Gabrielle : Anne-Catherine Gillet
Métella : Véronique Gens
La Baronne : Sandrine Buendia
Le Baron : Jérôme Boutillier
Pauline : Elena Galitskaya
Clara : Louise Pingeot
Bertha : Marie Kalinine
Madame de Quimper-Karadec : Marie Gautrot
Mme de Folle-Verdure : Caroline Meng
Raoul de Gardefeu : Artavazd Sargsyan
Bobinet : Marc Mauillon
Le Brésilien, Frick, Gontran : Pierre Derhet
Urbain, Alfred, Un Employé : Philippe Estèphe
Propser, Joseph, Alphonse : Carl Ghazarossian
Orchestre national du Capitole de Toulouse, chœur de l’Opéra national du Capitole de Toulouse, dir. Romain Dumas.
La Vie parisienne
Opéra bouffe en cinq actes de Jacques Offenbach, livret d’Henri Meilhac et Ludovic Halévy, créé au théâtre du Palais-Royal le 2 CD Palazzetto Bru-Zane, octobre 2024.
Lorsqu’en 2021, le Palazzetto Bru Zane annonça une nouvelle production scénique de La Vie parisienne, chacun s’attendait à de vraies surprises musicales, le Palazzetto ayant pour habitude de ne représenter ou de ne graver une œuvre célèbre qu’à la seule condition de proposer à l’auditeur le fruit de découvertes musicologiques inédites. Or en termes de surprises, nous n’avons pas été déçu : en assistant au spectacle mis en scène par Christian Lacroix au TCE en décembre 2021, nous avons découvert non pas la (trop rare) version initiale de La Vie parisienne (celle en cinq actes, créée le 31 octobre 1866 au théâtre du Palais-Royal, avec un quatrième acte se déroulant chez Raoul de Gardefeu au cours duquel la Baronne chante son air « Je suis encore tout éblouie » et Madame de Folle-Verdure « Quoi, ces messieurs pourraient, ma chère, / À leur aise nous insulter »), mais une version qu’on pourrait qualifier de pré-originale, pensée par Offenbach en amont de la création (sur les différentes versions de La Vie parisienne, voyez notre dossier). L’œuvre nous était alors présentée comme étant plus ou moins celle rêvée par le musicien, avant qu’il ne soit contraint de faire marche arrière en raison des insuffisances vocales des interprètes, bon comédiens mais certainement pas chanteurs aguerris.
Dès lors, les commentaires sont allés bon train : peut-on affirmer que l’œuvre ainsi redécouverte soit celle qui ait été, dans un premier temps, véritablement voulue par Offenbach ? En ce cas, n’est-il pas étonnant que plusieurs des pages qui la composent n’aient pas été achevées ? (Les équipes du Palazzetto se sont chargées de compléter l’orchestration de certaines d’entre elles, voire de compléter certains morceaux inachevés). Offenbach n’aurait-il pas, de toutes façons, opéré comme à son habitude de nombreuses coupures dans cette longue partition, afin d’obtenir une plus grande efficacité dramatique ? N’est-ce pas d’ailleurs ce qu’il ne cessa de faire après la création de 1866 ? Pourquoi entend-on, dans l’entracte de l’acte V, des motifs (« Il est gris », « Quand on boit, il est une chose… »,…) qui ne seront présents que dans les versions ultérieures de l’ouvrage ? Et si Offenbach a renoncé à certaines pages remises à l’honneur par le Palazzetto, est-ce vraiment en raison des insuffisances vocales des interprètes ? La déclaration d’Halévy dans ses Carnets, écrivant, le 12 octobre 1866, que les actes IV et V « n’ont pas donné [aux auteurs], au théâtre, ce qu’[ils] en attend[aient » ne met-elle pas en lumière le « manque d’effet » des deux derniers actes, c’est-à-dire, précisément, une efficacité dramatique quelque peu limitée – un défaut inlassablement traqué par Offenbach dans l’ensemble de son œuvre ? Par ailleurs, si ces pages ont été supprimées parce que trop difficiles à chanter pour les acteurs du Palais-Royal, peut-on réellement dire que toutes celles proposées par la suite (le « Et voilà déjà que ma tête s’en va ! », par exemple, avec sa virevoltante montée vers l’aigu) sont plus simples à interpréter ?
