Opera seria en deux actes de Vincenzo Bellini, livret de Felice Romani, créé le 26 décembre 1831 à Milan (Teatro alla Scala).
LES AUTEURS
Le compositeur
Portrait de Bellini par Giuseppe Tivoli (Museo internazionale e biblioteca della musica, Bologna)
Vincenzo Bellini (1801-1835)
Bellini naît à Catane en 1801 dans une famille de musiciens. À Naples, il bénéficie d’une formation musicale assurée par de grands maîtres de l’époque et de Zingarelli, directeur du conservatoire. La fin de sa formation est couronnée par les représentations de ses deux premiers opéras : Adelson e Salvini, représenté sur la scène du conservatoire en 1825 et, un an plus tard, Bianca e Fernando, sur la scène du San Carlo. Dès lors, les grands théâtres italiens ouvrent leurs portes au jeune compositeur : la Scala (Il pirata en 1827, La straniera en 1829, Norma et La sonnambula en 1831) ; Teatro Regio de Parme (Zaira, 1829) ; Fenice de Venise (I Capuleti e i Montecchi, 1830, Beatrice di Tenda, 1833).
Il voyage également en Europe, notamment à Londres et Paris où il fait représenter son ultime chef-d’œuvre : I puritani e i cavalieri en 1835.
La disparition brutale de ce compositeur de 34 ans quelques mois après le triomphe de cette dernière création privera l’histoire de l’Opéra de possibles chefs-d’œuvre à venir… mais aussi Verdi du seul véritable rival qu’il eût pu connaître en Italie. Le charme prégnant des mélodies belliniennes fit l’admiration de compositeurs pourtant parfois assez éloignés de cette écriture et de cette esthétique, tels Chopin ou encore Wagner – qui dirigea Norma à Riga en 1837.
Le librettiste
Felice Romani (1788-1865)
Romani naît à Gênes en 1788. Il suit de brillantes études de lettres dans l’université de cette ville, et devient un spécialiste reconnu de la littérature française (de fait, plusieurs de ses livrets, tel celui de Norma, seront des adaptations d’œuvres françaises) ainsi que de l’Antiquité et de la mythologie. Poète et critique musical et littéraire, c’est en tant que librettiste qu’il acquiert sa plus grande renommée. Extrêmement prolifique (il est l’auteur de près d’une centaine de livrets !), il écrivit de nombreux textes pour :
- Rossini : Aureliano in Palmira, Il turco in Italia, Adina ;
- Bellini : Il pirata, La straniera, Zaira, I Capuleti e i Montecchi, La sonnambula, Norma, Beatrice di Tenda ;
- Donizetti : Chiara e Serafina, Alcina, regina di Golconda, Rosmonda d’Inghilterra, Anna Bolena, L’elisir d’amore, Lucrezia Borgia,…;
- et Verdi : Un giorno di regno.
L'ŒUVRE
La création et la fortune de l'œuvre
Giuditta Pasta en Norma, par François Gérard
La première de Norma fut accueillie plus que fraîchement par le public : difficulté de l’écriture vocale (qui causa sans doute bien des difficultés aux interprètes, pourtant des plus aguerris : Giuditta Pasta chantait le rôle-titre, Giulia Grisi Adalgisa, Domenico Donzelli Pollione), originalité de l’œuvre, cabale fomentée par Pacini et son amante la vicomtesse Youlia Samoïloff,… Les raisons expliquant cet échec sont multiples, mais n’empêchèrent pas l’œuvre de triompher au bout de quelques représentations, et de devenir rapidement l’un des opere serie les plus joués du répertoire, et l’un des rares à n’avoir jamais connu l’oubli. C’est aujourd’hui encore le plus connu et le plus souvent représenté des opéras de Bellini.
Le livret
Les sources littéraires
Felice Romani s’inspire, pour son livret, de la tragédie française en cinq actes et en vers d’Alexandre Soumet, Norma, créée au Théâtre Royal de l’Odéon neuf fois seulement avant l’opéra de Bellini, le 6 avril 1831.
L’intrigue
ACTE I
Nous sommes en Gaule romaine, au premier siècle avant Jésus-Christ. Oroveso (basse), le chef des druides, rassure les Gaulois : sa fille Norma (soprano), la grande prêtresse, doit bientôt accomplir la cérémonie de la cueillette du gui : il se peut qu’elle donne enfin le signal de la révolte contre l’occupant, attendue impatiemment par tous les Gaulois.
Paraît Pollione (ténor), proconsul romain, qui confie au soldat Flavio que son amour pour Norma s’est éteint (il a eu de la grande prêtresse deux enfants qu’elle élève dans le plus grand secret…), et qu’il aime dorénavant la jeune prêtresse Adalgisa (soprano).
