Comédie musicale en deux actes de Leonard Bernstein, livret d’Arthur Laurents, paroles de Stephen Sondheim, d’après une idée de Jerome Robbins ; créée le 26 septembre 1957 à New York (Winter Garden Theatre de Brodway).
LES AUTEURS
Le compositeur
Al Ravenna, World Telegram staff photographer — Library of Congress. New York World-Telegram & Sun Collection
Leonard BERNSTEIN (1918-1990)
Leonard Bernstein étudie à l’université Harvard jusqu’en 1939, puis est nommé chef assistant de l’Orchestre philharmonique de New York en 1943. Il débutera à la tête de cet orchestre en remplaçant Bruno Walter. Suite à ce remplacement, sa notoriété ira grandissant, et Leonard Bernstein deviendra vite l’une des personnalités artistiques (en général) et musicales (en particulier) les plus importantes du XXe siècle.
Bernstein s’illustra particulièrement dans trois domaines :
- La pédagogie. Il n’eut de cesse d’œuvrer pour la démocratisation de la musique dite « classique » et pour sa diffusion auprès du jeune public, envers qui il fit preuve de remarquables qualités pédagogiques.
- La direction d’orchestre. Il aborda avec succès les genres les plus variées (musique sacrée, symphonique, musique de chambre, opéra), les styles et périodes les plus divers (baroque, classicisme, bel canto, romantisme allemand, musique contemporaine,…). À l’opéra, il dirigea Maria Callas – pour qui il éprouvait une immense admiration – dans La sonnambula (mise en scène de Luchino Visconti) et Medea ; il laissa au disque des gravures restées célèbres de Falstaff (avec Dietrich Fischer-Dieskau), Carmen (avec Marilyn Horne), Der Rosenkavalier (avec Christa Ludwig et Gwyneth Jones), Tristan und Isolde (avec Hildegard Behrens et Peter Hofmann).
- La composition. Il est l’auteur d’ouvrages lyriques (Trouble in Tahiti, Candide, A quiet place), de comédies musicales (On the town, Peter Pan, Wonderful town, West side story), de symphonies, de musique de chambre, de musiques de scène ou de films (Un jour à New York de Stanley Donen et Gene Kelly, Sur les quais d’Elia Kazan).
Les librettistes
Photo extraite de l'ouvrage Jerome Robbins: His Life, His Theater, His Dance (Deborah Jowitt, 2004)
Jerome ROBBINS (1918-1998) : l’idée
Jerome Rabinowitz, dit Jerome Robbins, fut un artiste aux talents particulièrement variés : danseur, chorégraphe, metteur en scène, c’est lui qui eut, dès 1949, l’idée d’un « Roméo et Juliette » se déroulant au XXe siècle à Manhattan : Bernstein explique dans son journal avoir rencontré Robbins le 6 janvier 49, rencontre au cours de laquelle le chorégraphe évoque pour la première fois ce projet d’œuvre commune.
C’est d’ailleurs pour Bernstein que Robbins avait chorégraphié son premier ballet en 1944, Fancy Free : un immense succès qui fut suivi d’autres triomphes (Call Me Madam, The King and I, ou le film West side story qu’il coréalise avec Robert Wise). Jerome Robbins fut également directeur adjoint du New York City Ballet de 1948 à 1958.
Arthur Laurents en 2011 (© Kassyny)
Arthur LAURENTS (1917-2011) : le livret
Arthur Levine (dit Arthur Laurents) est un dramaturge, librettiste, scénariste et metteur en scène américain. Il commence sa carrière en écrivant pour la radio, puis il rédige Home of the Brave, un drame abordant le sujet de l’antisémitisme dans l’armée. Créé à Broadway en 1945, c’est un très grand succès qui fera l’objet d’une adaptation cinématographique en 1949 par Mark Robson.
En cette même année (1949), Jerome Robbins suggère à Bernstein le nom d’Arthur Laurents pour écrire le livret de West side story : « Je ne le connais pas, mais j’ai vu Home of the Brave : j’ai pleuré comme un bébé ! C’est probablement un très bon choix », écrit Bernstein dans son journal.
