La Traviata de Verdi revisitée par Simon Stone à l’Opéra de Paris est une expérience étonnante, ludique et décadente. Si l’audace de la vision du metteur en scène peut surprendre, la force de conviction des interprètes remporte la mise avec une Nadine Sierra touchant au sublime.
Mort De Rire
Cette Traviata commençait bien mal ou plutôt, elle débutait plus que péniblement. À voir ce déferlement de posts Instagram, de sms, de mails projetés sur écran géant, le tout agrémenté de petits gloussements de rires dans la salle, on s’attendait au pire. Et bien, on a été déçu et, si on a pleuré, c’était surtout d’émotion.
Chez Simon Stone, Violetta est une influenceuse bien de nos jours. Elle poste toute sa vie sur les réseaux sociaux, elle a des milliers d’abonnés, elle est l’égérie d’un grand parfum, elle boit du jus de céleri, les gens l’adorent. Tout chez elle n’est que joie, luxe et volupté. Pendant le prélude du premier acte, rien ne nous sera épargné des aventures de la star en gros plans. La belle vie, quoi ! Oui mais, en fait, pas vraiment, LOL. Enfin, pas LOL. Plutôt gloups. Sa mutuelle-santé lui envoie des mails. Elle doit faire des examens médicaux de toute urgence. Son cancer récidive…
Pas question de phtisie en 2024. (Ni même en 2019 à la création du spectacle). Marqueur social au XIXe siècle, la tuberculose ne fait plus recette de nos jours, enfin, dans nos imaginaires contemporains. Alors va pour le cancer. Et puis, on rompt par sms à la place de courrier manuscrit, on joue au poker en ligne mais on a quand même les poches pleines de billets à balancer à la figure de l’être aimé et on se réfugie à la campagne pour fouler du raisin aux pieds dans un baquet en bois et réparer des vieux tracteurs. Ah, ces néoruraux !!! Il nous semble même qu’il y avait une vache sur scène à la création du spectacle. Tout cela pourrait prêter à sourire et même à rire et pourtant, ça fonctionne bien et même très bien. Sous un effet LOL criard, c’est bien un drame humain de l’intime qui se joue.
La scénographie de Simon Stone tourne autour d’une tournette sur laquelle s’ouvrent et se referment des écrans en forme de livres ouverts qui nous racontent les affres, les tourments et les émotions de Violetta. Déferlent donc les textos, les photos et même les relevés de compte bien dans le rouge. Avouons-le, par moment nous est venu le besoin de fermer les yeux pour laisser place à la musique. Il n’empêche que la satire sociale dépeinte par Verdi est bel et bien là. Consumérisme, cynisme, m’as-tu-vu-isme… La liste est longue. Les fêtes se veulent trans-gressives (costumes efficaces et marquants d’Alice Babidge) et les attitudes faussement légères. Alors oui, déclarer son amour entre deux poubelles ou manger un kebab en faisant un contre mi-bémol, ça pourrait choquer. Mais, nous n’en sommes plus vraiment à ça près en 2024, non ?
Moment D’opéra Rare
Avec un autre casting aux personnalités moins fortes, la mise en scène de Simon Stone aurait pu tourner court. Cet après-midi, la distribution vocale a touché au sublime et a fait souffler un vent d’émotions et de splendeurs lyriques sur scène et dans la salle.
Nous cherchons encore nos mots pour exprimer notre admiration pour l’incarnation magistrale de Nadine Sierra en Violetta. Merci, Madame, de nous avoir fait pleurer pour la première fois à l’opéra. Que cet « Addio, del passato… » était puissamment émouvant !!! La maîtrise de la voix de la soprano nous laisse pantois. Longueur de souffle, vocalises, couleurs, nuances, aigus, allègements de la ligne, tout est là comme attendu. Il y a aussi ces notes tenues qui dépassent avec subtilité et qui font le bonheur de tout amateur d’art lyrique. La diva refait surface juste quand il faut sans jamais sacrifier le personnage au numéro vocal. Du grand art !!! Prouvons tout de même que l’émotion ne nous aura pas fait perdre tout objectivité et notons donc un contre-mi bémol un peu trop préparé, des attaques légèrement gutturales que nous ne connaissions pas chez la soprano et des effets parlando mettant parfois à mal la fusion des registres. Pour le reste, c’était parfait.
