Crédit photos : © Louis Perrin
Quand Eric Blanc de la Naulte, le directeur de l’Opéra de Saint-Etienne, prend la parole à l’avant de la scène en préambule de la première d’Otello ce vendredi 11 juin 2021, c’est avec une certaine émotion, non seulement parce que la salle du Grand-Théâtre Massenet n’avait pas accueilli de public pour un spectacle d’opéra depuis le mardi 4 février 2020, lors de la dernière de Don Quichotte de Massenet, mais également parce que la série de représentations de l’ouvrage de Verdi est dédiée à la mémoire de Stefano Mazzonis di Pralafera, le directeur de l’Opéra de Liège et metteur en scène de la production, et à François Bescobo, membre depuis trois décennies des chœurs de l’Opéra de Saint-Etienne, qui nous ont quittés récemment, et que saluent, mieux qu’une minute de silence, trente secondes d’ovation posthume debout.
Réalisée par l’assistant de Stefano Mazzonis di Pralafera, Gianni Santucci, la mise en scène, importée de l’institution wallonne, témoigne des arbitrages esthétiques de l’Italien, préférant l’illustration relativement traditionnelle à quelque prétention avant-gardiste en cour dans plus d’une maison européenne. Averti ou néophyte, la compréhension du mélomane n’est jamais parasitée par des élucubrations parfois discutables. Dans la tragédie de la jalousie et de la manipulation du Maure de Venise adaptée de Shakespeare, le décor dessiné par Carlo Sala, fait de toiles, rideaux et colonnades, avec quelques enseignes frappées de l’effigie du Lion de Saint-Marc en fils dorés, résume efficacement l’atmosphère, avec l’appoint des lumières de Franco Marri – reprises par Sylvain Geerts – modulant la chaleur de la fête ou les teintes et les ombres nocturnes du duo d’amour. Conçus par Fernand Ruiz, les costumes ajoutent une belle chamarre à un ensemble porté par une direction d’acteurs d’une fluidité et d’une précision perfectibles, et qui s’autorise quelques ajouts dramaturgiques d’un intérêt finalement modeste, tels le poignard avec lequel Otello tue son épouse – plutôt que de l’étouffer –, l’exercice d’une vengeance fatale exercée par Cassio sur Jago, alors que le texte évoque une fuite de l’intrigant méphistophélique, ou encore les praticables sur lesquels sont déplacés les protagonistes, peut-être comme des pantins de l’échiquier vengeur de Jago.
Au moins ces mouvements çà et là un peu hasardeux ne compromettent jamais l’épanouissement des qualités vocales des interprètes – et elles sont presque toujours remarquables. Dans le rôle-titre, Nikolai Schukoff décline une saisissante évolution de son personnage, jusque dans une émission qui n’hésite pas à se colorer de nuances expressives. S’il est des Otello à l’éclat plus insolent, celui du ténor autrichien compte parmi les incarnations les plus intéressantes de ces dernières années, n’hésitant pas à tirer parti des ressources de sa voix, jusque dans ses éventuelles fragilités, pour faire ressortir une vulnérabilité aux confins de la folie. Gabrielle Philiponet s’appuie sur un timbre rond et charnu pour faire respirer la sensibilité inquiète de Desdemona, et démontre une intelligente maîtrise de l’évolution de sa tessiture de soprano lyrique. André Heyboer condense avec une crédibilité évidente la noirceur perverse de Jago, avec une puissance toujours au service de la vérité dramatique. Quant à l’Emilia de Marie Gautrot, elle sait sortir de l’ombre de son époux comme de sa maîtresse, et sert son incarnation avec un timbre corsé.
Le Cassio de Sébastien Droy se distingue par une vaillance honnête, qui s’oppose au Roderigo de Kaëlig Boché, lequel affirme une vindicte mordante. Antoine Foulon ne démérite aucunement en Lodovico, tandis que les interventions de Montano reviennent à un Geoffroy Buffière tout à fait en situation. L’apparition du héraut est dévolue à Frédéric Foggieri, membre du Chœur Lyrique Saint-Etienne Loire, attentivement préparé par Laurent Touche, et qui participe magnifiquement de l’ample crescendo du final du troisième acte. Dans la fosse, Giuseppe Grazioli, chef principal de l’Opéra de Saint-Etienne depuis 2019, s’attache à restituer la force dramatique de l’ouvrage dans une adaptation de l’effectif orchestral à 42 pupitres, due à Aldo Salvagno, pour se conformer aux contraintes sanitaires actuelles. Si les mordorures tragiques de la partition de Verdi se trouvent parfois allégées, l’essentiel est préservé, et se fait un écrin, ciselé dans les éclairages solistes, pour un excellent plateau. A Saint-Etienne, c’est la musique d’abord, et la prochaine saison, juste dévoilée, ne manque pas de promesses, à l’instar de La Vierge de Massenet en concert en octobre prochain, un Hamlet d’Ambroise Thomas au cast de choix en janvier, et surtout, la résurrection de Lancelot de Victorin Joncières en mai, avec l’incontournable soutien du Palazzetto Bru Zane.
Otello Nikolai Schukoff
Jago André Heyboer
Cassio Sébastien Droy
Lodovico Antoine Foulon
Roderigo Kaëlig Boché
Montano Geoffroy Buffière
Un héraut Frédéric Foggieri
Desdemona Gabrielle Philiponet
Emilia Marie Gautrot
Orchestre Symphonique Saint-Étienne Loire, Chœur Lyrique Saint-Étienne Loire, dir. Giuseppe Grazioli
Mise en scène : Stefano Mazzonis di Pralafera, réalisation de la mise en scène : Gianni Santucci
Otello
Drame lyrique en quatre actes de Guiseppe Verdi, livret d’Arrigo Boito d’après Shakespeare, créé le 7 février 1887 à la Scala de Milan.
Représentation du 11 juin 2021, Opéra de Saint-Etienne, Grand-Théâtre Massenet.