Le 10 janvier 49, Robbins, Bernstein et Laurents se rencontrent : le principe d’une collaboration à trois pour la comédie musicale West side story est acté et débouchera, pour Laurents, sur l’écriture d’un livret auquel un parolier sera chargé de donner sa forme ultime.
Avant West side story, pour le cinéma, Arthur Laurents avait écrit le scénario de La Corde (1948) d’Alfred Hitchcock ; il écrira par la suite ceux de Pris au piège (1949) de Max Ophüls, Vacances à Venise (1955) de David Lean, Bonjour tristesse (1958) d’Otto Preminger, Gypsy, Vénus de Broadway (1962) de Mervyn LeRoy, Nos plus belles années (1973) de Sydney Pollack, ou encore Anastasia (1997) de Don Bluth et Gary Goldman.
Stephen SONDHEIM (1930-2021) : les paroles
Le parolier Stephen Sondheim est aussi et surtout l’un des plus grands compositeurs américains du XXe siècle : auteur de nombreuses œuvres devenues des classiques du répertoire américain, il composa plusieurs comédies musicales parmi les plus célèbres du genre : Sweeney Todd et Into the Woods notamment, qui furent – comme West side story – adaptées au cinéma (par Robert Wise et Steven Spielberg pour West side story, Tim Burton pour Sweeney Todd, Rob Marshall pour Into the Woods). Il est également l’auteur de célèbres musiques de films : Stavisky (1974) d’Alain Resnais, Reds (1981) ou Dick Tracy (1990) de Warren Beatty.
Le 14 novembre 1955, Bernstein écrit dans son journal : « Un jeune parolier, Stephen Sondheim, nous a chanté aujourd’hui certaines de ses chansons. Quel talent ! Je pense – et nous le pensons tous – qu’il est la personne idéale pour ce projet ! » De cette rencontre naîtra une fructueuse collaboration, Sondheim se voyant chargé d’écrire les paroles de West side story à partir de l’intrigue imaginée par Robbins et du livret conçu par Laurents.
Stephen Sondheim meurt le 26 novembre 2021 à Roxbury (Connecticut).
L'ŒUVRE
La création et la fortune de l'œuvre
L’oeuvre est créée triomphalement le 26 septembre 1957 au Winter Garden Theatre de Brodway (New York). Larry Kert joue le rôle de Tony, Carol Lawrence celui de Maria, Chita Rivera celui d’Anita. Le spectacle obtiendra plusieurs récompenses (Tony Award pour la meilleure chorégraphie et les meilleurs décors, prix de la meilleure actrice dans le rôle principal d’une comédie musicale pour Carol Lawrence).
Il sera donné plus de 700 fois avant une grande tournée et un retour à New York en 1960 pour 253 nouvelles représentations. Dès l’année suivante sortait le film de Robert Wise ; en 2021, l’œuvre fera l’objet d’une nouvelle et magistrale adaptation cinématographique par Steven Spielberg, particulièrement appréciée par Sondheim lui-même.
"Cool", The Ed Sullivan Show, 14 septembre 1958
Le livret
Les sources littéraires
Le livret de West side story s’appuie sur le Roméo et Juliette de Shakespeare, dont il offre l’exemple parfait d’une transposition à la fois intelligente et fidèle. Tous les éléments fondamentaux de la tragédie shakespearienne trouvent un équivalent naturel et crédible dans le New York des années 50-60 :
- L’opposition entre Capulet et Montaigu devient ainsi une rivalité stupide et frontale entre deux gangs, les Jets et les Sharks. Initialement, Jerome Robbins avait pensé évoquer dans le livret l’opposition entre juifs et chrétiens, opposition qui se manifestait à New York notamment à l’occasion des fêtes de Pâques. Mais l’actualité se faisant régulièrement l’écho de violentes émeutes entre gangs rivaux de New York, Robbins et Bernstein optèrent pour une rivalité entre deux bandes de rues, l’une étant les Jets (d’origine irlandaise et polonaise) et l’autre les Sharks (immigrés portoricains).
- Comme Roméo et Juliette, Tony et Maria se rencontrent à l’occasion d’un bal (une fête donnée au « Gym »).
