Le public du vaste Opéra Berlioz (2.100 places) plébiscite la Grande messe en ut de Mozart. En 1783, le cadeau de Wolfgang à sa jeune épouse Constance formait un condensé d’émotions, du tragique jusqu’à la jubilation. En 2024, le quatuor de jeunes solistes fait briller la jeune génération de chanteurs français.
Si la Grande Messe en ut (KV 427) demeure une œuvre inachevée pendant la prolifique période viennoise, les sources mozartiennes conservées permettent de la reconstituer en 1956 (version du musicologue H. C. Robbins Landon). Depuis lors, elle est devenue l’œuvre religieuse la plus courtisée de Mozart, après le Requiem. En effet, son intérêt est non seulement historique – assimilation de l’influence de J.-S. Bach et de G. F. Haendel au classicisme – mais aussi biographique et musical. En 1783, cette Messe est un cadeau offert à sa jeune épouse Constance Weber, en dehors de toute commande. Quant à sa richesse musicale, elle se décline en grandes pages chorales et en pièces pour solistes chanteurs qui s’émancipent du cadre sévère de l’office romain.
Faire-valoir pour le chœur de l’Opéra national de Montpellier, les fresques chorales vibrent dans l’acoustique de l’Opéra Berlioz (préparation de la cheffe, Noëlle Gény). Dès le Kyrie, une ampleur respire de belle manière (en ut mineur), ouvrant la voie aux émotions suivantes qui se hissent graduellement vers la lumière jupitérienne (ut majeur). La densité harmonique du Qui tollis est la parenthèse la plus tragique. Son parcours modulant surplombe l’ostinato rythmique de l’orchestre. A l’opposé, les doubles chœurs fugués du Sanctus et d’Hosanna sont pulsés avec une énergie sur-vitaminée par le chef Marc Korovitch (directeur musical de l’Orchestre du Monténégro), plus préoccupé de muscler l’interprétation dans une salle de concert – notamment les entrées de trompettes et trombones – que d’équilibrer les nuances et plans sonores.
Le raffinement provient toutefois des pièces avec les jeunes solistes qui distillent finement leurs contributions. La mezzo Séraphine Cotrez (carrière européenne depuis 2019) brille par l’aisance technique et la plénitude vocale dans son aria da capo (Laudamus te) avant de s’associer en duo avec la toute jeune Camille Chopin, soprano au timbre lumineux (minoré par quelques à-coups d’attaques aigües). Leur jeu d’échos (Grazias agimus tibi) résonne avec une grâce délicate. L’auditoire goûte au quatuor de solistes dans le Benedictus conclusif, d’une généreuse jubilation. Le timbre chaleureux de la basse Edwin Fardini (nommé parmi les Révélations Artiste lyrique des Victoires 2023) s’y fait entendre, tandis que le ténor Sahy Ratia tient sa partie, en retrait des consœurs et confrère. Auparavant, le moment de grâce a surgi de l’Et incarnatus est, pièce dans laquelle la soprano dialogue avec le trio flûte, hautbois et basson (solistes de l’Orchestre national). Le timbre flûté de Camille Chopin (Académie de l’Opéra-Comique, lauréate ADAMI) conquiert les cimes du registre tout en s’entremêlant à ses partenaires instrumentistes, aussi chambristes qu’elle. Un moment d’éternité à l’écoute de leur cadenza ! Lorsque les sources mentionnent le fait que Constance Mozart chantait la partie de soprano lors de la création de la Grande Messe, on devine quelle déclaration d’amour contient cette page sublime !
Ce concert plébiscite la présence mozartienne à l’Orchestre national de Montpellier, trois mois après le concert « Mozart, l’enfant prodige » que dirigeait Philippe Jaroussky.
Camille Chopin (soprano)
Séraphine Cotrez (mezzo soprano)
Sahy Ratia (ténor)
Edwin Fardini (basse)
Orchestre national et Chœur de l’Opéra national de Montpellier Occitanie, dir. Marc Korovitch
Cheffe de chœur : Noëlle Gény
W. A. Mozart, Messe en ut mineur KV 427 (inachevée)
Montpellier, Le Corum, concert du vendredi 26 janvier 2024.