Un Werther porté par de grands interprètes, mais à la mise en scène peut-être un peu trop classique…
En Italie se multiplient depuis plusieurs mois les protestations du monde de la musique contre les premières propositions de la nouvelle convention collective nationale ; le 17 octobre, une première grève très suivie avait entraîné le boycott des premières dans 13 maisons d’opéra à travers le pays. À l’Opera de Gênes, une nouvelle grève, le 17 novembre, a occasionné l’annulation de la première de Werther, seconde production de la saison. Après le Songe onirique qui avait ouvert la saison de façon fracassante dans la capitale de la Ligurie, le Carlo Felice rentre dans le rang avec un Werther porté par de grands interprètes, mais à la mise en scène un peu trop classique à notre goût.
Dante Ferretti, très reconnu dans le milieu du cinéma pour ses scénographies, se montre ici assez peu ambitieux, ce qui met parfois en péril l’efficacité du drame. Il choisit de situer Werther dans l’Allemagne des années trente, sans qu’on en comprenne bien la raison, hormis l’efficacité visuelle des costumes et des décors qui rappellent parfois des tableaux d’Edward Hopper. Elégante et de grande qualité, la scénographie pèche cependant par un excès de réalisme qui accentue la dimension déjà très didascalique du livret, et en dévoile les faiblesses au lieu de les masquer. Dans le premier tableau, par exemple, les chorégraphies semblent superficielles et ne parviennent pas à rendre la chaleureuse atmosphère familiale de la maison du bailli, et encore moins – malgré la peinture en fond – le bucolique air d’entrée de Werther, élégie sur la nature qui l’entoure.
De même, les déplacements des personnages, trop littéralement accolés aux dialogues, en semblent parfois artificiels, que ce soit pour les personnages d’arrière-plan ou pour les personnages principaux. Cependant, le dernier acte, par sa noirceur, son dépouillement et sa force visuelle, parvient in fine à déjouer ce qui peut sembler exagéré ou artificiel – osons le mot : vieilli – dans le livret de l’opéra de Massenet, et fait ressortir à merveille les émotions dramatiques de la partition. Les ombres qui passent en arrière-plan pendant les dernières scènes, évoquant à la fois une promenade familiale, une retraite aux flambeaux et une marche funèbre, créent un effet saisissant, doublant sans la répéter la dichotomie de la partition entre les chants de Noel des enfants et le chant d’agonie de Werther.
Le chef Donato Renzetti continue avec l’orchestre du Carlo Felice la série de trois spectacles, débutée avec la saison, qui le mènera jusqu’à la fin de l’année 2023. Il rend avec merveille les différents registres de la pièce de Massenet, de la légèreté des passages comiques aux grandes respirations lyriques et dramatiques qui scellent le destin de Werther et Charlotte. Saluons particulièrement les violoncelles, bien entendu, qui accompagnent le personnage principal tout au long de la pièce, et les différents solistes, notamment la flûte et le furtif mais étonnant saxophone.
C’est en effet grâce aux musiciens que le spectacle est malgré tout d’une grande force : l’orchestre et bien entendu les chanteurs. Le duo principal se montre exceptionnel. Jean-François Borras, spécialiste du répertoire français et en particulier Werther, domine le plateau masculin par son ténor délicat, au phrasé très coloré et expressif, mais également très puissant, ne reculant pas devant les prises de risque vocales, malgré son habitude de ce répertoire, provoquant ainsi l’émotion du public.
Caterina Piva, en Charlotte, déploie un mezzo lyrique très homogène, expressif et puissant, avec une articulation quasi parfaite du français. Ses qualités dramatiques certaines sont malheureusement desservies par la mise en scène trop littérale. Les scènes de tendresse avec sa sœur Sophie sont particulièrement réussies, notamment par la belle complémentarité de leur jeu et de leurs timbres. Hélène Carpentier, en effet, interprète de sa voix lumineuse et agile une Sophie dont la joie extrême masque aussi une forme d’angoisse et de mélancolie, sensibles dans la cassure quasi imperceptible de certains fortissimi, d’une bouleversante vérité. Pour clôturer le quatuor, le baryton Jérôme Boutillier campe avec efficacité un Albert inquiétant, dont la voix sombre et ferme tranche avec le phrasé sinueux de Werther.
Un spectacle, donc, d’une indiscutable bonne facture et très applaudi. Il est clair que l’opéra doit proposer des spectacles pour toutes les sensibilités, y compris les plus classiques. On comprend la logique qui a poussé à proposer une œuvre canonique dans une scénographie traditionnelle, entre un Britten onirique (en octobre) et une création contemporains sur Edith Piaf (à venir en décembre). Mais Werther, déjà taclé de romantisme tardif lors de sa création, n’est-il pas un opéra qui nécessite des prises de risque pour continuer à être vivant ?
Werther : Jean-François Borras
Charlotte : Caterina Piva
Albert : Jérôme Boutillier
Sophie : Hélène Carpentier
Le Bailli : Armando Gabba
Schmidt : Roberto Covatta
Johann : Marco Camastra
Brühlmann : Emilio Cesar Leonelli
Kätchen : Daniela Aloisi
Solistes du chœur d’enfants
Maria Guano, Leonardo Loi, Nicoletta Storace, Erica Giordano, Denise Colla, Sofia Macciò, Lucilla Romano, Alice Manara, Giulia Nastase, Vittoria Trapasso
Directeur d’orchestre : Donato Renzetti
Mise en scène : Dante Ferretti
Lumières :Daniele Nannuzzi
Werher
Drame lyrique en quatre actes de Jules Massenet sur un livret d’Edouard Blau, Paul Milliet et Georges Hartmann, tiré du roman Les Souffrances du jeune Werther de Goethe, créé le 16 février 1892 à la Wiener Staatsoper, Vienne, Autriche.
Nouvelle mise en scène de la Fondation Teatro Carlo Felice en collaboration avec le HNK – Théâtre national croate de Zagreb
Représentation du 24 novembre 2023.