Ariodante de Georg Friedrich Haendel, exemple brillant d’opera seria, reste moins connu que d’autres titres du même genre. L’œuvre a néanmoins été suivie avec grand intérêt ce dimanche 10 novembre par le public de l’Opéra National du Rhin : une représentation d’où se distingue notamment la brillante Adèle Charvet dans le rôle-titre, dont le chant fait revivre l’art du castrat Giovanni Carestini, créateur du rôle.
C’est ce soir Christopher Moulds, expert en musique ancienne, qui dirige avec soin – et avec succès – l’Orchestre symphonique de Mulhouse, dont on apprécie les cordes transparentes et précises (notamment les violons), mais aussi l’excellente pulsation rythmique offerte par les clavecins, formant l’épine dorsale de la partition. Les bassons ont été remarquables et, faisant parfois office de basse, ont impressionné par leur sonorité riche, profonde et stable ; en revanche les prestations des cors ont été quelque peu problématiques, n’ayant guère réussi à produire la sonorité héroïque attendue.
La brève introduction orchestrale, très bien exécutée (avec un bon sens du tempo et présentant de façon efficace les différents motifs) a cédé la place, au lever de rideau, à des décors austères – ainsi qu’aux personnages principaux dont les costumes ont été réalisés par la costumière allemande Uta Meenen. D’emblée, nous nous trouvons plongés de toute évidence dans une époque assez récente (les années 70 ?), à en juger par les vestes en velours côtelé, les chemises légères et brillantes… Ariodante se présente à nous dans un ensemble bicolore simple, composé d’une chemise et d’un ensemble pantalon/veste bleu foncé, comme un serveur de restaurant…
La scénographie est essentiellement constituée d’une maison spacieuse aux murs ternes, avec une profondeur scénique limitée. Les décors d’Étienne Pluss se limitent à quelques meubles, quelques fleurs et d’autres objets tout aussi discrets. Une ambiance froide, « clinique » prédomine, accentuée par l’éclairage constant et froid des lustres, tandis que l’utilisation de l’éclairage au sol s’est révélée intéressante par endroits (les lumières sont réalisées par Fabrice Kebour), pour souligner les scènes les plus intenses sur le plan émotionnel. On déplore en revanche le caractère inchangé des décors : tout au long de cette longue pièce en trois actes, et après deux entractes, ils resteront les mêmes… Heureusement, les costumes de Meenen viennent à plusieurs reprises rompre la grisaille ambiante, comme lors de l’entrée des serviteurs vêtus de rouge et de blanc, l’apparition d’enfants portant des uniformes pseudo-chevaleresques, ou celle d’Ariodante portant un morning dress avec pantalon gris rayé et queue de pie.
Musicalement, l’interprétation est une belle réussite à bien des égards. Adèle Charvet a incarné un Ariodante à la fois chevaleresque et léger, porté par un timbre velouté et une très belle technique, évitant à la chanteuse toute fatigue dans l’aigu, lequel se déploie avec une belle facilité. La mezzo a interprété le célèbre monologue « Scherza infida » avec une grande musicalité, un lyrisme intense et un ton doux-amer, parfaitement mis en valeur par l’accompagnement orchestral et surtout par les interventions solistes mélancoliques du basson : ce fut l’un des moments les plus marquants de la soirée. La présence scénique de l’artiste, tantôt aérienne, tantôt héroïque, est tout aussi digne d’éloges. La princesse Ginevra, fiancée d’Ariodante, fille du roi d’Écosse (Alex Rosen), a été interprétée par la chanteuse hongroise Emőke Baráth avec un beau contrôle vocal, et notamment des nuances magnifiquement colorées là où Haendel les exige. Les deux chanteuses ont mêlé leurs chants dans le charmant duo du premier acte « Prendi, prendi da questa mano », où leurs voix ont fusionné de façon noble et pénétrante, emplissant la salle d’un charme aérien. La basse Alex Rosen offre une interprétation très convaincante du vieux roi écossais, soulignant de manière appropriée le prestige du personnage grâce au poids et à la profondeur de la voix, et faisant même entendre un monologue d’une fluidité et d’une éloquence impressionnantes. Parallèlement, les intrigues de Polinesso, qui aspire à empêcher le mariage Ginevra-Ariodante et à monter lui-même sur le trône royal d’Écosse, ont été dessinées par le contre-ténor français Christophe Dumaux, qui a fait preuve d’une remarquable habileté dans les notes aiguës, et d’une diction très claire, mais avec une présence scénique moins convaincante pour un personnage si sournois. La naïve Dalinda, victime amoureuse, est incarnée par une Lauranne Oliva dont on admire plus encore l’émotion fraîche qui se dégage de son incarnation que les prouesses vocales. Laurence Kilsby, dans le rôle de Lurcanio, a montré qu’il avait les moyens du rôle, interprété d’une voix fine et mélodieuse, malgré peut-être un manque d’intensité dans le discours.
Quoi qu’il en soit, la victoire de Lurcanio sur l’intrigant Polinesso, lors du combat à l’épée, fut comme il se doit scellée par le retour d’Ariodante, la levée du malentendu et enfin la réhabilitation de la princesse, sous les exclamations triomphales du chœur de l’Opéra national du Rhin, achevant ainsi brillamment cette odyssée lyrique !
Le Roi d’Écosse : Alex Rosen
Ginevra : Emőke Baráth
Ariodante : Adèle Charvet
Lurcanio : Laurence Kilsby
Dalinda : Lauranne Oliva
Polinesso : Christophe Dumaux
Odoardo : Pierre Romainville
Orchestre symphonique de Mulhouse, dir. Christopher Moulds
Chœur de l’Opéra national du Rhin, dir. Hendrik Haas
Mise en scène : Jetske Mijnssen
Décors : Étienne Pluss
Costumes : Uta Meenen
Lumières : Fabrice Kebour
Ariodante
Dramma per musica en trois actes de Georg Friedrich Haendel, livret d’après Ginevra, Principessa di Scozia d’Antonio Salvi, créé le 8 janvier 1735 à Covent Garden (Londres).
Strasbourg, Opéra national du Rhin, représentation du dimanche 10 novembre 2024.