Crédits photos : © A. Bofill
Streaming : Don Giovanni vu par Christof Loy au Liceu de Barcelone
Un Don Giovanni en costumes d’époque ? Oui, mais avec les implications psychologiques fascinantes auxquelles Christof Loy nous a habitués. Il s’agit ici d’une production de l’Opéra de Francfort, enregistrée par le Liceu à la fin des représentations, alors que le théâtre devait fermer en raison de l’urgence sanitaire. C’est la première représentation de la nouvelle saison du Liceu.
La narration de Loy est claire et fidèle au texte, les vêtements sont d’époque, il y a des épées, le catalogue de Leporello, le panache blanc de Don Giovanni. Les costumes de Mousquetaires d’Ursula Renzenbrink situent l’histoire à l’époque du Burlador de Tirso de Molina, dont l’opéra de Mozart est dérivé, tandis que le décor unique de Johannes Leiacker propose une grande salle vide qui semble avoir jadis connu une certaine splendeur : deux fenêtres à gauche, une grande cheminée à droite et, à l’arrière, un mur avec une ouverture vers l’extérieur. L’idée qui sous-tend le spectacle est le vide sentimental des personnages et de leurs interactions, qu’il s’agisse de libertinages vains ou de mariages futiles. Un rideau rouge tendu à l’avant-scène évoque un filet de sang, sur lequel le Commandeur s’affaissera. Il réapparaîtra dans la scène finale pour l’entrée du Commandeur, l’opéra se terminant par la mort de Don Giovanni comme dans la version viennoise. En raison de la nécessité de terminer la représentation avant 23 heures, comme le prescrivent les autorités, non seulement le concertato final est coupé (dans la lecture de Loy, le finale moralisateur n’aurait pas eu de sens ici), mais également les airs de Don Ottavio (« Dalla mia pace la sua dipende« ), de Donna Elvira (« Mi tradì quell’alma ingrata« ) et le duo Zerlina/Leporello – comme dans la version de Prague.
Don Giovanni et le Commandeur semblent quasi jumeaux au début de l’opéra : leur ressemblance brouille la dualité morale qui devrait distinguer le libertin du père de famille intègre. Mais bientôt, Don Giovanni abandonne son costume sombre ainsi que la barbe blanche que Leporello avait maladroitement teinte en noir, pour enfiler le costume blanc de chevalier. À la fin, il semblera avoir brusquement vieilli : ses mouvements sont maladroits et il a besoin d’un bâton pour marcher. Il remet son costume noir, sa barbe reprend sa couleur naturelle : il ressemble de nouveau au Commandeur … tandis que le Commandeur a revêtu le costume blanc de Don Giovanni ! Loy brouille souvent les cartes dans ses spectacles. En témoigne le fait que les femmes nobles soient habillées en hommes dans le premier acte, ou que Donna Elvira reconnaisse immédiatement Leporello dans son déguisement de Don Giovanni, même si elle fait tourner la chose à son avantage.
Les récitatifs sont extrêmement soignés ; le chef d’orchestre Josep Pons adopte des tempi manquant parfois de tension, même si l’orchestre sait se faire très dynamique quand besoin est. Christopher Maltman est, une fois de plus, Don Giovanni – il en était, entre autres, l’interprète dans la version cinématographique Juan di Holten. Sa voix est un peu fatiguée, ce qui est, somme toute, cohérent avec ce personnage âgé pour qui l’obsession du sexe est presque sublimée (c’est Zerlina qui tente d’entraîner un Don Giovanni insouciant dans le « casinetto« ) et qui semble regretter une jeunesse perdue (son « De’ vieni alla finestra » sonne comme une chanson nostalgique que comme une invitation…). Luca Pisaroni est l’un des meilleurs Leporello jamais vus sur scène, excellent acteur, et chanteur à la diction cristalline (il est le seul Italien de la distribution) et à la voix au large ambitus.
Don Ottavio est un Ben Bliss au chant suave, excellent styliste dans les variations de la reprise dans son unique aria. Adam Palka est un Commendatore autoritaire tandis que Josep-Ramon Olivé incarne un Masetto très crédible. Interprétées par Véronique Gens et Miah Persson, les femmes nobles ont un soupçon de stridence dans la voix, comme si la honte (celle de Donna Elvira) et le désir de vengeance (celui de Donna Anna) affectaient la ligne vocale. La coqueluche du public local est Leonor Bonilla, une Zerlina qui est tout sauf une soubrette, et qui révèle elle aussi une certaine dureté dans son timbre. Tous s’avèrent être d’excellents acteurs sur scène, une qualité essentielle dans une production aussi « théâtrale » que celle de Loy.
Lisez la version originale de ce compte rendu (en italien) ici !
Don Giovanni Christopher Maltman
Il Commendatore Adam Palka
Don Ottavio Ben Bliss
Leporello Luca Pisaroni
Masetto Josep-Ramon Olivé
Donna Anna Miah Persson
Donna Elvira Véronique Gens
Zerlina Leonor Bonilla
Symphony Orchestra et chœur du Liceu de Barcelone, dir. Josep Pons
Mise en scène Christof Loy
Don Giovanni
Dramma giocoso en deux actes de Wolfgang Amadeus Mozart, livret de Lorenzo da Ponte d’après Giovanni Bertati, créé le 29 octobre 1787 à Prague.
Barcelone, Gran Teatre del Liceu, 22 octobre 2020
Captation de la générale.
Disponible en streaming avec traduction automatique des sous-titres jusqu’au 4 juin 2021.