Mais Pollione et Flavio sont interrompus par l’entrée des druides et de Norma. Aux Gaulois qui manifestent leurs velléités de révolte, la grande prêtresse explique que l’heure n’est pas encore à la guerre. De toute façon, Rome, prédit-elle, tombera bientôt, victime de ses propres vices.
Alexandre Soumet (1786-1845)
Alexandre Soumet, Norma, Acte I scène 3 (1831)
Norma chante alors une prière pour la paix adressée à la lune, le célébrissime « Casta diva », avant d’avouer en aparté qu’elle se refuse à agir contre le proconsul Pollione, qu’elle aime toujours en secret…
Décor pour le premier acte de Norma (première représentation de l'œuvre au Théâtre-Italien), par Domenico Ferri
Casta diva par Sondra Radvanovki à l'Opéra de paris (dir. Philippe Jordan,)
Pollione a demandé à Adalgise d’abandonner son pays et sa religion et de le suivre à Rome. Indécise, la jeune fille vient solliciter l’avis de Norma, qui se montre dans un premier temps compréhensive : ne s’est-elle pas elle aussi récemment détournée de ses devoirs et de sa religion pour succomber à l’amour d’un occupant romain ? Mais Pollione paraît, et Norma réalise que le séducteur d’Adalgisa n’est autre que l’homme qu’elle aime. Adalgisa comprend alors que le proconsul a trahi la grande prêtresse, tandis que Norma ne peut réfréner sa fureur.
ACTE II
Norma, anéantie par la trahison de Pollione, observe ses enfants endormis et songe un instant à les poignarder… Elle reprend ses esprits cependant, et appelle Adalgisa à qui elle décide de les confier. Mais Adalgisa refuse, et déclare vouloir convaincre Pollione de revenir à son premier amour. Les deux femmes se jurent une amitiés éternelle.
Oroveso et les guerriers gaulois attendent toujours que Norma leur donne le signal de la révolte. Lorsque la prêtresse apprend qu’Adalgisa a échoué à convaincre Pollione, elle déclare que la guerre contre les Romains est désormais ouverte.
Pollione est arrêté au moment même où il s’apprêtait à enlever Adalgisa. Devant Norma qui l’interroge, le proconsul refuse de renoncer à Adalgisa. Norma convoque alors les Gaulois pour leur donner le nom d’une prêtresse qui a trahi son pays, son devoir et ses dieux. Pollione la supplie de ne pas dénoncer Adalgisa, mais Norma, à la stupeur du proconsul, annonce aux Gaulois que la traitresse n’est autre… qu’elle-même.
Norma est condamnée au bûcher. Elle avoue à son père Oroveso qu’elle est mère de deux enfants et les lui confie, avant de s’immoler par le feu, rejointe par Pollione, bouleversé par le caractère sublime de ce sacrifice – et dévoré par le repentir.
La partition
© Gallica / Bnf
Norma est non seulement une œuvre majeure du répertoire belcantiste : c’est aussi l’un des opéras les plus importants de l’histoire de la musique. Empreint d’une grandeur tragique ressortissant encore au classicisme, c’est aussi un des exemples les plus aboutis du premier romantisme italien, porté par un génie mélodique qui atteint rarement de tels sommets, y compris dans les autres opus belliniens (beaucoup considèrent d’ailleurs la prière « Casta diva » comme l’une des plus belles mélodies jamais composées…).
Mais au-delà de cet art de la mélodie, le génie de Bellini s’exprime également dans une écriture orchestrale sobre mais raffinée, et surtout dans un sens de l’effet et de l’émotion remarquable. La musique n’est jamais platement illustrative ni hédoniste : elle est toujours au service du drame, et son adéquation avec le texte et les situations vécues par les personnages est constante : n’est-ce pas ce qui séduisit Richard Wagner lui-même, pourtant si méprisant habituellement avec le répertoire italien du XIXe siècle ? Wagner, conquis par ce chef-d’œuvre, le dirigea plusieurs fois, et alla même jusqu’à composer un air supplémentaire pour Oroveso – une curiosité que vous pouvez entendre ici :
Wagner - "Norma il predisse, o Druidi" (Daniel Mobbs, août 2009)
Les pages remarquables ne manquent pas dans ce chef-d’œuvre : outre le « Casta diva » précédemment cité, citons les deux duos entre Adalgisa et Norma ; la confrontation dramatique entre Pollione, Adalgisa et Norma au finale du premier acte ; l’extraordinaire première scène du second acte, où les violoncelles chantent le désespoir de l’héroïne avant que celle-ci ne délivre, devant ses enfants endormis, un bouleversant « Teneri figli » à faire pleurer le pierres ; la supplique adressée par Oroveso avant qu’elle ne se jette dans le bûcher (« Deh, non volerli vittime… »). Mais Norma est loin de se résumer à une succession de pages remarquables : c’est aussi la continuité du discours, la progression dramatique, la caractérisation des personnages qui séduisent et marquent durablement le spectateur. Le rôle-titre, particulièrement riche, est l’un des plus éprouvants de tout le répertoire : la chanteuse doit tout à la fois maîtriser les coloratures de « Ah ! bello, a me ritorna » ou de « Sì, fino all’ore estreme », les éclats virtuoses et puissamment dramatiques de « Trema per te, fellon ! », le legato infini de la prière du première acte ou de « Teneri figli », le hiératisme tragique de « Sediziose voci ». Autant dire que les très grandes titulaires du rôle ne sont pas légion… La grande Lotte Lehmann n’affirmait-elle pas préférer chanter les trois Brünnhilde du Ring plutôt qu’une seule Norma ?…
NOTRE SÉLECTION POUR VOIR ET ÉCOUTER L'ŒUVRE
Nous apprécions tout particulièrement les enregistrements signalés par une étoile.
