Le Willis et non pas Le Villi : il s’agit bien, pour la première fois au disque, de la version originale du premier opéra de Puccini, tel que le musicien le proposa au jury du concours d’opéras en un acte organisé à Milan en décembre 1883 (voir notre dossier sur l’œuvre). On sait gré à Opera Rara de poursuivre sa politique d’édition hors des sentiers battus, et, même si la discographie des Villi est loin d’être pléthorique, d’avoir choisi cette rare version qui se révèle particulièrement intéressante, ne serait-ce que pour apprécier l’étonnant talent que possédait déjà ce tout jeune musicien, à peine sorti du conservatoire de Milan – où il avait été l’élève d’Amilcare Ponchielli ; mais aussi pour mesurer sa capacité à retravailler ses œuvres et à les perfectionner : la version en deux actes des Willis que Puccini proposera à Turin le 26 décembre 1884 – l’opéra ayant entre temps été rebaptisé Le Villi – nous paraît en effet supérieure à l’original sur différents plans. Le format imposé au compositeur dans le cadre du concours de 1883 l’empêche, en fait, de donner véritablement corps aux personnages (sauf peut-être à Guglielmo Gulf, dont la scène de la seconde partie révèle une maîtrise orchestrale et un sens du drame étonnants chez un compositeur aussi jeune), lesquels peinent à dépasser le statut de simples silhouettes : difficile, par exemple, de vibrer pleinement aux adieux passionnés d’un couple (fin de la première partie) qu’on connaît à peine et auquel on n’a guère eu le temps de s’attacher. La présence de l’air composé ultérieurement pour Anna (le « Se come voi piccina io fossi » avec sa supplique à Roberto : « Non ti scordar di me ») suffira à donner chair au personnage, en soulignant son attachement extrême pour le jeune homme ainsi que sa crainte de le perdre. De même, l’air final du ténor, rongé par le remords lorsqu’il apprend la disparition de sa bien-aimée, composé lui aussi expressément pour la version turinoise, rend le personnage infiniment plus riche et plus intéressant que dans la version première de l’ouvrage. (Ces deux airs sont proposés en appendice, Opera Rara ayant judicieusement choisi d’inclure à la fin du CD des extraits de la version de l’œuvre en 2 actes). La version originale, en revanche, est bien sûr plus condensée sur le plan dramatique.
L'air d'Anna par Renata Scotto (1979)
L’interprétation proposée par l’équipe réunie par Opera Rara est mieux qu’efficace : convaincante et soignée. Secondé par un London Philharmonic Orchestra rutilant et un chœur pleinement engagé, Mark Edler propose une lecture de l’œuvre très tendue dramatiquement, oscillant entre romantisme passionné et expression exacerbée des sentiments.
Comme toujours, la voix d’Ermonela Jaho (qui chanta le rôle en 2014 au Théâtre des Champs-Élysées), peut-être moins phonogénique que d’autres, perd un peu de sa chair et de sa rondeur face aux micros et semble bouger beaucoup (autant de défauts que l’on n’entend quasi plus au concert : Ermonela Jaho est une chanteuse qu’il faut vraiment entendre sur scène !). Son Anna n’en demeure pas moins fraîche et très touchante. Sons couverts, voix placée en arrière, medium et graves capiteux n’empêchant pas l’aigu de se déployer librement : la voix du ténor Arsen Soghomonyan évoque d’assez près celle de Jonas Kaufmann. Hasard ou volonté du ténor arménien de se rapprocher de son modèle autrichien ? Le fait que la ligne de chant soit régulièrement émaillée de petits sanglots nous ferait plutôt pencher pour une tentative de jonaskaufmannisation de la voix… Quoi qu’il en soit, le chant est probe et l’interprétation convaincante. Belle prestation également du baryton Brian Mulligan, à la projection facile et dont le personnage est fort bien incarné, en dépit d’une voix presque trop fraîche et claire pour ce rôle de vieux père : si l’on ajoute à cela une belle facilité dans l’aigu, il arrive plus d’une fois que l’on se demande qui, de Brian Mulligan et Arsen Soghomonyan, est le ténor !
Au total, une découverte très intéressante et une belle version discographique, dans une édition, comme toujours chez Opera Rara, très soignée – mais sans livret français.
Anna Ermonela Jaho
Roberto Arsen Soghomonyan
Guglielmo Gulf Brian Mulligan
Opera Rara Chorus, London Philharmonic Orchestra, dir. Mark Elder
Le Wiilis
Opéra-ballet en un acte de Giacomo Puccini, livret de Ferdinando Fontana d’après Alphonse Karr, créé le 31 mai 1884 à Milan (Teatro Dal Verme).
+ Scènes extraites des Villi, opéra-ballet en deux actes.
1 CD Opera Rara, 2019 (enregistré en novembre 2018)