Contrairement à un opéra « classique » issu du Grand Opéra, ou du Bel Canto, ou même du Baroque…. où l’on peut « presque » tout pardonner du moment que la musique et les voix triomphent… pour une opérette, que nenni, l’équilibre ténu entre splendeur et mauvais goût ne tient qu’à un fil : une harmonie parfaite entre tous les ingrédients la composant. Ici la Gosse de Riche s’élance sur ce fil telle une funambule et s’octroie même le droit de virevolter dessus.
L’opérette implique une exigence en tous points : la diction doit être aiguisée, l’humour plus subtil que potache, les costumes jamais plus voyants que la musique, et les chanteurs aussi facilement lyriques qu’acteurs accomplis. Une pincée de trop, et la mixture ne prend pas, on criera à la déception au détriment du niveau de tout le reste. C’est la malédiction des opérettes : prendrait-on encore Offenbach au sérieux s’il n’y avait pas eu Les Contes d’Hoffmann ? Peut-on accorder la même importance culturelle à une Norma qu’à une Ciboulette ? Et finalement pourquoi ne le devrait-on pas ?
La supériorité d’une opérette sur un opéra dit classique c’est que lorsqu’elle est réussie, on en sort toujours grandi d’avoir ri et passé un moment d’insouciance et de légèreté, tandis que de sombrer dans la dépression à la mort de Violetta en une production comme en cent, l’affadit et nous la rend indifférente. Comme le disait Mistinguett pour laquelle Maurice Yvain a écrit ses plus grands succès : « Mais n’voulant pas chiper aux grandes coquettes, leurs dames aux camélias, moi j’vends des bégonias ». Cette absence de prétention dans la volonté la plus simple de divertir, est la marque de fabrique de Gosse de riche. Des airs rapides et efficaces, des dialogues pleins de malice et au vernis coquin, des personnages emblématiques du genre (le peintre bohémien, la cocotte, la baronne désargentée et roublarde, la jeune fille libérée, et les parents « grande bourgeoisie »), caractérisés par les travers qu’on leur donnait à l’époque et que chacun pouvait reconnaître, une histoire d’amour contrariée au milieu de personnages un peu menteurs et roublards, pas de mort, une issue prévisible mais toujours rassurante, tout cela vient constituer la trame de notre Gosse de riche. Dans cette véritable critique sociale et légère, peignant les mœurs à la fois libérées et frivoles mais aussi hypocrites de l’entre deux guerres, notre sale gosse Colette va tout faire voler en éclat dans cette « coming of age story » où elle va émerger de l’adolescence vers l’âge adulte grâce au plus beau motif : l’amour.
Dans cette « mise en jeu » de Pascal Neyron, les décors sont minimalistes : une toile en fond de scène dans l’atelier de l’acte I, des cadres créant une perspective à l’acte II pour le manoir breton et élargissant l’espace, et en dernier tableau un cadre rempli de paillettes dorées duquel vont progressivement s’animer les personnages avant de conclure l’opérette. Les costumes pensés par Sabine Schlemmer viennent coller parfaitement à la persona des protagonistes sans se départir des références aux années folles : la coupe de flapper électrique de Colette, la robe de cocktail de Nan, la tenue « artistique » et bohémienne du peintre, avant d’homogénéiser le tout dans l’acte II dans des costumes aux couleurs blanches, chemises transparentes, robes vaporeuses, chapeaux et petits apports délicieusement fantaisistes créés pour l’occasion du spectacle.
Nos chanteurs évoluent à travers des jeux de lumière mettant en valeur leurs airs respectifs et les isolant un bref instant du reste de l’action. Le tout est agrémenté de quelques chorégraphies décalées et très drôles, créées par Aure Wachter, qui font mouche lors des airs de quiproquo et de bataille.
Outre le déhanché de Philippe Brocard, rendant justice au fameux air « Quand on est chic ! » à l’acte I, le baryton donne beaucoup de premier degré à son personnage et fait résonner une voix puissante et claire, propre aux Figaro et Pagageno que le baryton a pu déjà chanter dans le passé. Son Achille Patarin est roublard et tyrannique tandis qu’Aurélien Gasse, dans le rôle du peintre amoureux éperdu de Colette, sait se positionner a contrario du père en faisant ressortir de belles nuances et beaucoup d’émotion dans l’air de la séparation, et le très drôle « On m’a ». Charles Mesrine vient finir ce trio masculin, en faux mari de Nan, et quoique personnage secondaire, le ténor sait imposer sa présence avec beaucoup d’humour. Amélie Tatti dans le rôle titre fait des étincelles, tour à tour salle gosse manipulatrice, ado rebelle, et finalement jeune amoureuse transie, la mezzo soprano assume toutes les facettes de Colette avec une grande cohérence dans son jeu physique et vocal. Julie Mossay n’est pas en reste grâce à l’humour qu’elle apporte à sa composition de cocotte un peu écervelée mais fière.
Les deux véritables stars de la soirée sont incontestablement Marie Lenormand et Lara Neumann, respectivement en Baronne et Suzanne Patarin. La première fait des merveilles dans son air de « La Combine » avec une roublardise qu’Arletty n’aurait pas reniée, et plus globalement sa gouaille presque naturelle dans les dialogues, jusque dans les rires qu’elle jette à ses camarades et qui sont tout aussi hilarants que ses tirades. Laura Neumann, un peu sacrifiée en femme trompée dans le 1er acte, se taille la part du lion grâce à un fest-noz aussi inattendu qu’endiablé, tandis que ses talents de comédienne se dévoilent lors du dernier acte en en faisant voir de toutes les couleurs au pauvre Patarin.
« Production musicale sans chef d’orchestre », l‘Orchestre des Frivolités Parisiennes est au diapason avec les chanteurs et emmène le public à travers ce vaudeville musical avec la fougue et la bonne humeur indispensable aux meilleures opérettes.
« Quand on est chic » on court donc voir Gosse de riche à l’Athénée-Louis Jouvet !
Colette Patarin : Amélie Tatti
Achille Patarin : Philippe Brocard
Suzanne Patarin : Lara Neumann
Baronne Skatinkolowitz : Marie Lenormand
Nane : Julie Mossay
André Sartène : Aurélien Gasse
Léon Mézaize : Charles Mesrine
Les Frivolités Parisiennes
Production musicale menée sans chef d’orchestre
Chef de chant : Etienne Jacquet
Mise en scène : Pascal Neyron
Scénographie & lumières : Camille Duchemin
Collaboration artistique : Élisabeth de Ereno
Conseil artistique : Christophe Mirambeau
Chorégraphie : Aure Wachter
Création costumes : Sabine Schlemmer
Réalisation des costumes : Anaïs Parola & Julia Brochier
Réalisation chapeaux de Madame Patarin : Laëtitia Mirault
Perruques & maquillage : Maurine Baldassari & Caroline Boyer
Habillage Les Frivolités Parisiennes : Mélanie Leprince
Régie Lumières et vidéo : Estelle Cerisier
Gosse de riche
Comédie musicale en 3 actes de Maurice Yvain, livret de Jacques Bousquet & Henri Falk, créée en 1924 en théâtre Daunou.
Paris, Théâtre Athénée-Louis Jouvet, Représentation du vendredi 8 mars 2024
1 commentaire
Oui, bien vu et entendu.
On sort du théâtre en se disant qu’on a passé une bonne soirée.
C’est l’essentiel.