en fait les véritables protagonistes dès la symphonie tripartite avec les volutes des flûtes dans le premier mouvement, ou encore les solos des hautbois répondant à ceux des cors dans le troisième. Des figures onomatopéiques imitant les gazouillis sont disséminées dans tout l’opéra et forment une « musique de scène » s’inscrivant dans un dispositif de scène scénique cohérent, réalisé avec une élégance minimaliste par la metteuse en scène Jean Renshaw au Teatro Verdi. Les différents espaces ouverts – place avec maisons rustiques et forêt au premier acte ; jardin et campagne parsemés de cabanes au deuxième ; forêt et campagne au troisième – sont ici évoqués par Christof Cremer, qui conçoit également les beaux costumes, dans un décor fixe constituée d’une table inclinée avec une trappe et de quelques autres éléments scéniques. La présence de la danseuse Emanuela Boldetti – Renshaw n’oublie pas qu’elle était chorégraphe – rappelle, avec ses éventails, les ailes des oiseaux et, par ses mouvements gracieux, ponctue les moments instrumentaux ou participe discrètement à l’action.
Enrico Pagano, à la tête de l’Orchestra ICO della Magna Grecia, interprète avec précision et goût une musique qui anticipe dans certaines pages celles écrites plus tard par Mozart, en particulier le premier air de la Contessa qui semble annoncer celui de Donna Anna. Le jeune chef romain, né en 1995, s’est déjà fait un nom en tant qu’expert du genre, et parvient en effet à entraîner l’ensemble instrumental, pour la première fois engagé dans ce répertoire, dans un flux musical porté par un style idoine et d’où se détachent finement certaines interventions instrumentales. La partition, comme celles de cette époque, est dépourvue d’indications et c’est ici l’inventivité de l’interprète qui donne vie à ce qui, dans bien des cas, est à peine esquissé et pourrait varier à chaque reprise : un canevas à adapter à de nouveaux théâtres, de nouveaux chanteurs, de nouveaux orchestres.
Presque tous les interprètes sont issus du projet de l’Accademia di Belcanto, et pas moins de quatre d’entre eux montent sur scène pour la première fois, mais on ne s’en rend guère compte tant les jeunes chanteurs font preuve d’une présence scénique décontractée. On a dit que le rôle de la Comtesse anticipe celui de la Donna Anna mozartienne, mais ici, l’Islandaise Bryndis Gudjónsdóttir, avec son tempérament et son instrument vocal généreux (même trop pour un théâtre minuscule comme celui de Martina Franca !), rappelle presque davantage la Reine de la Nuit lorsqu’elle attaque vigoureusement l’air « Palpitare il cor mi sento », ponctué de notes aiguës vigoureuses. Le rôle du marquis est empreint d’une agilité qui, par le passé, a conduit à confier le rôle à une mezzo-soprano ou à un contre-ténor, mais ici, le ténor Massimo Frigato parvient à assumer la virtuosité requise par son aria di furore « Fremo d’amor, di sdegno ». Dans le camp des « comiques », les voix masculines l’emportent en qualité sur les voix féminines : en Cecco, on admire la finesse du timbre et la présence galante du baryton Elia Colombotto ; en Pierotto, l’enthousiasme et l’assurance vocale de la basse Huigang Liu ; et en Toniolo, la présence affirmée du ténor Joan Folqué. Vifs et dynamiques sont les personnages des servantes confiés à Justina Vaitkute (Roccolina), mezzo-soprano prometteuse, et Angelica Disanto, Mariannina pleine d’allant.
Un public peu nombreux mais non avare d’applaudissements a salué la performance réussie de ces jeunes interprètes et du chef d’orchestre – de même que la découverte de ce joyau du XVIIIe siècle, l’un des nombreux attendant encore d’être mis au jour…
Artistes de l’Accademia du Belcanto “Rodolfo Celletti” 2023
La Contessa Armelinda : Bryndis Gudjónsdóttir
Il Marchese Riccardo : Massimo Frigato
Roccolina : Justina Vaitkute
Cecco : Elia Colombotto
Mariannina : Angelica Disanto
Pierotto : Huigang Liu
Toniolo : Joan Folqué
Orchestra ICO della Magna Grecia, dir. Enrico Pagano
Mise en scène : Jean Renshaw
Décors et costumes : Christof Cremer
Lumières : Pietro Sperduti
Gli Uccellatori
Dramma giocoso en trois actes de Florian Leopold Gassmann, livret de Carlo Goldoni, créé à Venise en 1759. Révision de Martina Grempler et Ingrid Schraffl.
Festival della valle d’Itria. Palazzo ducale, Martina Franca, représentation du mercredi 2 août 2023.