Récital Julie Fuchs, opéra d’Avignon, 24 mars 2024
En Avignon, la soprano Julie Fuchs enflamme l’auditoire de l’Opéra avec la complicité du pianiste Alphonse Cemin. Du lied romantique à la mélodie française et aux Musicals, les deux artistes construisent une nuit de conte de fées. Une aubaine en cette année qui a tant besoin d’être « réenchantée ».
La poésie des contes de fées
Revenir à l’Opéra d’Avignon, c’est déjà un conte de fées pour la soprano ayant grandi et étudié dans la cité papale. Car sa renommée internationale la mobilise désormais sur un grand échiquier – elle chantera Partenope cet été à l’Opéra de San Francisco.
Dans ce riche programme de récital, la thématique du conte de fées est autant déclinée dans le registre allant de l’imaginaire jusqu’aux situations du réel, que dans les aires culturelles germanique, française et anglo-saxonne. Curieusement, ni le programme de salle ni la présentation orale ne livrent le nom des poètes de la sélection (?), exception faite du Goethe des trois Lieder d’Hugo Wolff qui ouvrent la séance. Un Goethe intériorisé plutôt que dans l’épanchement romantique au gré des strophes de Die Spröde, quasi morbide dans Die Bekherte (Le Décès). Dans la mélodie française, l’expressivité est à fleur de peau chez Gabriel Fauré et le poète R. Bussine – la volupté d’Après un rêve – alors que l’onirisme poétique de Tristan Klingsor est peu effleuré dans l’interprétation de l’éblouissant cycle Shéhérazade de Ravel. Sans doute faut-il une mezzo (telles Sophie Koch ou Karine Deshayes) pour restituer ces couleurs-là … En revanche, à quelques mètres du féodal Palais des papes, l’héroïque ballade La Guerrière d’Augusta Holmès (1847-1903) retentit de manière combattive. Sur les propres vers de la compositrice irlando-française, cette épopée s’arcboute sur l’ostinato pianistique de marche funèbre : quelle œuvre éloquente ! Nous sommes moins séduits par le versant anglo-saxon des Musicals, dernière partie de récital. L’esthétique jazzy est d’une approche souvent difficile pour les chanteuses lyriques formées à la discipline raffinée d’une vocalité lisse. Toutefois, la sorcière d’Into the woods de Sondheim (The last Midnight) assure son côté canaille avec à-propos.
Le charisme de Julie Fuchs
Ce récital, donné au fil d’une tournée conduisant le duo de Beyrouth jusqu’au Wigmore Hall (Londres), semble déjà rodé lors de cette halte avignonnaise. Le pianiste Alphonse Cemin est un véritable complice de la soprano depuis leur album Mélodies de jeunesse Debussy-Mahler (label Aparté). Fort d’une triple formation (également chef de chant et d’orchestre issu de l’ensemble Le Balcon), son écoute est optimale. Subtilement virtuose, sa prestation dans Ondine de Ravel est par ailleurs fort applaudie.
Belle dans sa robe de fée au dégradé noir-gris, Julie Fuchs est une artiste épanouie qui présente les œuvres de manière spontanée. Elle a été sacrée « chanteuse de l’année 2023 » aux Opus Klassik en Allemagne. Ici, elle déploie un chant d’une homogénéité et limpidité performantes, quel que soit le registre ou la nuance. Son legato (lier les notes sous un seul vers chanté) est d’une fluidité idéale, en particulier chez Fauré – La Fée aux chansons; Sérénade toscane – ou dans la pénombre shakespearienne de One charming night (The Fairy Queen) de Purcell. Toutefois, le miroitement des couleurs vocales et la diversité des caractérisations (Both sides now de Joni Mitchell) tendent à s’uniformiser au fil du récital : faut-il le challenge d’un rôle à incarner pour que l’artiste vive pleinement ? Sous les acclamations de l’auditoire d’Avignon, le sursaut des deux bis est heureusement éblouissant. A la fameuse habanera Youkali de K. Weill succède l’air enchanteur de Susanna dans Le Nozze di Figaro (« Deh vieni non tardar »), royalement phrasé. Ce Mozart nocturne renoue avec le cœur du talent de Julie Fuchs. Bien qu’additive à la thématique des contes, cette clôture mozartienne est peut-être la preuve que les fées existent bel et bien !
Julie Fuchs, soprano
Alphonse Cemin, piano
Hugo Wolf, Lieder sur des poèmes de Goethe (Die Spröde; Der Rattenfänger; Die Bekherte)
Augusta Holmès, La Guerrière, la Princesse sans cœur
Maurice Ravel, Shéhérazade, cycle de mélodies sur les poèmes de T. Klingsor ; Ondine (piano seul)
Gabriel Fauré, La Fée aux chansons; Sérénade toscane; Après un rêve
Henry Purcell, One charming night (The Fairy Queen)
Stephen Sondheim, The last Midnight ; No one is alone (Into the woods)
Joni Mitchell, Both sides now (arrangement d’A. Lavandier)
Opéra d’Avignon, récital du dimanche 24 mars 2024.