- Ils se revoient secrètement la nuit sur un balcon (les fameux fire escapes new yorkais).
- Jets et Sharks s’affrontent dans une rixe qui tourne mal et au cours de laquelle Tony est amené à tuer un membre de la famille de Maria (tout comme Roméo tue Tybalt).
- Le vieux Doc, qui tient un drugstore de Manhattan, manifeste envers le couple d’amoureux la même bienveillance que Frère Laurent;
- Tony et Maria se marient secrètement (dans la boutique d’habits pour mariés dans laquelle travaille Maria).
- Comme dans Roméo et Juliette, la (fausse) nouvelle de la mort de Maria entraîne un acte désespéré de Tony, qui court à la mort dans les rues de Manhattan tout comme le héros de Shakespeare s’empoisonne dans le tombeau des Capulet. Seule différence notable avec la pièce : la mort de Tony ne pousse pas Maria au suicide, mais amènera la jeune fille à plaider en faveur d’une réconciliation entre les deux clans – ce rôle pacificateur étant dévolu à Frère Laurent dans la tragédie.
L’intrigue
À New York, à la fin des années 50.
ACTE I
Les rues de Manhattan font l’objet de violentes rixes entre deux bandes rivales : les Jets (avec, à leur tête, le jeune Riff), installés à New York depuis plusieurs années, et les Sharks, d’origine porto-ricaine, nouvellement arrivés (dont le chef est un certain Bernardo).
America (Tatiana Troyanos et Louise Edeiken, dir. L. Bernstein)
Au Gym a lieu une soirée dansante, à laquelle participe Maria, une Shark, soeur de Bernardo, fiancée à Chino. Elle y rencontre un jeune homme, Tony, appartenant quant à lui aux Jets. Le coup de foudre est immédiat : après la fête, Tony chante la fascination que lui inspire le seul nom de Maria…
Maria par Larry Kert, le créateur de Tony à Boadway en 1957, ici à la télévision américaine en 1982
Maria par José Carreras (dir. L. Bernstein)
Tony retrouve Maria secrètement chez elle : la jeune fille accepte d’échanger quelque mots avec lui, à la tombée de la nuit, sur l’escalier de secours de son modeste logement. Cette rencontre nocturne (« Tonight ») scelle un amour auquel rien, dorénavant, ne semble pouvoir s’opposer.
Un extrait de "Tonight" par Carol Lawrence et Larry Kert, les créateurs de Maria et Tony à Broadway en 1957, ici à la télévision américaine (The Ed Sullivan Showen) le 2 novembre 1958
Une rixe est organisée entre Jets et Sharks, qui attendent avec impatience l’occasion de se bagarrer afin de savoir lequel des deux clans prendra la tête du quartier.
Tonight (Ensemble, dir. L. Bernstein)
Malheureusement, la bagarre dégénère : le chef des Jets, Riff, l’ami de Tony, est tué par Bernardo. Tony, qui faisait pourtant son possible pour tenter d’apaiser la situation, veut venger la mort de son ami : il poignarde Bernardo.
ACTE II
Chino apprend à Maria, sa fiancée, que le frère de celle-ci vient d’être tué par Tony. Il est bien décidé à venger la mort de Bernardo, et quitte l’appartement muni d’un revolver.
Arrive Tony : Maria, profondément choquée, ne peut pourtant que lui pardonner… Les deux amants se prennent à rêver : peut-être existe-t-il, quelque part, un endroit où ils pourront enfin vivre leur amour loin de toute haine et de toute violence ?
Somewhere (Marylin Horne, dir. L. Bernstein )
Survient Anita : Tony se sauve, sans que Maria ait eu le temps de lui dire que Chino cherchait à le tuer. Anita reproche à Maria son amour pour un garçon de la bande rivale – qui vient, qui plus est, de tuer son frère. Mais devant la force de l’amour éprouvé par son amie, elle cède et accepte, alors qu’un policier interroge Maria sur la mort de son frère, d’aller prévenir Tony de se tenir sur ses gardes et d’éviter absolument Chino.
