À l’occasion de ses vingt ans de collaboration avec l’Opéra de Marseille (où il dirige actuellement Un ballo in maschera de Verdi), Paolo Arrivabeni nous a accordé un entretien : rencontre avec un chef passionné, amoureux des voix, aux goûts très éclectiques !
© D.R.
Stéphane LELIÈVRE : Votre actualité immédiate, c’est le Ballo in maschera de Verdi, donné en ce moment même à l’Opéra de Marseille. Un Ballo a été créé en 1859, à une époque où Verdi semble s’orienter vers une écriture novatrice, affranchie de certains codes belcantistes, de certaines formules musicales parfois un peu figées… De fait, la facture des airs y est extrêmement originale, et l’écriture orchestrale très fouillée… Que représente cette œuvre pour un chef familier du répertoire verdien comme vous l’êtes ?
Paolo ARRIVABENI : En effet, Ballo in maschera signe une évolution dans le style verdien, plus raffiné ici, notamment dans l’écriture des airs. Pensons par exemple à l’air d’Amelia au troisième acte, « Morro, ma prima in grazia » accompagné par un merveilleux solo de violoncelle, caractéristique que l’on retrouvera bien plus tard dans le grand air de Philippe II dans Don Carlos, ou encore au cantabile de l’air de Renato (« O dolcezze perdute! O memorie… »), magnifiquement écrit avec l’accompagnement d’une harpe et de deux flûtes. Verdi abandonne dans cette œuvre la structure Air-Cabaletta, l’air constituant un bijou isolé dans un discours musical très varié. Par ailleurs, Un Ballo in maschera comporte deux tonalités, deux couleurs très différentes : l’une est très dramatique et sombre (pensons à la sortie d’Ulrica), l’autre plus pétillante et joyeuse, comme ce que font entendre les couplets d’Oscar. Le défi, pour tout chef d’orchestre qui dirige Ballo in maschera, est de trouver l’équilibre entre ces deux éléments, de les mettre en lumière tout en soulignant le contraste qui s’opère entre eux.
Ci-dessous, Paolo Arrivabeni parle de Verdi et de Don Carlos à l’occasion des représentations de cette œuvre données à Liège en 2020 :
S. L. : J’évoquais à l’instant le répertoire belcantiste que vous dirigez très fréquemment, et plus généralement le répertoire italien du premier ottocento. Un répertoire magnifique, mais que certains considèrent comme moyennement ou peu intéressant pour ce qui est de l’écriture orchestrale, et donc pas toujours passionnant à diriger. Que leur répondez-vous ?
P. A. : La densité de l’orchestre dans le répertoire du Belcanto italien est certes moins intense que dans la production verdienne, plus mature… Mais elle est tout autant fascinante et délicate. Et certainement pas moins intéressante ! La beauté et la génie ne sont absolument pas liés aux dimensions de l’orchestre !
S. L. : Mon collègue Hervé Casini, à l’occasion du Nabucco que vous avez dirigé à Marseille en avril 2023, vous qualifiait d’« authentique chef de théâtre ». Il est vrai que, même si vous dirigez également le répertoire symphonique, vous consacrez une grande part de vos activités à l’opéra. Qu’est ce qui fait qu’un chef s’oriente vers le répertoire lyrique plutôt que vers les œuvres purement instrumentales ? Le hasard des demandes que l’on vous fait ? Une passion personnelle ?
P. A. : Belle question ! Comme la plupart de mes collègues je me suis attaché au répertoire symphonique, à mes débuts. Mais la vie m’a porté à étudier à Parme, où l’opéra fait partie intégrante de la vie quotidienne, et j’ai commencé a travailler comme chef de chant dans plusieurs théâtres. D’où mon amour pour les voix et pour l’opéra… Ce que j’apprécie particulièrement dans cette forme d’art, c’est qu’elle me permet de respirer l’ambiance qu’il y a dans une maison d’opéra, de la première répétition jusqu’à la dernière représentation d’une série de spectacles. Et puis, comme l’on bénéficie d’assez longues périodes de répétitions, on a aussi la chance de vivre dans les villes où on est amené à voyager et de bien les connaître !