Quoi qu’il en soit, après la découverte de l’œuvre à l’occasion des représentations scéniques, le présent CD permet de nous faire une idée plus sûre et plus précise de cette nouvelle version de La Vie parisienne. Or force est de constater que cette version « pré-originale » s’avère quelque peu inégale. Les dialogues sont fort longs, souvent oiseux, entraînant un rythme d’ensemble un peu languissant – en dépit de la très belle énergie déployée par les chanteurs-acteurs pour dire leur texte ! L’ensemble donne l’impression de se diriger vers un « dénouement » bien vague, bien confus, sans que ce « flou » dramatique soit compensé par la douce folie d’un non-sens, d’une réelle absurdité – celle dont les auteurs font pourtant preuve en maintes autres œuvres. Ainsi par exemple, la superposition de trois chœurs, dans le finale de l’œuvre, allusion possible et a priori intéressante au Don Juan de Mozart, surprend-elle sans vraiment convaincre, ni sans « parachever » l’œuvre comme cela devrait être le cas. Parmi les nouvelles pages mises au jour, on relève quelques belles découvertes : le quatuor de « Jean le cocher », le Fabliau chanté par la Baronne à l’acte IV (« Hier au bois »), l’ensemble « Ô ma tête », équivalent offenbachien des imbroglios dramatico-musicaux rossiniens (le « Mi par d’esser con la testa » du Barbier ou « Questò è un nodo avviluppato » de Cenerentola). Mais elles sont relativement rares, et font parfois regretter les pages par lesquelles Offenbach les remplacera plus tard (la tyrolienne de Gabrielle, le « En endossant mon uniforme » qui clôt l’acte III de la version de 1873) ; de même, certains ensembles censés faire rire ne font pas toujours mouche selon nous…
Cependant, si la version de La Vie parisienne ici proposée intéresse plus qu’elle ne convainc, on ne peut qu’applaudir à l’excellence de l’interprétation musicale. À la tête des forces toulousaines (l’Orchestre national du Capitole de Toulouse et le Chœur de l’Opéra national du Capitole de Toulouse, clin d’œil à la célèbre version discographique gravée par Michel Plasson en 1975 déjà avec les chœurs et l’orchestre du Capitole ?), Romain Dumas dirige avec un enthousiasme, une énergie, une finesse, une espièglerie qui emportent l’adhésion. Quant à l’équipe de chanteurs réunie, elle est superlative, jusque dans les plus petits rôles (dont l’œuvre regorge). Jugez du peu : Marie Gautrot en Mme de Qimper-Karadec, Sandrine Buendia et Jérôme Boutillier en baron et baronne danois, Philippe Estèphe en Urbain/Alfred, Carl Ghazarossian en Proposer, Marc Mauillon en Bobinet, Véronique Gens en Métella ! Nous avons tout particulièrement apprécié Artavazd Sargsyan qui, en Raoul de Gardefeu, amuse sans charger et en restant toujours très classe, Anne-Catherine Gillet, fraîche et spirituelle Gabrielle, et Pierre Derhet, impeccable en bottier Frick et irrésistible en Brésilien, dont il enchaîne les couplets avec une remarquable maîtrise du souffle sans qu’il soit besoin, comme cela s’est fait jadis dans telle ou telle version discographique, de faire de raccords plus ou moins discrets pour masquer les respirations !
Un enregistrement, en tout cas, que tout offenbachien – ou tout curieux – se doit de connaître, ne serait-ce que pour l’intérêt présenté par la démarche, menée avec la rigueur et le sérieux dont le Palazzetto Bru Zane est coutumier… Cette version pourra-t-elle s’imposer comme une alternative scénique viable à celle de 1873 ? L’avenir le dira. Espérons, en attendant, qu’on puisse prochainement entendre une belle version discographique moderne de la première Vie parisienne « officielle » (celle de la création en 1866) et rappelons enfin, au risque de nous répéter, que d’incontestables chefs-d’œuvre offenbachiens (Le Pont des Soupirs, Robinson Crusoé), attendent toujours leur heure…