Un Don Juan de 350 ans
Acrimante Mauro Borgioni
Atrace Alessandro Ravasio
Bibi Giacomo Nanni
Delfa Alessio Tosi
Atamira Sabrina Cortese
Proserpina Maria Elena Pepi
Rate Fastival Barique Ensemble, dir. Alessandro Quarta
Mise en scène Cesare Scarton
L’empio punito
Dramma per musica en trois actes d’Alessandro Melani, livret de Giovanni Filippo Apolloni d’après l’adaptation de El Burlador de Sevilla y convidado de piedra (1616) de Tirso de Molina par Filippo Acciaiuoli, créé le 17 février 1669 à Borgo.
Enregistré le 02 octobre 2019 au Reate Festival.
1 DVD Dynamic
Avant le Dissoluto mozartien, il y eut l’Empio de Melani, considéré comme la première adaptation musicale du mythe de Don Juan. Compte rendu d’un spectacle donné au Reate Festival en 2019.
Quoi qu’on pense des célébrations forcées, les anniversaires ont parfois du bon. L’année 2019 aura ainsi vu se multiplier les hommages rendus à L’empio punito, opéra d’Alessandro Melani (1639-1703), créé trois siècles et demi auparavant : deux productions scéniques en ont ainsi été montées simultanément, en octobre, l’une à Pise, l’autre à Rome, et une troisième a vu le jour en 2020 dans le cadre du festival d’Innsbruck. Et cet automne, les deux premiers spectacles trouvent un écho discographique : tandis que Glossa publie en CD un live enregistré à Pise, Dynamic en propose en DVD une captation réalisée lors du Reate Festival (cette manifestation a vu le jour en 2009 à Rieti, ville du Latium située à 80 km de la capitale italienne et qui s’appelait Reate en latin). Toujours à l’affut des raretés, le label Dynamic annonce un peu hâtivement une « First performance in modern times », affirmation qui ne manque pas de surprendre puisque l’œuvre avait en fait été ressuscitée dès 2003 par Christophe Rousset, et déjà en version scénique… Par ailleurs, le DVD propose à peine plus de deux heures de musique, là où le CD Glossa en propose trois (l’œuvre donnée dans son intégralité durerait en fait au moins trois heures et demie).
Il y a quelques semaines, l’Opéra de Dijon présentait (uniquement en streaming, hélas) Il palazzo incantato de Luigi Rossi, monté à Rome en 1642. Après ce grand spectacle, somptueusement interprété par la Cappella mediterranea et l’éblouissante distribution dirigée par Leonardo García Alarcón, on se réjouissait de poursuivre l’exploration de l’opéra romain du XVIIe siècle avec cet empio punito. Il faut pourtant déchanter car, le Reate Festival disposant sans doute de moyens financiers limités, on est très loin du faste qui caractérisa en février 1669 la création de l’œuvre, commandée par la famille Colonna et donnée devant un public de personnalités incluant plusieurs cardinaux et la reine Christine de Suède. Le spectacle réglé par Cesare Scarton est pauvre, mais exploite au mieux son décor unique. Reste l’intérêt de découvrir la première adaptation lyrique du mythe de Don Juan, où l’on reconnaît, même sous d’autres noms, les protagonistes bien connus grâce à Molière ou à Mozart : Don Juan s’appelle Acrimante et son valet, Bibi ; Elvire est Atamira, Anna est Ipomene et Ottavio Cloridoro. Mais comme nous sommes encore au temps de Cavalli, la dimension comique est renforcée par la présence d’un personnage bouffon, la vieille servante Delfa, chantée par un ténor, que courtise Bibi. Après avoir feint d’empoisonner son cher séducteur auquel elle n’a fait boire qu’un somnifère, Elvire-Atamira se console bientôt dans les bras du roi Atrace, frère d’Ipomene.
La distribution se compose uniquement de jeunes chanteurs italiens, où les voix masculines s’imposent avec plus d’évidence, les dames paraissant manquer de corps pour véritablement incarner les deux héroïnes (paradoxalement, la voix féminine la plus solide semble être celle de la mezzo Maria Elena Pepi, cantonnée à deux interventions assez brèves). Parmi les messieurs, on remarque le ténor Alessio Tosi, qui évite habilement la caricature dans le rôle travesti de Delfa, et surtout le tandem formé par Mauro Borgioni et Giacomo Nanni, deux voix graves aux timbres subtilement différenciés. Sauf que… sauf que, historiquement, le rôle d’Acrimante était destiné à un castrat, identité vocale respectée jadis par Christophe Rousset, qui confiait le personnage à une soprano, et plus récemment, lors des représentations données à Pise, où Raffaele Pe était le donjuan, ou à Innsbruck, où c’était une mezzo. Tout compte fait, il reste assez peu d’arguments pour recommander ce DVD…