Damien Guillon va prendre le large, laisser Le Banquet Céleste à son haut niveau d’excellence et quitter cette belle maison qu’est l’Opéra de Rennes. L’homme va prendre l’air… Souhaitons lui bon vent et remercions-le pour ce qu’il sait magnifiquement donner à la musique et dont il a encore fait preuve dans son interprétation de la Passion selon Saint Matthieu de Jean-Sébastien Bach : un vrai sens de la narration, du naturel, de la respiration et du partage.
Le Banquet Céleste, Damien Guillon et l’Opéra de Rennes, c’est 15 ans de compagnonnage autour du répertoire baroque et de Jean-Sébastien Bach en particulier. Après la Passion selon saint Jean en 2019 puis les Oratorios de Pâques et de l’Ascension en 2021 et 2023, il ne manquait plus que la Passion selon saint Matthieu pour parachever cette belle aventure humaine et musicale.
Le symbole est d’autant plus fort que l’oratorio du Cantor de Leipzig, grande fresque liturgique quasi-opératique, n’avait pas été donnée à Rennes depuis le 28 novembre 1993. Ce jour-là, les forces musicales en présence réunissaient La Petite bande dirigée par Sigiswald Kuijken et un soprano solo enfant… du nom de Damien Guillon. La boucle est pour ainsi dire presque bouclée, l’avenir nous dira quel chemin reste à écrire par l’artiste.
Chez Bach comme chez Haendel, ce qui impressionne dans les interprétations de Damien Guillon c’est ce naturel apparent derrière lequel se cache, on l’imagine bien, une recherche profonde et constante sur l’interprétation musicale et la construction narrative. Rien d’esthétisant dans ce Bach à hauteur d’homme où la grandeur de l’œuvre n’écrase jamais le drame humain qui se joue. L’imagination est au rendez-vous, la pulsation est sûre, les voix trouvent leurs places dans une construction polyphonique précise aux contours mélodiques finement ciselés. Le mot n’est jamais sacrifié à l’hédonisme vocal et la pulsation allie l’élan à la souplesse. Damien Guillon manie admirablement la phrase et la couleur et unifie l’ensemble dans un grand geste dramatique implacable. L’esprit de l’homme triomphe sur la matière musicale et l’accueil final du public saluera comme il se doit le grand œuvre architectural musical réalisé ce soir.
Il faut dire que cette saint Matthieu réunie des forces artistiques à leur meilleur : le Chœur de chambre Mélisme(s), la Maîtrise de Bretagne et Le Banquet Céleste. L’équipe de solistes s’unit au Chœur de chambre Mélisme(s) magnifiquement préparé par Gildas Pungier pour une réalisation chorale fervente dans des scènes de foule précises et des chorals sobres et investis. La Maîtrise de Bretagne, placée à l’avant-scène dans le double-chœur initial, se montre attentive et investie dans un ripieno entendu comme rarement. Le Banquet Céleste, oserions-nous dire LeS BanquetS CélesteS puisque qu’ici la formation est en double-orchestre est magnifique d’investissement, d’inspiration et de vigueur.
Les solistes participent à la ferveur générale. On imagine bien la difficulté qu’il y a à trouver un évangéliste de remplacement à la dernière minute en cette période de Pâques et de passions données aux quatre coins du monde. Juan Sancho s’acquite de la tâche avec sobriété et élégance. Paul-Antoine Bénos-Djian livre un « Erbarme dich » éloquent.
Edward Grint est un Jésus olympien. Son « Mache dich, mein Herze, rein » est d’une intériorité touchante. Marco Saccardin fait preuve d’une très belle maîtrise de la ligne et de l’émission vocale dans ses airs de basse. Céline Scheen, Maïlys De Villoutreys, Blandine de Sansal, Nicholas Scott et Bradley Smith complètent cette belle équipe avec des individualités vocales et interprétatives à l’unisson avec cet esprit général de naturel et de sincérité. Soulignons également les interventions marquantes de Ronan Airault en Judas et d’Etienne Chevalier en Pontifex 2.
Ce soir, le voyage spirituel et musical s’est fait à hauteur d’hommes et de femmes au plus juste d’eux-mêmes. Alors que Damien Guillon va laisser son bâton de chef pour le bâton de marche, glissons ces quelques mots d’Andreï Tarkovski comme viatique dans son bissac : « Vraiment, voyager à travers les pays du monde est un voyage symbolique pour l’homme. Où qu’il aille, il cherche sa propre âme. C’est pourquoi l’homme doit pouvoir voyager. »
Bonne route, Monsieur Guillon !
Une captation de cette saint Matthieu est également prévue pour une diffusion sur France 3 Bretagne, France.tv, TVR La chaîne et KTO.tv (réalisation Stéphan Aubé pour wahoo production).
LE BANQUET CÉLESTE direction Damien Guillon
CHŒUR DE CHAMBRE MÉLISME(S) direction Gildas Pungier
Ensembles en résidence à l’Opéra de Rennes
MAÎTRISE DE BRETAGNE direction Maud Hamon-Loisance
Damien Guillon, direction musicale
Juan Sancho, Évangéliste
Edward Grint, Jésus, basse 1
Céline Scheen, soprano 1 Ancilla 1, Uxor Pilati
Maïlys de Villoutreys, soprano 2, Ancilla 2
Paul-Antoine Benos-Djian, alto 1
Blandine de Sansal, alto 2, Testis 1
Nicholas Scott, ténor 1
Bradley Smith, ténor 2, Testis 2
Marco Saccardin, basse 2, Petrus, Pontifex 1, Pilatus
Ronan Airault, Judas
Etienne Chevalier, Pontifex 2
Passion selon Saint Matthieu BWV 244
Oratorio de Jean-Sébastien Bach, créé à Leipzig en 1727 (la version définitive de l’œuvre a été créée en 1736).
Opéra de Rennes, concert du vendredi 22 mars 2024, 20h.