Madama Butterfly, Opéra Bastille, 14 septembre 2024
Des interprètes méritants pour cette reprise du spectacle de Bob Wilson créé en 1993
Une mise en scène atemporelle
111e représentation de Madama Butterfly dans la conception de Robert Wilson. Depuis la création des mois de novembre-décembre 1993, il s’agit en effet de sa dixième reprise, la dernière datant de septembre-octobre 2019. Au bout de plus de trente ans, le pari pourrait être hasardeux. Force est de constater que cette production très épurée, récusant tout japonisme de pacotille, reste toujours un achèvement séduisant. Son décor minimaliste (toujours de Bob Wilson) renvoyant plutôt à l’esthétique du théâtre nô, la gestuelle et la démarche atemporelles des acteurs, des costumes peu connotés (Frida Parmeggiani), les lumières rouges, jaunes et bleues (pensées par le metteur en scène et par Heinrich Brunke) et la chorégraphie stylisée (Suzushi Hanayagi) de l’épisode du mariage inscrivent cette réalisation en dehors de toute référence séculière et lui confèrent une dimension universelle.
Une distribution renouvelée
Puisque, dans le temps, cette mise en scène a déjà fait couler des flots d’encre, arrêtons-nous surtout sur l’exécution de ce soir, deuxième titre de la saison 2024-2025, après Falstaff. La distribution se singularise par des interprètes ayant peu chanté le chef-d’œuvre de Puccini, voire en prise de rôle, à l’exception du vétéran Carlo Bosi : Goro à la diction très idiomatique, il laisse néanmoins transparaître un léger manque de projection dans les premières scènes. Lui donne la réplique le Sharpless à la belle présence scénique et à l’intonation noble de Christopher Maltman, dont le grave fait des merveilles pour ses débuts en consul des États-Unis.
Le couple protagoniste souffre probablement de la conception même du spectacle et reste assez souvent en retrait lorsqu’il s’agit de donner corps aux sentiments et de faire vivre le drame. Pinkerton à l’articulation très intelligible, Stefan Pop possède une bonne projection mais le haut du registre sonne parfois peu naturel, notamment pour sa sortita, quitte par moment à céder au hurlement, comme dans le duo de l’acte I, par ailleurs mené avec complicité auprès de sa partenaire. Sans doute ayant acquis davantage de confiance, il déploie toute la volupté de sa ligne dans l’épilogue des retrouvailles.
Quelque peu appliquée à son entrée, la Cio-Cio-San d’Eleonora Buratto semble d’abord affligée d’un vibrato trop prononcé qui s’estompe cependant, l’action avançant. Bien chantée, sa geisha a tout de même du mal à transmettre une certaine sympathie, dans le sens étymologique du terme : malgré les applaudissements de son air de l’espoir, le spectateur ne perçoit guère d’émotion dans la manifestation de ces vaines illusions. Le drame reste plutôt figé jusque dans le duo des fleurs avec la Suzuki d’Aude Extrémo, elle aussi en prise de rôle, qui sonne légèrement voilée pendant les deux premiers actes, avant de nourrir son personnage de belles couleurs lors des ultimes désillusions. C’est d’ailleurs à la scène finale que point enfin la passion, ainsi portée par le savant legato et le lyrisme généreux de l’héroïne.
Yamadori hiératique, Andres Cascante donne au prince toute la palette de son beau grave. Aucun des personnages secondaires ne démérite, tous issus soit de la Troupe lyrique de l’Opéra national de Paris (Vartan Gabrielian en zio Bonzo), soit de l’Académie (Sofia Anisimova en Kate Pinkerton), ou encore des chœurs (le Yakusidé de Young-Woo Kim, le commissaire impérial de Bernard Arrieta, l’officier du registre de Hyunsik Zee, la mère de Marianne Chandelier, la tante de Liliana Faraon et la cousine de Stéphanie Loris).
