Faust revient à Paris et c’est une bonne nouvelle. Il y a d’abord l’immense plaisir de retrouver cet opéra fascinant, un des plus joués du répertoire, emblématique de l’opéra français, d’une brûlante actualité. Car s’il y a cette obsession de l’éternelle jeunesse, il y a aussi la pauvre Marguerite, qui est traitée comme une femme objet, abusée, abandonnée, condamnée par un frère gardien de sa virginité. Autant de thèmes en résonance avec un aujourd’hui aux couleurs de #metoo.
Il est donc logique et heureux que cette mise en scène transpose de nos jours cette histoire sans âge. Cette vision de Tobias Kratzer revient à Bastille pour la troisième fois , après avoir été montée en 2021 mais très écourtée pour raison de Covid , puis reprise en 2022 avec Benjamin Bernheim chantant un Faust très acclamé . Pour cette reprise, c’est le ténor Pene Pati qui emporte tous les suffrages.
Voilà une mise en scène intelligente, en totale adéquation avec le livret, offrant des images puissantes et de grands moments de théâtre – ou doit-on dire de spectacle total, au sens où les projections vidéos de Manuel Braun sont ici particulièrement bien employées. Tour à tour, Faust est entrainé dans les airs d’une chevauchée fantastique par un Méphisto qui met le feu à Notre Dame puis qui, dans la Nuit de Walpurgis, parcourt un Paris nocturne désert ; Marguerite chante son air des bijoux traquée par deux caméras affichant en gros plan son visage sur l’immense écran blanc déployé sur toute la scène…
La kermesse du 1er acte se déroule aux abords d’un terrain de basket grillagé comme on en voit tant dans les villes, avant de nous entraîner dans un dancing techno. Le jardin de Marguerite du 2e acte est un immeuble glauque de banlieue grise. La chambre de Marguerite du 3e acte devient un cabinet de gynécologue où la pauvre donzelle subit une échographie d’autant plus traumatisante que les contours d’un petit diablotin noir s’y dessinent. La scène de l’Église est profanée, au vrai sens du terme : elle est devenue profane en nos temps de mécréance. Marguerite doit affronter le diable dans une rame de métro sinistre qui, par le jeu renouvelé des caméras, s’imprime sur le vaste écran. Et tout fonctionne – premier degré ? Peut-être, mais tout est lisible, fluide – cohérent.
La direction d’Emmanuel Villaume est elle aussi très fluide, toujours dramatique , et incisive. Elle bénéficie d’un orchestre de l’Opéra en grande forme, particulièrement dans les interludes. Le chœur, malgré quelques légers décalages (la valse) impressionne par sa puissance et son homogénéité (chœur des soldats).
Dans une distribution de très haut niveau, Marina Viotti excelle en Siebel, amoureux transis qui, dans la conception de Tobias Kratzer, se sacrifie à la place de Marguerite. Son « Faites-lui mes aveux » est particulièrement touchant. Sylvie Brunet-Grupposo est une Dame Marthe qui dans cette mise en scène, se voudrait affriolante et dont la voix fait des merveilles. Alex Esposito campe un Méphistophélès inquiétant et vibrionnant, plus à l’aise scéniquement que vocalement. Le Valentin de Florian Sempey, très chantant, impressionne quant à lui par sa présence et une voix qui donne le frisson dans sa malédiction de Marguerite. C’est Amina Edris, qui incarne la jeune femme. La voix est belle, délicate, et son interprétation est dramatiquement une réussite. Il manque juste une vraie puissance qu’exige cet immense vaisseau de Bastille et lors de ses duos avec Siebel ou Faust, le contraste était réel. Et l’on se prend à s’interroger : ce soprano léger, mais très musical, possède-t-il exactement la vocalité de Marguerite ?…
Le Faust de Pene Pati, est bien le grand vainqueur de cette soirée infernale. Tout dans son interprétation est en adéquation totale avec ce personnage tour à tour enflammé, amoureux, affolé. Il offre un « Salut, demeure chaste et pure » d’anthologie avec un aigu pianissimo final d’une rare suavité. Quelle technique maîtrisée à la perfection et quelle voix, quelle projection! Le tout avec une diction française quasi parfaite.
Reste quelques sérieuses inquiétudes. Le lendemain de cette Première, la page Facebook de l’opéra de Paris était emplie d’innombrables commentaires associant cette mise en scène à une vague woke, réclamant un retour aux origines, réfutant toute actualisation avec des élans nauséeux d’un conservatisme rance. Ajoutez-y les remarques entendues par un confrère lors de la première des Brigands d’Offenbach il y a quelques jours (« ras-le bol de ces homos… heureusement, Retailleau va nous nettoyer tout cela… ») et l’on se prend à penser que Méphisto a encore de sombres jours devant lui…
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Retrouvez sur Première Loge Opéra les interviews de Pene Pati et Marina Viotti !
Faust : Pene Pati
Marguerite : Amina Edris
Méphistophélès : Alex Esposito
Siebel : Marina Viotti
Valentin: Florian Sempey
Dame Marthe : Sylvie Brunet-Grupposo
Orchestre de l’Opéra de Paris, dir. Emmanuel Villaume
Mise en scène : Tobias Kratzer
Décors et costumes : Rainer Sellmaier
Projections vidéos : Manuel Braun
Faust
Opéra en 5 actes de Charles Gounod, livret de Jules Barbier et Michel Carré d’après le premier Faust de Goethe, créé le 19 mars 1859 à Paris (Théâtre Lyrique)
Paris, Opéra Bastille, Représentation du jeudi 26 septembre 2024.
1 commentaire
Merci pour ce compte rendu très détaillé.
Indépendamment des préjugés dont souffrent certaines mises en scène et du retour de la bête immonde dans bien des externations de l’opinion publique, il est sûr qu’Amina Edris aurait tout à gagner si on ne la faisait pas chanter en arrière-plan du premier étage…
Une bonne concertation des metteurs en scène avec les chanteurs, afin de répondre à leurs besoins, serait un progrès non négligeable.