S. L. : Quelles sont selon vous les qualités requises pour être un « authentique chef de théâtre » ?
P. A. : Le respect de ce qu’a écrit le compositeur tout d’abord ; puis une bonne dose de psychologie, aimer les voix, doser tous les ingrédients qui sont à notre disposition, savoir faire fusionner orchestre, chœur, solistes et mise en scène. Un peu comme le ferait un cuisinier qui essaie une recette… sauf que la recette imaginée dans la tête du chef doit absolument être gagnante !
S. L. : Vous avez déjà donné des masterclass ; vous participez parfois à des jurys de concours : on se souvient notamment du concours de la Fondation Polycarpe à Liège (Michele Spotti avait remporté le deuxième prix et il est d’ailleurs maintenant directeur musical de l’opéra de Marseille). C’est important pour vous de découvrir de nouveaux talents ? Aimez-vous l’enseignement, la transmission ?
P. A. : Mais les jeunes talents sont notre futur ! J’aime toujours transmettre mes connaissances et mon expérience aux plus jeunes, c’est quelque chose de fondamental pour moi. la direction d’orchestre est évidemment un art qui ne s’improvise pas et que les jeunes doivent apprendre. Je trouve que c’est une chose très difficile à enseigner… J’ai eu à mes débuts la chance de suivre des chefs d’orchestre pendant leurs productions et j’ai beaucoup appris à leur contact, notamment en travaillant comme assistant. Je suis toujours content quand un jeune me demande de suivre mes répétitions et discute avec moi : l’échange est quelque chose de primordial.
Paolo Arrivabeni à l'Opéra de Marseille en juin 2024, à l'occasion du Ballo in maschera
© Bianca L. Nica
S. L. : Metropolitan Opera, Staatsoper de Berlin, Bayerische Staatsoper, Fenice de Venise… Vous avez dirigé dans les plus grandes salles du monde, ce qui ne vous empêche pas de revenir très régulièrement à Marseille : ce Ballo in maschera est d’ailleurs l’occasion de célébrer vos 20 ans de collaboration avec cette institution. Qu’est-ce qui vous attache tout particulièrement à cette ville et à son opéra ?
P. A. : L’ambiance, la chaleur, l’accueil que j’y ai trouvés dès mes débuts ! Au cours de ces dernières années, les forces artistiques de la maison ont beaucoup gagné en qualité. Maurice Xiberras, le directeur de l’Opéra, m’a vraiment prouvé sa confiance, notamment en m’invitant à diriger des titres comme Lohengrin et Boris Godounov, ce que j’ai beaucoup apprécié. En vingt ans de collaboration, nous avons appris à nous connaître de mieux en mieux et c’est chaque fois plus agréable de faire de la musique ensemble !
S. L. : Y a-t-il une œuvre, ou plus généralement un répertoire que vous fréquentez assez peu, mais que vous dirigeriez volontiers plus souvent si on vous en donnait la possibilité ?
P. A. : Oui, Wagner et Strauss que j’aime tellement… (Mais je suis ravi même quand je dirige Verdi et Puccini !!)
Paolo Arrivabeni dirige l'ouverture du Vaisseau fantôme à Liège en 2013
S. L. : Un mot sur vos projets ?…
P. A. : La route suit son cours : la saison prochaine je reviendrai à Marseille pour Madama Butterfly, que j’adore, et d’autre projets sont également à l’étude. Et je serai aussi à Zurich pour Simon Boccanegra, à Copenhague pour Maria Stuarda, à Dresde pour Butterfly, Hambourg pour Il Trovatore et à Berlin pour Aida et Nabucco.
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Première Loge souhaite un très beau succès au maestro Arrivabeni et à tous les artistes qui interprètent actuellement le Ballo in maschera de Verdi à l’Opéra de Marseille ! (Jusqu’au mardi 11 juin 2024).