Anita se rend au drugstore de Doc où Tony s’est réfugié. Mais elle est violentée par les Jets et ne délivre pas le message qu’elle était censée porter : elle fait croire aux Jets que Chino a tué Maria pour se venger. Lorsque Tony apprend cette nouvelle, il sort de sa cachette et arpente les rues de Manhattan en appelant Chino afin de s’offrir à ses coups.
Maria, dont l’interrogatoire s’est enfin terminé, se précipite dans les rues du quartier pour tenter de retrouver Tony. Elle l’aperçoit au coin d’une rue, mais les deux amoureux ont à peine le temps de se reconnaître et d’échanger un sourire ; un coup de feu se fait entendre : Chino abat Tony d’un coup de revolver. Le jeune homme meurt dans les bras de Maria…
La jeune femme, à la fois désespérée et révoltée, surmonte sa douleur et fait prendre conscience aux Jets et aux Sharks de l’horreur et de l’absurdité de la situation : elle les enjoint de mettre un terme aux violences qui les opposent. Jets et Sharks se rassemblent alors, soulèvent le corps de Tony et l’emportent avec gravité et recueillement.
La partition
L’objectif de Bernstein, si l’on en croit son Journal de bord de West side story, était d’apporter au genre de la comédie musicale la gravité propre à l’opéra, en prenant garde toutefois de ne pas composer de la musique d’opéra. Le pari est pleinement réussi : la musique de West side story est d’un abord facile, elle se révèle être immédiatement séduisante et aligne les « tubes » (« America », « Maria », « Tonight », « I feel pretty »), qui ont assuré à l’œuvre, en quelques années, une renommée universelle. Pour autant, la musique de West side story atteint une qualité et une richesse inédites dans le genre de la comédie musicale. Il s’agit d’ailleurs de la première partition de ce genre à avoir été publiée.
Les couleurs orchestrales sont chatoyantes (l’orchestration fut réalisée par Irwin Kostal et Sid Ramin sous la direction du compositeur), et l’écriture témoigne à plus d’une reprise de la grande connaissance que Bernstein avait du jazz (n° 8 : « Cool »), ou encore de sa fascination pour la musique cubaine, découverte au début des années 40 (n° 7 : « America »). Certaines pages, enfin, font preuve d’une réelle sophistication dans leur conception (le fameux quintette « Tonight »), et l’utilisation récurrente de divers motifs confère à l’œuvre une cohérence et une continuité esthétiques et émotionnelles indéniables : ainsi entend-on, à la fin du duo de Tony et Maria (« Tonight »), une annonce de « Somewhere », marquant déjà au sceau du tragique un amour tout juste éclos. De même, le motif de « I have a love, and it’s all what I have » sera-t-il repris à la toute fin de l’œuvre, après la mort de Tony, au moment de la réconciliation des deux clans. Un motif qui évoque d’assez près celui de la « Rédemption par l’amour » du Ring de Wagner : simple hasard ou hommage explicite ?…
Quoi qu’il en soit, savante ou populaire, la musique de West side story continue de faire mouche quelque 70 ans après la création de l’œuvre… En témoigne le très grand succès des récentes reprises françaises (à l’Opéra du Rhin en 2022 ou au Châtelet en 2023).
Le quintette "Tonight" dans le film de Robert Wise (1961)
NOTRE SÉLECTION POUR VOIR ET ÉCOUTER L'ŒUVRE
CD
Larry Kert, Carol Lawrence, Chita Rivera, dir. Max Goberman (distribution de la création à Broadway, enregistré en 1957). 1 CD Sony, 1998.
Jimmy Bryant, Marni Nixon, Rita Moreno, dir. Johnny Green. Enregistré en 1960, bande originale du film de 1961. 1 CD Columbia
José Carreras, Kiri Te Kanawa, Tatiana Troyanos, Marilyn Horne, dir. Leonard Bernstein. 1 CD DG (1985)
Ansel Ergot, Rachel Zegler, Ariana DeBose, Orchestre philharmonique de New York et Orchestre philharmonique de Los Angeles, dir. Gustavo Dudamel. 1 CD Universal Classics Muci (2021)
DVD et Blu-ray
Film de Robert Wise, 1961. 1 DVD MGM.
Film de Steven Spielberg, 2021. 1 DVD 20th Century Studio.