Si la voix fut très présente cette année (avec entre autres événements des Nuits d’été chantées par Isabelle Druet ou encore Le Songe d’une nuit d’été de Mondelssohn par Jérémie Rhorer, la soprano Magali Simard-Galdès et la mezzo Valentina Stadleret), la grande œuvre vocale de cette édition 2024 du Festival Berlioz aura été L’Enfance du Christ, donnée ce vendredi 30 août dans la cour du château Louis XI.
Le concert a été précédé d’un récital Stéphanie-Marie Degand / Marie-Josèphe Jude, donné dans l’Église de la Côte-Saint-André, au cours duquel la violoniste et la pianiste ont proposé un programme Ludwig van Beethoven, Clara Schumann, César Franck, les œuvres choisies présentant toutes la particularité d’avoir été écrites en l’honneur d’un violoniste célèbre.
On sait l’extrême difficulté de la Sonate n°9 pour piano et violon de Beethoven, que le célèbre violoniste français Rodolphe Kreutzer, dédicataire de l’œuvre, refusa de jouer, la jugeant « inintelligible pour le public ». Les deux artistes ici réunies en offrent une interprétation remarquable, rendant au mieux les contrastes qui structurent l’œuvre, de l’énergique coda concluant le premier mouvement aux variations tantôt amples, tantôt virtuoses, tantôt délicates du second mouvement, précédant l’exubérance quasi frénétique du mouvement final, ou piano et violon donnent l’impression de se poursuivre, de se chercher, de se trouver, de se relancer mutuellement : un sommet de virtuosité maîtrisée et expressive !
Marie-Josèphe Jude et Stéphanie-Marie Degand proposent ensuite une interprétation délicate de la première des Trois Romances de Clara Schumann (dédiées au violoniste hongrois Joseph Joachim), dont le lyrisme tendre offre une belle transition vers le post- (ou néo-) romantisme de César Franck : le concert s’achève en effet par la célèbre Sonate pour piano et violon en la majeur, ou l’art du dialogue entre les deux musiciennes, dont les instruments, par les effets de rythmes, de couleurs, de nuances qu’ils font entendre, donnent véritablement l’impression de s’écouter et de se répondre, arrache aux spectateurs des applaudissements nourris. En bis, une « Méditation » de Thaïs sobre, précise, sans alanguissements excessifs… Bref, une version « allégée en sucre » !
21h : le grand concert du jour débute dans la cour du Château Louis XI. C’est à l’orchestre philharmonique et au chœur du Forum National de la Musique de Wrocław qu’échoit la tâche de défendre la célèbre « trilogie sacrée pour orchestre, chœur et solistes en trois tableaux » de Berlioz, que nous sommes plus habitués à voir programmée pour les fêtes de Noël qu’en pleine période estivale – même si l’œuvre n’évoque pas la seule naissance du Christ mais également la fuite en Égypte qui put avoir lieu, selon les exégètes, lors des deux premières années du divin enfant. À quelques attaques près, légèrement imprécises en début de concert, l’orchestre du NFM de Wrocław a brillé par son homogénéité et sa science des nuances et du coloris, suscitant des applaudissements enthousiastes des spectateurs à la fin du concert. La direction de Paul McCreesh a elle aussi été très appréciée. Le chef d’orchestre anglais a privilégié l’aspect suave, éthéré, parfois presque « statique » de l’œuvre (superbe conclusion de la dernière partie), privilégiant la superposition des plans à l’ « allant » de certaines pages. C’est une option qui se défend parfaitement même si, à titre personnel, nous préférons une lecture qui souligne plus les contrastes de la partition, laquelle offre également quelques moments « qui avancent » (vivacité du rythme du dialogue entre le centurion et Polydore ; suppliques de Marie et Joseph tentant d’obtenir un asile), voire des parenthèses dramatiques, quasi « opératiques » (le songe d’Hérode).
Si l’on remarque l’absence de francophones dans la distribution, on doit reconnaître que la diction des interprètes et l’intelligibilité de leur français va du correct (Marie, Hérode) au très bon (le père de famille, Joseph), voire l’excellent (le récitant). La présence de Benjamin Appl dans un rôle aussi bref que celui de Joseph est un luxe ; son épouse Marie est incarnée par une Anna Stephany soignant particulièrement sa ligne de chant dans les longues phrases de ses premières interventions. Neal Davis est un Hérode d’une belle intériorité, au chant nuancé (bel usage de la voix de tête : « Ô, nuit profonde… »), dont le fameux « songe » ne produit cependant pas toute l’émotion attendue. Peut-être la faute en incombe-t-elle à un vibrato un peu trop prononcé, et à un français parfois perfectible. Ashley Riches est un charpentier à la voix et au chant aussi généreux que l’est son geste envers la Sainte Famille.
© D.R.
Enfin, Laurence Kilsby, remarquable en ces mêmes lieux l’an dernier dans le double rôle d’Iopas et Hylas, stupéfie par la beauté de sa voix, la pureté de son style, sa maîtrise technique (magnifique diminuendo sur le « Tous attendaient » de la première partie), l’excellence de sa diction. Les rôles de premier plan lui tendent désormais les bras (certains Mozart, certains opéras-comiques, certains rôles italiens légers) : il est dorénavant grand temps que les théâtres les lui confient !
Concert de 17h :
Stéphanie-Marie Degand, violon
Marie-Josèphe Jude, piano
Concert de 21h :
Le récitant : Laurence Kilsby
Marie : Anna Stephany
Joseph : Benjamin Appl
Un père de famille : Ashley Riches
Hérode : Neal Davies
Centurion : Paweł Zdebski
Polydorus : Michał Pytlewski
Concert de 17h :
Beethoven, Sonate n°9 op. 47
C. Schumann, Romance n°1,op.22
Franck, Sonate pour piano et violon en la majeur
Eglise de la Côte Saint-André, concert du vendredi 30 août 2024.
Concert de 21h :
Hector Berlioz, L’Enfance du Christ
Trilogie sacrée sur des paroles d’Hector Berlioz
La Côte Saint-André, Château Louis XI, concert du vendredi 30 août 2024.