La mise en scène d’Olivier Py de Boris Godounov de Modeste Moussorgski présentée au Théâtre des Champs-Élysées à Paris, et créée en novembre dernier au Théâtre du Capitole de Toulouse, offre une expérience théâtrale visuellement flamboyante et narrativement emprunte d’une contemporanéité marquante.
Fidèle à sa grammaire théâtrale, Olivier Py transporte le public dans un univers visuel et émotionnel unique. Les décors et les costumes somptueux signés Pierre-André Weitz mariant subtilement l’esthétique contemporaine à l’essence historique de l’intrigue, créent une atmosphère à la fois intemporelle et profondément évocatrice. Boris Godounov, Staline, Poutine, le peuple russe, la guerre en Ukraine, la religion. Si les effets sont parfois un peu appuyés à coups de drapeaux et de visuel poutino-stalinien, la lecture d’Olivier Py en collaboration avec Daniel Izzo n’en reste pas moins percutante. L’équipe artistique ne se contente pas de présenter une simple adaptation, mais plutôt une réinterprétation audacieuse de Boris Godounov. Les éléments symboliques et les choix scénographiques apportent une dimension supplémentaire à l’histoire, offrant au public une perspective nouvelle, une réflexion contemporaine sur l’incarnation du pouvoir politique et ses conséquences.
Olivier Py met également en lumière le rôle central de la religion dans la légitimation et l’exercice du pouvoir politique, un thème omniprésent dans l’œuvre de Moussorgski. Les rituels religieux symbolisent la quête de légitimité et de justification morale des dirigeants. Le contraste entre la grandeur des cérémonies religieuses et la fragilité des âmes humaines souligne la complexité des rapports entre pouvoir temporel et transcendance spirituelle.
Les personnages eux-mêmes incarnent cette dynamique complexe. Boris Godounov, en quête de légitimité, se débat avec sa conscience et ses ambitions politiques, illustrant ainsi les dilemmes moraux auxquels sont confrontés les dirigeants. De même, les figures religieuses de l’opéra interviennent dans les affaires politiques, oscillant entre conseillers et gardiens de la morale.
Le choix de la version originale de la partition de 1869, avant adaptation pour la censure et revisites diverses, permet un concentration de l’action fortement resserrée. En deux heures, Olivier Py nous embarque dans une lecture pertinente et puissante.
La distribution incarne avec brio les personnages complexes de l’opéra de Moussorgski. Boris Godounov est porté par la performance magistrale d’Alexander Roslavets, capturant la psychologie torturée du personnage avec une profondeur émotionnelle poignante et une maîtrise vocale bluffante. Les autres clefs de fa ne sont pas en reste. Le Pimène de Roberto Scandiuzzi, solennel et spirituel, s’il n’a pas forcément l’ampleur vocale attendue dans ce rôle, n’en reste pas moins d’une crédibilité psychologique redoutable. Yuri Kissin est un Varlaam au caractère jovial. Son moine vagabond apporte une touche de comédie et d’humour bienvenue. L’imposteur Grigori, déterminé à prendre le pouvoir, est interprété avec une énergie juvénile et une passion dévorante par Airam Hernández, un ténor que nous entendrons à nouveau avec grand plaisir.
Xenia, la fille de Boris, a été interprétée par Lila Dufy avec une voix cristalline et assurée offrant des moments touchants de sincérité. Victoire Bunel est un très beau Fiodor à l’incarnation scénique marquante notamment dans une scène du globe magnifiquement plus qu’inspirée par Le Dictateur de Charlie Chaplin. Les autres membres de la distribution ajoutent une richesse supplémentaire à l’ensemble, créant une dynamique collective qui maintient l’attention du public en éveil tout au long de la représentation. Mention spéciale à l’impressionnante voix de basse de Sulkhan Jaiani.
L’aspect musical est incontestablement un point fort de cette production, mais oserait-on dire que la réalisation orchestrale était presque trop belle, manquant peut-être de l’aspérité nécessaire pour refléter pleinement la tension dramatique de l’opéra ?
L’atmosphère parfois un peu trop lisse laisse peu de place à la rugosité émotionnelle et aux conflits intérieurs qui caractérisent l’histoire de Boris Godounov. Andris Poga emmène pourtant l’Orchestre National de France, le chœur du Capitole de Toulouse toujours vaillant et homogène et l’impeccable Maîtrise des Hauts-de-Seine jusqu’à bon port avec une efficacité incontestable.
Au rideau final, succès légitime et huées de bon ton pour un Boris flamboyant et symboliste à souhait
Boris Godounov : Alexander Roslavets
Fiodor : Victoire Bunel
Xenia : Lila Dufy
La Nourrice : Svetlana Lifar
Le Prince Vassili Chouiski : Marius Brenciu
Andreï Chtchelkalov : Mikhail Timoshenko
Pimène: Roberto Scandiuzzi
Le faux Dimitri / Grigori : Airam Hernández
Varlaam : Yuri Kissin
Missail : Fabien Hyon
L’Aubergiste : Sarah Laulan
L’Innocent : Kristofer Lundin
Nikititch : Sulkhan Jaiani
Mitioukha : Barnaby Rea
Orchestre National de France, dir. Andris Poga
Chœur de l’Opéra National du Capitole, dir. Gabriel Bourgoin
Maîtrise des Hauts-de-Seine, dir. Gaël Darchen
Mise en scène : Olivier Py
Collaboration artistique : Daniel Izzo
Décors et costumes : Pierre-André Weitz
Lumières : Bertrand Killy
Boris Godounov
Opéra en 7 scènes de Moussorgski, livret du compositeur (d’après Pouchkine). première version (1869).
Paris, Théâtre des Champs-Élysées, représentation du mercredi 28 février 2024.