Coup de maître que celui de cette Clemenza di Tito, unique opus lyrique du divin Wolfgang pour cette édition 2024 !
Les organisateurs du festival international d’art lyrique d’Aix-en-Provence ont décidément le nez creux lorsqu’ils concoctent les distributions de leurs opéras en version de concert mises en espace ! Après les soirées triomphales de l’été dernier pour Otello, Le Prophète et la version française de Lucie de Lammermoor, c’était au tour, cette année, des artistes réunis pour La Clemenza di Tito de déclencher le délire d’un public chauffé à blanc par tant de beautés vocales !
Rendons tout d’abord grâce à l’artisan dramaturgique de ce succès, le chef Raphaël Pichon qui, à la tête de Pygmalion, l’ensemble orchestral – sur instruments d’époque – et choral qu’il a fondé en 2006 impose, dès l’Ouverture, un climat rythmique empreint, tout à la fois, d’une noble tension dramatique – l’opera seria de Mozart puise son inspiration, on le sait, dans les sources antiques et la tragédie classique – et d’une pulsation qui, osons l’anachronisme, fait swinguer la phalange ! En regardant ce chef étendre non seulement ses bras mais son corps tout entier pour accompagner du geste le choix de certains de ses tempi et de ses silences, on est fasciné par cette dimension quasi-artisanale – au sens noble du mot – de « faire musique » avec ses instrumentistes mais aussi avec des choristes dont il anticipe, sur les lèvres, chacun des mots, particulièrement ciselés ici. Ainsi, en écoutant le quintetto con coro final de l’acte I, avec son évolution dramatique dans la confusion des sentiments chez la plupart des personnages, on reste admiratif de cette façon qu’à Raphaël Pichon de maintenir la cohérence de l’ensemble et on lui sait gré de nous faire entrevoir ce que Mozart – qui, comme on le sait, disparait quelques mois après sa composition – aurait pu apporter à la dramaturgie lyrique du XIXe siècle…
Si la mise en espace de Romain Gilbert, déjà présent l’été dernier sur Otello et Le Prophète, sous-tendue par les lumières de Cécile Giovansili Vissière, trouve ici tout son intérêt, c’est par les nombreux jeux de regard et de positionnement des protagonistes dans l’espace scénique qu’elle favorise : Sesto et Tito, magnifiquement éclairés, peuvent ainsi, au milieu du chœur en fond de scène, prendre toute leur dimension sur certaines scènes clés de l’ouvrage.
Face à un chef d’orchestre pouvant soudainement adopter un tempo d’enfer, un ensemble de chanteurs passionnés s’avérait indispensable et, sur ce plan également, cette soirée nous réserve de bien beaux moments !
Le Publio de Nahuel di Pierro – apparaissant également cet été dans la distribution du Samson de Rameau – impose une présence scénique et vocale malgré la brièveté de ses interventions. Avec la Servilia de la soprano américaine Emily Pogorelc, on est sans nul doute face à une artiste en devenir – elle a déjà incarné Lucia à Hambourg et Lisette dans La Rondine au Met ! – qui signe ici une très convaincante prestation. L’Annio de Lea Desandre délivre une leçon de beau chant, d’art du phrasé et de délicatesse musicale infinie et ce, dès son premier duo avec Servilia « Più che ascolto i sensi tuoi », avant d’évoluer sur des sommets, au début de l’acte II, dans son air « Torna di Tito a lato », tout de mesure et de rayonnement serein : que c’est beau !
Du trio de tête, nous ne ferons pas exception à ce qui a déjà été écrit par de nombreux collègues en confirmant que, selon nous, Pene Pati rachète par une sensibilité et une musicalité sans failles un manque de vocalità véritablement mozartienne. Avec le ténor samoan, ce soir, il faut rechercher les moments de plaisir dans l’introspection d’un artiste qui en impose davantage par un charisme naturel que par des vocalises stratosphériques.
C’est là l’exact opposé de Karine Deshayes, en grande forme vocale, qui, pour sa prise de rôle en Vitellia, délivre une fort belle performance dans un rôle dont elle maîtrise, de l’extrême grave de son air de bravoure « Non più di fiori » – quelle magnifique complicité avec le cor de basset de Nicola Boud ! – au contre-ré du terzetto avec Annio et Publio à l’acte I, toute l’étendue vocale.
Reste le Sesto de Marianne Crebassa qui casse la baraque à l’applaudimètre après son « Parto, ma tu ben mio », conversation en musique avec la clarinette de basset, si poétique et brillante, de Nicola Boud. On ne sait que louer davantage chez la mezzo-soprano montpelliéraine, des couleurs mordorées d’un timbre charnu, de l’art de la vocalise enivrante et virtuose ou de ce souci du legato qui, évidemment, fait merveille tout au long des recitativi, duos et terzetti dont sa partie est truffée : une fête de tous les instants pour chacune des apparitions de l’une des artistes les plus convaincantes de la scène lyrique internationale actuelle !
Une excitante soirée.
Tito : Pene Pati
Vitellia : Karine Deshayes
Sesto : Marianne Crebassa
Annio : Lea Desandre
Servilia : Emily Pogorelc
Publio : Nahuel di Pierro
Chœur et Orchestre Pygmalion, direction : Raphaël Pichon
Mise en espace : Romain Gilbert
Lumières : Cécile Giovansili Vissière
La Clemenza di Tito, K.621
Opera seria en deux actes de Wolfgang Amadeus Mozart, livret de Caterino Mazzolà d’après Pietro Metastasio (1734) et La Vie des douze Césars de Suétone (121), créé au Théâtre national, Prague, le 6 septembre 1791
Festival d’Aix-en-Provence, représentation du 23 juillet 2024.