Tandis que s’achève l’été des festivals et que les lyricomanes cornent déjà les pages de leurs agendas aux dates des premiers spectacles de la nouvelle saison, la Cité de la Voix conviait les amateurs de flâneries musicales aux lisières du massif morvandiau du 24 au 27 août pour un long week-end de festivités. Pour cette 23e édition des Rencontres musicales de Vézelay, le directeur François Delagoutte a concocté une programmation mêlant toutes les musiques et destinée à tous les publics. Le webmagazine Première Loge était présent le premier des quatre jours de ce festival en terres bourguignonnes.
La musique en partage
Les Rencontres musicales ne sauraient cependant se réduire aux deux concerts payants quotidiens. Le charme et la magie de Vézelay tient tout autant aux déambulations, aux petits-déjeuners musicaux, aux ateliers danse et aux séances de Qi Gong en musique qui ponctuent l’ensemble du week-end et permettent aux festivaliers de vivre l’expérience inédite de 72 heures de musique quasiment ininterrompues !
Au cours de notre présence à Vézelay, outre le concert des Paladins et la Passion à la basilique, l’opportunité nous a été offerte d’assister à trois de ces moments informels (et gratuits) qui sont des parenthèses enchantées et des moments de communion musicale précieux.
Jeudi 24 août, à 17h, la terrasse de Vézelay accueillait sur une scène en plein air l’hommage à la chanteuse chilienne Violeta Parra concocté par Emiliano Gonzalez Toro et une petite formation musicale de musique traditionnelle latino-américaine. Le talent de ce ténor genevois ne se résume effectivement pas à ses nombreuses collaborations avec Michel Corboz, Marc Minkowski et Christophe Rousset, aux concerts de la formation I Gemelli qu’il a fondée en 2019 ni à un enregistrement remarqué de L’Orfeo de Monteverdi. De ses origines chiliennes, Emiliano Gonzalez Toro a aussi hérité du goût pour le répertoire populaire sud-américain et c’est celui de la légendaire Violeta Parra – chanteuse et peintre chilienne qui a énormément tourné en France et dans une partie de l’Europe pendant les années 1960 – qu’il souhaitait partager au public des Rencontres musicales après l’avoir enregistré en 2019.
Entouré de son père Pancho Gonzalez, de deux chanteuses et de quelques instrumentistes (piano, trompette, contrebasse et percussions), Emiliano Gonzales Toro esquisse en une dizaine de titres le portrait d’une chanteuse populaire qui a collecté au gré de ses voyages de nombreux titres du folklore traditionnel chilien et qui s’est même essayé à l’écriture en français au cours de son long séjour parisien en 1961-1964. Le timbre velouté et le chant legato du ténor font merveille dans ce répertoire dont on retiendra principalement les titres « La jardinera », « Une Chilienne à Paris » qui retrace avec beaucoup d’humour l’arrivée de Violeta Parra en France et « Gracias a la vida » qui offre l’occasion à chaque musicien de montrer sa virtuosité et de vibrer au timbre solaire de la chanteuse Paloma Pradal. Ce dernier titre, interprété sous un ciel obscurci et accompagné des roulements du tonnerre, a conquis le public et valu aux artistes une standing ovation.
Le lendemain matin, dès potron-minet, Emiliano Gonzalez Toro assurait encore le petit-déjeuner en musique au cours duquel les festivaliers peuvent déguster des viennoiseries et siroter un café tout en assistant de manière informelle à un moment de concert privilégié à proximité immédiate des artistes. Initialement prévu dans la roseraie du manoir de Val en Sel mais perturbé par la pluie, ce petit-déjeuner musical s’est finalement déroulé sous le narthex de l’église du village de Saint-Père, sous les arcades gothiques, ciselées comme des ivoires de Chine, de la plus ravissante église du Parc Naturel Régional du Morvan. Accompagné de son père et d’un guitariste, le ténor d’origine chilienne a partagé au gré de ses envies avec le public quelques standards latino-américains comme « Guantanamera » repris en cœur avec les spectateurs dans un joli moment de complicité musicale.
Le soleil étant revenu sur la colline de Vézelay, le concert apéritif du vendredi 25 août a réuni une foule nombreuse sur la terrasse de la basilique à partir de midi pour écouter les Têtes de Chien, une formation de quatre artistes venus tout à la fois de la variété, du théâtre et de l’opéra pour réinterpréter a capella dans de savantes polyphonies les titres intemporels du répertoire populaire français. Le principe du concert aux chapeaux est simple : les Têtes de Chien ont inscrit sur des papiers l’ensemble des titres de leur répertoire et les ont classés dans cinq couvre-chefs : un borsalino rose pour les chansons licencieuses, un chapeau vert pour les faits-divers, un casque de chantier pour les mélodies revendicatrices, etc. Les spectateurs ne savent donc pas ce qu’ils vont entendre et les artistes découvrent ce qu’ils vont chanter parmi les millions de combinaisons possibles de ce tirage-au-sort aléatoire.
Très rapidement, les festivaliers de Vézelay se prennent au jeu et lèvent la main pour participer à l’élaboration du concert qui, le temps d’une heure, alterne ainsi une quinzaine de chansons, certaines connues de tous (« À la claire fontaine », « Auprès de ma blonde », « Dans les prisons de Nantes » …) et d’autres beaucoup moins ! Parmi ces titres méconnus, on retiendra notamment l’irrésistible quoique scatologique « Mère Godichon », la mélodie cynégétique du « Cerf pris pour une biche » et, surtout, la tendre ballade « À Gennevilliers » susurrée d’une voix de velours par Grégory Veux.
"A la claire fontaine", par Têtes de Chein
Mais ce que l’on retiendra surtout de ce concert apéritif, c’est l’étonnante modernité du chant a capella et la capacité de Philippe Bellet, Henri Costa, Justin Bonnet et Grégory Veux à marier leurs voix en des polyphonies subtiles qui permettent de redécouvrir des mélodies enfouies au fond de nos mémoires d’enfant et d’exhumer tout un répertoire de chansons dont les paroles tantôt triviales, tantôt libidineuses, tranchent singulièrement avec le vocabulaire neutre et châtié des compositions contemporaines.
Vingt-quatre heures aux Rencontres musicales de Vézelay permettent déjà de goûter au travail de programmation réalisé par la Cité de la Voix mais c’est véritablement sur la durée de tout le week-end que s’apprécie l’ambition de François Delagoutte et l’originalité de ce festival de fin d’été. Rendez-vous est déjà pris : Première Loge sera là pour l’édition 2024 !
Hommage à Violeta Parra
Emiliano Gonzalez Toro, Pancho Gonzalez, Paloma Pradal
Petit -déjeuner en musique
Emiliano Gonzalez Toro, Pancho Gonzalez
Concert apéritif
Têtes de chien
Hommage à Violeta Para
Petit-déjeuner en musique
« Concert apéritif » des Têtes de Chien
Concerts de 24 et 25 août 2023, Rencontres musicales de Vézelay