Découvrez, dans cette nouvelle rubrique, un florilège d’opéras (du Siège de Corinthe à Don Carlos) composés par des musiciens italiens pour l’Opéra de Paris !
Fort du bon accueil réservé à son Voyage à Reims (créé aux Italiens le 19 juin 1825), Rossini, un an plus tard, propose au public français un nouvel opéra, cette fois-ci sur un livret français, qui marquera son entrée à l’Opéra de Paris : ce sera Le Siège de Corinthe (paroles de Luigi Balocchi et Alexandre Soumet, dramaturge auteur de Norma, tragédie en 5 actes dont s’inspirera le librettiste Felice Romani pour l’opéra homonyme de Bellini), dont la création a lieu salle Le Peletier le 9 octobre 1826. Tout est réuni pour que le spectacle soit un succès : des décors et des costumes somptueux, et surtout une distribution brillantissime. Laure Cinti-Damoreau (soprano) interprète Pamyra, Henri Étienne-Derivis (basse) Mahomet II, Adolphe Nourrit (ténor) Néoclès. L’œuvre est une adaptation de Maometto II, qui avait été créé au San Carlo de Naples en 1820, sans rencontrer le succès escompté par le compositeur.
Le livret met en scène des personnages pris dans un dilemme amoureux, sur fond de guerre et de fidélité à la patrie : Pamyra, promise par son père Cléomène (gouverneur de Corinthe) au jeune officier grec Néoclès, a déjà secrètement donné sa main à un étranger : Almanzor. Alors que la ville de Corinthe est assiégée par les Turcs – dont la victoire semble imminente –, Pamyra reconnaît en l’empereur des Turcs Mahomet II l’homme dont elle tombée amoureuse… Mahomet promet d’épargner Corinthe si Pamyra se donne à lui. Pamyra refuse et accepte d’épouser Néoclès. Corinthe tombe aux mains des Turcs. Les Grecs préfèrent s’immoler plutôt que d’être réduits en esclavage. Pamyra se poignarde.
Le sujet était d’une brûlante actualité : la ville de Missolonghi, en cette même année 1826, après avoir subi 4 sièges consécutifs (c’est au cours de l’un d’entre eux que Lord Byron trouvera la mort en 1824), venait en effet de tomber aux mains des Turcs. Il est à noter que Byron est précisément l’auteur d’un long poème narratif publié en 1816 intitulé The Siege of Corinth.
Ci-contre : Lord Byron peint par Thomas Phillips en 1813
Épisode décisif de la guerre d’indépendance grecque, cette invasion de Missolonghi entraîna le ralliement de l’Europe à la cause grecque, un ralliement qui se traduisit notamment sur le plan artistique, en littérature, peinture et musique. Ainsi, l’année de la création du Siège de Corinthe, Delacroix peignait une toile allégorique : La Grèce sur les ruines de Missolonghi (ci-contre)… Il avait déjà exposé, en 1824, les célèbres Scènes des massacres de Scio : familles grecques attendant la mort ou l’esclavage.
L’œuvre n’est nullement une simple traduction française de Maometto II : il s’agit d’un véritable rifacimento. Le chronotope et les noms des personnages sont modifiés, plusieurs pages sont spécialement composées pour l’occasion (l’ouverture, la bénédiction des drapeaux, plusieurs chœurs, le ballet, les récitatifs) ; d’autres encore sont adaptées pour passer d’une tessiture à une autre, tel l’air de Pamyra (soprano) « Que vais-je devenir ? Destin inexorable ! » (acte II), confié à une voix d’alto dans Maometto (Calbo : « Non temer, d’un basso affetto »). Afin de répondre au goût parisien, Rossini modifie et enrichit l’orchestration, donne au chœur une importance musicale et dramatique nouvelle, soigne les finales (celui du second acte, notamment, est puissamment dramatique).
Ainsi Le Siège de Corinthe, deux ans avant La Muette de Portici (1828), pose les bases du grand opéra français : présence de chœurs, d’un ballet, conflits et déchirements d’ordre privé sur arrière-plan historique, luttes politiques et religieuses. Ne manque que le découpage en 5 actes pour répondre à tous les critères du genre !
Stéphane Lelièvre est maître de conférences en littérature comparée, responsable de l’équipe « Littérature et Musique » du Centre de Recherche en Littérature Comparée de la Faculté des Lettres de Sorbonne-Université. Il a publié plusieurs ouvrages et articles dans des revues comparatistes ou musicologiques et collabore fréquemment avec divers opéras pour la rédaction de programmes de salle (Opéra national de Paris, Opéra-Comique, Opéra national du Rhin,...) Il est co-fondateur et rédacteur en chef de Première Loge.