CD
Cigna, Stignani, Breviario – Gui / Orchestre symphonique et chœur de l’EIAR de Turin, 1937 (Warner Fonit)
Callas, Stignani, Filippeschi – Serafin / Orchestre et chœur de la Scala de Milan, 1954 (Warner Classics)
Callas, Simionato, del Monaco – Votto / Chœur et orchestre de la Scala de Milan, 1955 (Myto)
Callas, Ludwig, Corelli – Serafin / Orchestre et chœur de la Scala de Milan, 1960 (Warner Classics)
Sutherland, Horne, Alexander – Bonynge / The London Symphony Orchestra and Chorus, 1965 (Decca)
Suliotis, Cossotto, Del Monaco – Varviso / Orchestre et chœur de l’Académie Sainte-Cécile de Rome, 1968 (Decca)
Caballé, Cossotto, Domingo – Cillario/ Ambrosian Opera Chorus, London Philharmonic Orchestra, 1973 (RCA)
Sills, Verrett, Di Giuseppe – Levine / John Alldis Choir, New Philharmonia Orchestra, 1973 (DG)
Scotto, Troyanos, Giacomini – Levine / Ambrosian Opera Chorus, National Philharmonic Orcestra, 1980 (CBS)
Sutherland, Caballé, Pavarotti – Bonynge / Orchestre et chœur du Welsh Ntional Opera, 1988 (Decca)
Eaglen, Mei, La Scola – Muti / Orchestre et chœur du Maggio Musicale Fiorentino, 1995 (EMI)
Bartoli, Jo, Osborn – Antonini / Orchestra La Scintilla, 2013 (Decca)
Rebeka, Deshayes, Ganci – Fiore / Orchestre et chœur du Teatro Real, Madrid, 2024 (Prima Classic)
DVD et Blu-ray
Caballé, Veasy, Vickers – Patanè, Sequi / Orchestre et chœur du Teatro Regio de Turin, Orange, 1974 (VAI)
Sutherland, Troyanos, Ortiz – Bonynge, Mansouri / Canadian Opera Company orchestra and chorus, 1981 (VAI)
Anderson, Barcellona, Young Hoon – Biondi, Ando / Europa Galante, coro del Festival Verdi, Parme, 2001 (Arthaus Musik)
Gruberova, Ganassi, Todorovich – Haider, Rose / chœur et orchestre de la Bayerische Staatsoper, Munich, 2006 (Unitel)
Dessi, Aldrich, Armiliato – Pido, Tiezzi / Bologne, 2008 (Hardy)
Papian, Tsirakidis, Smith – Reynolds, Joosten / Deneder Landse Opera, 2008 (Opus Arte)
Cedolins, Ganassi, La Scola – Carella, Negrin / Orchestre symphonique et chœur du Liceu, 2015 (Arthaus)
Radvanovsky, Gubanova, Kunde – Palumbo, Newbury / Orchestre symphonique et chœur du Liceu, 2015 (Major)
Radvanovsky, DiDonato, Calleja – Rizzi, McVicar / Chœur et orchestre du Metropolitan Opera, 2018 (Erato)
Streaming
Gavazzeni, Bolognini / Caballé, Troyanos, Lamberti (Scala, 1977)
Garcia Asensio, Siciliani / Caballé, Cossotto, Lavirgen (Madrid, 1978)
Bonynge, Mansouri / Sutherland, Troyanos, Ortiz (Canadian Opera Company, 1981, sous-titres en anglais)
Haiden, Rose / Gruberova, Ganassi, Todorovich (Munich, 2006)
Carminati, Pontiggia / Theodossiou, Donose, Sartori (Las Palmas, 2011)
Carella, Castiglione / Schillaci, Chauvet, Kunde (Taormine, 2012)
Santi, Amato / Devia, Polverelli, Ganci (Naples, 2016)
Palumbo, Pontiggia / Pirozzi, Stroppa, Sandoval (Buenos aires, 2018)
Passerini, Giacomazzi et Di Gangi / Rebeka, Barakova, Korchak (Palerme, 2023)
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