Florence, 86e Festival du Maggio Musicale Fiorentino : une Turandot à guichets fermés… avec « chasse aux billets » !
Turandot de Giacomo Puccini, premier opéra du 86e Festival del Maggio Musicale Fiorentino, a fait ses débuts à Florence dans une salle pleine à craquer et à guichets fermés pour toutes les représentations ultérieures. En période de disette, le commissaire Cutaia, lors de la planification du festival, a jugé bon de profiter d’une mise en scène qui est restée la propriété du Maggio Musicale : celle réalisée par Zhang Yimou, l’un des cinéastes chinois les plus importants à l’époque des débuts de cette production, en 1997. À l’époque, on comptait 11 représentations dans l’ancien théâtre de 2 000 places ; maintenant il n’y en a plus que 5 dans un théâtre qui en a un peu plus de 1800, et une véritable chasse aux billets s’est déclenchée (ceux qui sont obligés de revendre les leurs peuvent le faire en quelques minutes sur Facebook).
À la tête de l’Orchestre, du Chœur et du Chœur d’enfants du Maggio, aujourd’hui comme en 1998 lors de la légendaire tournée dans la Cité interdite de Pékin, on trouve Zubin Mehta, accueilli par des ovations tonitruantes dès son apparition sur scène, par un public qui célèbre également la belle distribution à laquelle on a fait appel pour ce spectacle. Les rôles principaux de Turandot, on le sait, constituent un véritable « terrain d’entraînement » pour athlètes vocaux, même quand on supprime, comme c’est l’usage depuis Toscanini, une bonne partie du finale qui, à la mort de Puccini, fut commandé à Franco Alfano (Mehta coupe aussi l’air de Turandot « Del primo pianto », essentiellement écrit par Alfano).
Il aurait été intéressant, à l’occasion d’un festival, d’entendre le finale d’Alfano dans son intégralité, comme on ne le fait pratiquement jamais, mais la prudence a prévalu, étant donné que la partie en question est épuisante pour les voix. À l’époque de la programmation, on ne savait pas que le Calaf initialement prévu serait remplacé par le Coréen SeokJong Baek, auquel l’ « athlétisme vocal » ne fait pas défaut : il donne vie à un Calaf qui respire la vigueur physique et vocale ; une voix jeune et puissante, avec une certaine marge d’amélioration dans le phrasé, surtout dans le premier acte (mais il faut dire que la direction lente et hiératique de Mehta, dans cet acte, n’a pas aidé les chanteurs ; dans les deuxième et troisième actes l’expressivité est très améliorée). La soprano Olga Maslova est une Turandot aux moyens vocaux importants mais bien conduits, malléables et riches en nuances, bien loin des Turandot hurlantes que l’on entend souvent. Un couple qui aurait probablement pu affronter le finale complet d’Alfano sans dommage ; mais il était impossible de le savoir d’avance…
Bien que constamment placé en fond de scène (une position particulièrement inconfortable, le fond de scène étant très grand et vide : dispositif parfait pour « avaler » les voix !), Carlo Bosi parvient à se faire clairement entendre, interprétant un majestueux empereur Altoum. Le public a également apprécié la Liù de Valeria Sepe, le Timur de Simon Lim et les très animés Ping, Pang et Pong (respectivement Lodovico Filippo Ravizza, Lorenzo Martelli et Oronzo D’Urso, jeunes talents qui ont fréquenté l’Accademia del Maggio ces dernières années et qui maintenant commencent une belle carrière).
Cependant, la belle distribution n’aurait pas suffi à elle seule à enthousiasmer un public hétéroclite, composé de personnes fréquentant habituellement le Teatro del Maggio mais aussi de néophytes absolus : c’est le spectacle dans son ensemble qui enchante un nombre extraordinaire de spectateurs. Un régal pour les yeux, en effet, avec les magnifiques costumes dessinés par Gao Guangjian, Zeng Li, Huang Haiwei, Wang Yin : 1892 pièces au total ! (un nombre impensable aujourd’hui vu l’état des finances). Certaines idées scéniques sont également fascinantes, comme celle de faire apparaître à plusieurs reprises Turandot au milieu d’un tourbillon de bras souples de danseuses dont les corps sont cachés derrière ses épaules, rappelant une sorte de déesse Kalì.
Personne, pas même Mehta (qui a sa résidence principale à Los Angeles), n’a pu retrouver la trace de Zhang Yimou, désormais américain, mais sa direction a été bien reprise par Stefania Grazioli, y compris les chorégraphies (même s’il n’y a plus la troupe de danse chinoise des débuts, il y a 27 ans).
Un spectacle qui, même s’il commence à être quelque peu « archéologique », ne cesse de fasciner et d’étonner le public ; les palais raffinés ont certes leurs limites, mais le spectacle a attiré de nombreuses personnes qui autrement ne se seraient pas rapprochées du théâtre : peut-être les fera-t-il revenir voir d’autres opéras ? Une reprise donc sans doute utile, surtout ces derniers temps. Le succès est complet : près de 12 minutes d’applaudissements à la fin de la première représentation, et le spectacle sera rejoué les 24, 27 et 30 avril (les 27 et 30 avec Ivan Magrì dans le rôle de Calaf), et le 3 mai (avec Eunhee Maggio dans le rôle de Turandot).
Dans cette production, le théâtre a sollicité les jeunes danseurs du Nuovo BallettO di ToscanA. Le Ministre de la Culture Gennaro Sangiuliano a annoncé justement aujourd’hui son intention d’allouer davantage de ressources à la danse, notamment en utilisant des fonds européens, et a dit qu’il a demandé à l’étoile Roberto Bolle (qui vient d’enregistrer au Teatro del Maggio un programme télévisé qui sera diffusé sur RAI1 à l’occasion de la Journée Internationale de la Danse, le 29 avril) de sélectionner les nouvelles troupes de danse des théâtres d’opéra. Bonne nouvelle pour le Maggio Musicale Fiorentino, dont la compagnie de ballet a été liquidée il y a une douzaine d’années. La nouvelle compagnie de ballet devrait être partagée avec le Teatro Comunale de Bologne (tandis qu’une autre nouvelle compagnie desservira les théâtres de Vérone et de Venise).
Turandot : Olga Maslova
Altoum : Carlo Bosi
Timur : Simon Lim
Calaf : SeokJong Baek
Liù : Valeria Sepe
Ping : Lodovico Filippo Ravizza
Pang : Lorenzo Martelli
Pong : Oronzo D’Urso
Un Mandarin : Qianming Dou
Le Prince de Perse : Davide Ciarrocchi
Première servante : Thalida Marina Fogarasi
Seconde servante : Anastassiya Kozhukharova
Orchestre du Mai musical florentin, dir. Zubin Mehta
Chœur du Mai musical florentin, dir. Lorenzo Fratini
Chœur d’enfants de l’Académie du Mai musical florentin, dir. Sara Matteucci
Mise en scène : Zhang Yimou, reprise par Stefania Grazioli
Nuovo BallettO di ToscanA
Turandot
Dramma lirico en trois actes de Giacomo Puccini, livret de Giuseppe Adami et Renato Simoni, créé à la Scala de Milan le 25 avril 1926.
Florence, Teatro maggio musicale fiorentino, représentation du dimanche 21 avril 2024.