Comme à Aix en 2022 ou à Toulouse dans quelques jours, l’Idoménée de Mozart, sur la scène du Grand Théâtre de Genève, permet la rencontre de l’Asie et de la Grèce antique. Une production dirigée par Leonardo García Alarcón,
Mozart est l’un des génies les plus étonnants de l’histoire de l’art : pour sa précocité et par le ton très personnel de ses œuvres, qui se caractérisent tout à la fois par une apparente simplicité, une forme de limpidité ou d’harmonie sereine, mais aussi une profondeur de sentiment exceptionnelle. Dans le genre lyrique, Mozart nous offre de grands chefs-d’œuvre d’opere serie comme La Clémence de Titus ou Idomeneo, re di Creta.
La création d’Idoménée eut lieu le 29 janvier 1781 à Munich. L’accueil est à la hauteur de l’intrigue, triomphal.
Petit-fils de Minos et de Pasiphaé, le roi de Crète Idoménée fut l’un des prétendants d’Hélène et l’un des héros de la guerre de Troie. Après la guerre, lors de son retour en Crète, il fut pris dans une violente tempête et fit alors le vœu, s’il en réchappait, d’offrir à Neptune le premier homme qu’il rencontrerait sur la terre ferme : c’est hélas son fils Idamante (Léa Desandre, à la musicalité comme toujours impeccable) qui se présente à ses yeux.
Avec Idoménée, Mozart apporte une brise innovante au genre séculaire et statique de l’opera seria et annonce les tempêtes des opéras de la maturité. À vingt cinq ans, il introduit dans l’œuvre des pages époustouflantes : les trois airs d’Électre : deux scènes de folie et une plainte amoureuse (c’est d’ailleurs dans « Idol mio » que Federica Lombardi convainc le plus, plutôt que dans « Tutte nel cor » ou le « D’Oreste, d’Ajace »final)), de l’éblouissant « Fuor del mar », du mélancolique « Zeffiretti lusinghier » d’Ilia (Giulia Semenzato, à l’émision un peu fragile) et du sublime dans le quatuor « Andro rammingo e solo » du dernier acte, dans lequel chaque personnage exprime un sentiment différent.
Son innovation tient aussi à sa construction, chaque avancée tendant à une résolution musicale dramatique : le désespoir d’Idoménée (un Bernard Richter – remplaçant Stanislas de Barbeyrac –, émouvant même si peu à l’aise dans les vocalises de « Fuor del mar ») contraste avec l’apparition du monstre marin magnifié par le superbe chœur « Corriamo, Fuggiamo » . La folie d’Électre s’oppose à la paix retrouvée à la fin de l’œuvre. Cette continuité dramatique est assurée par des phrases de liaison empêchant toute interruption du drame.
C’est sur cette fine base psychologique des personnages que la musique donne une couleur aux conflits qui agitent les personnages : tendresse, fidélité, amour et devoir d’obéissance, soumission et amour filial. Ceux-ci sont si justement et si précisément rendus par le chef Leonardo García Alarcón, accompagné de son orchestre Cappella Mediterranea au renfort des musiciens de l’Orchestre de Chambre de Genève.
Il existe plusieurs versions d’Idomeneo et aujourd’hui, les chefs puisent dans les différentes versions existantes en fonction de choix esthétiques.
Surprenante époque du polythéisme où chaque dieu se voit responsable d’un drame ou d’une félicité. Le thème classique du serment imprudemment fait à un dieu confère à l’œuvre une tension dramatique des plus efficaces. Cette filiation entre Idoménée et Minos ne sera pas sans conséquence sur la mise en scène et les choix artistique de Chiharu Shiota qui tire et étire à l’excès le fil d’Ariane et y enferme les protagonistes du drame et malheureusement au moment même de performances lyriques.
Après Les Indes Galantes de Rameau (2019) et Atys de Lully (2022), le Grand Théâtre de Genève poursuit ainsi son exploration du répertoire de l’opéra-ballet sous la baguette de Leonardo García Alarcón avec cette nouvelle production d’Idomeneo de Mozart. La mise en scène est due à Sidi Larbi Cherkaoui, chorégraphe, metteur en scène et directeur du ballet du Grand Théâtre et la scénographie à Chiharu Shiota, artiste plasticienne japonaise. Les danseurs du Ballet du Grand Théâtre sont accompagnés par la compagnie Eastman. Yuima Nakazato offre ses costumes, à la fois traditionnels et futuristes, qu’elle envisage comme mêlant la Grèce et le Japon.
Idomeneo : Bernard Richter
Idamante : Lea Desandre
Elettra : Federica Lombardi
Ilia : Giulia Semenzato
Arbace : Omar Mancini
Grand-Prêtre de Neptune : Luca Bernard
L’Oracle : William Meinert
Orchestre composé de l’ensemble Cappella Mediterranea et de L’Orchestre de Chambre de Genève, dir. Leonardo García Alarcón
Chœur du Grand Théâtre de Genève, dir. Mark Biggins
Avec des danseuses et danseurs du Ballet du Grand Théâtre et d’Eastman
Mise en scène / Chorégraphie : Sidi Larbi Cherkaoui
Scénographie : Chiharu Shiota
Costumes : Yuima Nakazato
Lumières : Michael Bauer
Dramaturgie : Simon Hatab
Idoménée – Idomeneo, re di Creta
Opera seria en trois actes de Wolfgang Amadeus Mozart, livret de Giambattista Varesco, créé le 29 janvier 1781 au théâtre Cuvilliés de Munich
Grand Théâtre de Genève, représentation du mercredi 21 février 2024.
2 commentaires
Le compte rendu est prudent (parfait pour les voix, le chœur, la musique, la direction d’orchestre). Visuellement il y a de très belles images (le monstre, l’escalier). Le dénouement n’est pas compréhensible : Idoménée abdique, les tourtereaux se marient, tout le monde est content et Neptune est apaisé. Au-je mal compris ? Je ne comprends pas une autre chose : le fil d’Ariane a un sens très précis (sauver Thésée du labyrinthe) et je ne vois pas le lien avec la situation de l’opéra. Une confusion dans les références sur fond d’ignorance des mythes grecs ? Je suis peut-être un peu méchant … C’était énigmatique. Et quel intérêt de compliquer avec de la danse moderne ? Bref je suis critique à l’égard des partis pris de la mise en scène
Je n’ai malheureusement pas pu voir le spectacle, J’avais été si enthousiasmée par Les Indes Galantes à l’Opera de la Bastille de Paris, il y a quelques années que cette nouvelle aventure aurait revêtue pour moi des airs d’évidence. Merci donc de cette critique si nourrie, érudite sans être pédante qui me laisse à goûter tant le contexte de l’écriture, la performance mozartienne, que l’incroyable capacité de Leonardo Garcia Alarčon à offrir un regard nouveau, plus contemporain à une partition qui garde néanmoins toute sa fraîcheur. Votre article «donne à voir» et à entendre…. La mise en scène de Sidi Larbi Cherkaoui offre à rêver de sa puissance créatrice toujours renouvelée. La chorégraphe Chiaru Shiota étant sans nulle doute le complément fantastique à cet équilibre innovant d’une inventivité sensible et contemporaine. Grâce à vous un instant de grâce malgré le regret profond d’avoir raté cette fête des sens. Merci.