René Barbera est un Alfredo Germont à la hauteur de sa partenaire. Si le ténor américano-mexicain dresse un portait vocal plus que convaincant du jeune amoureux, c’est surtout son incarnation du personnage qui touche au cœur. Bonhomme, tendre, sensible, juste, voilà un jeune homme qui ne mérite pas son malheur. Le chanteur est à l’avenant avec une maîtrise subtile de la ligne, un vrai sens des nuances et des aigus soutenus. Le couple qu’il forme avec Nadine Sierra est magique et magnifique.
Le Giorgio Germont de Ludovic Tézier est tout aussi convaincant. La voix est souveraine et le baryton nous a donné une grande leçon de beau et noble chant. Ce rôle de père autoritaire et sensible mais un rien monolithique lui va comme un gant.
Marine Chagnon est une Flora Bervoix à l’amitié sans faille et à la belle présence vocale. Cassandre Berthon est une Annina sensible et maternelle. Alejandro Balinas Vieites en Baron Douphol a de la graine de Germont père dans la voix et le Marchese d’Obigny de Florent Mbia à ce qu’il faut de prestance scénique et vocale pour faire oublier un accoutrement à la raideur phallique débordante. Vartan Gabrielian, Maciej Kwasnowski, Hyun-Jong Roh, Olivier Ayrault et Pierpaolo Palloni complètent cette distribution avec brio. Rarement nous a été donné d’entendre un cast si homogène et d’un tel niveau d’excellence.
Dans la fosse d’orchestre, la direction de Giacomo Sagripanti est un petit miracle d’intelligence et de dramatisme. Voilà un chef cultivé qui sait ce que c’est que de respirer avec les chanteurs et qui possède un vrai sens de la forme musicale narrative. Les contrechants instrumentaux sont savamment mis au en valeur, les lignes musicales sont ciselées avec ardeur et la partition donnée avec peu de coupures. L’Orchestre de l’Opéra de Paris est également à son meilleur, réagissant avec force et vigueur aux intentions du maestro. Le Chœur l’Opéra était parfait de précisions, de puissance et d’investissement scénique.
Une représentation débutant comme un LOLyrique et se terminant en MDR, un Moment D’opéra Rare. Très rare…
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Retrouvez nos interviews de Nadine Sierra et Ludovic Tézier ici et là !
Giacomo Sagripanti : direction musicale
Simon Stone : mise en scène
Bob Cousins : décors
Alice Babidge : costumes
James Farncombe: lumières
Zakk Heim : vidéos
Nadine Sierra : Violetta
René Barbera : Alfredo Germont
Ludovic Tézier : Giorgio Germont
Marine Chagnon : Flora Bervoix
Cassandre Berthon : Annina
Maciej Kwasnowski : Gastone
Alejandro Balinas Vieites : Il Barone Douphol
Vartan Gabrielian : Dottore Granvil
Florent Mbia : Il Marchese d’Obigny
Hyun-Jong Roh : Giuseppe
Olivier Ayrault : un domestico
Pierpaolo Palloni : un commissionario
La traviata
Opéra en trois actes de Giuseppe Verdi, livret de Francesco Maria Piave d’après le roman d’Alexandre Dumas fils La Dame aux camélias, créé au Teatro La Fenice de Venise le 6 mars 1853.
Opéra de Paris (Bastille), représentation du dimanche 21 janvier 2023, 14h30.
2 commentaires
Sacré Sagripanti qui dirige sans partition sa pléiade d’étoiles : Nadine, René, Ludovic. Le Paradis !!!
Public toujours indécrottable qui applaudit à tout va, même au milieu du premier air de Violetta, alors que tout le monde sait qu’il y a une cabalette, un des rares morceaux où par le passé il se tenait coi…