Ovation pour Bob Wilson
Harmonieux lors du mariage, les chœurs de la maison se font judicieusement crépusculaires pour le célèbre coro a bocca chiusa. Quelque peu saccadée, la direction de Speranza Scappucci se distingue par la justesse des vents et des cordes, notamment dans l’introduction à l’acte III, préludant au lever du jour, et par la pertinence des percussions lorsque se consume le sacrifice.
Ovation au rideau final pour Bob Wilson, venant saluer le public. Fait plutôt rare pour la reprise d’un ancien spectacle, cela vaut la peine d’être relevé. Merci monsieur Wilson !!!
Madama Butterfly (Cio-Cio-San) : Eleonora Buratto
Suzuki : Aude Extrémo
Kate Pinkerton : Sofia Anisimova
B.F. Pinkerton : Stefan Pop
Sharpless : Christopher Maltman
Goro : Carlo Bosi
Il principe Yamadori : Andres Cascante
Lo zio Bonzo : Vartan Gabrielian
Yakusidé : Young-Woo Kim
Il commissario imperiale : Bernard Arrieta
L’ufficiale del registro : Hyunsik Zee
La madre di (Cio-Cio-San) : Marianne Chandelier
La zia : Liliana Faraon
La cugina : Stéphanie Loris
Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris, dir. Speranza Scappucci et Alessandro Di Stefano
Mise en scène, décors et lumières : Robert Wilson
Costumes : Frida Parmeggiani
Lumières : Heinrich Brunke
Chorégraphie : Suzushi Hanayagi
Dramaturgie : Holm Keller
Madama Butterfly
Tragedia giapponese en trois actes de Giacomo Puccini, livret Giuseppe Giacosa et Luigi Illica, créé au Teatro alla Scala de Milan le 17 février 1904 (version remaniée : Teatro Grande de Brescia, le 28 mai 1904).
Paris, Opéra Bastille, 14 septembre 2024
4 commentaires
Grazie per il suo racconto di questa Butterfly! In questo anno Puccini ha riempito il riempibile e non sempre in modo piacevole e minimamente professionale! Anche grandi organizzazioni hanno, a mio parere, sbagliato l’approccio al suo « sentire »!! Leggere di questa « datata », ma funzionale, produzione è un piacere! Tutto sembra essere stato lasciato a quello che un’opera può trasmettere il messaggio che porta: la musica e le voci!! E in Butterfly il « sor Giacomo » sembra aver speso tutto il conforto avuto dal latte alla portoghese che la sua cuoca con tanto amore gli cucinava!! Un « cibo » semplice, fatto di pochi ingredienti ma sapientemente mescolati per raggiungere il sublime, beato sapore del piacere, fino allo sconforto della tazza vuota a cui non rimane nemmeno un goccio di mandorle zuccherate …
Madame Butterfly 1993, Aida 1913… un passé intemporel brille dans le présent. Pascoli était génial quand il écrivait à Puccini :
Caro nostro e grande Maestro,
la farfallina volerà:
ha l’ali sparse di polvere,
con qualche goccia qua e là,
gocce di sangue, gocce di pianto…
Vola, vola farfallina,
a cui piangeva tanto il cuore;
e hai fatto piangere il tuo cantore…
Canta, canta farfallina,
con la tua voce piccolina,
col tuo stridire di sogno,
soave come l’ombra,
all’ombra dei bambù
a Nagasaki ed a Cefù.
Merci, professeur Faverzani.
Pouvez-vous dans vos prochaines chroniques parler de la direction et de l’orchestre ? Vous ne traitez, avec talent, que de la partie vocale et de la mise en scène, or nous parlons de musique. Merci.
Quelque peu saccadée, la direction de Speranza Scappucci se distingue par la justesse des vents et des cordes, notamment dans l’introduction à l’acte III, préludant au lever du jour, et par la pertinence des percussions lorsque se consume le sacrifice.