Crédit photo : © Océane Amiel
Saluons l’extrême rigueur de Kévin Amiel et son assurance sans esbroufe !
Il est toujours délicat de se comparer aux mythes et, en ce qui concerne le regretté Luciano Pavarotti, plus d’un ténor en a revendiqué l’héritage dès sa disparition, souvent avec arrogance. Puis d’autres ténors sont venus et ceux qui se voyaient déjà éternels ont été vite oubliés… Kévin Amiel rend hommage au grand chanteur italien avec humilité et panache à la fois. Humilité ne veut d’ailleurs dire ni amateurisme ni approximation et cet interprète de trente et un ans se dépense sans compter. Son programme est très chargé et, contrairement à d’autres collègues et à d’autres hommages, il ne choisit pas la facilité, comme pour tel ou tel hommage à Maria Callas au cours duquel s’égrènent bien des banalités que la diva, autre mythe du XXe siècle, n’a fait qu’effleurer, alors que son véritable répertoire est vite escamoté. C’est ainsi que ce jeune chanteur propose à l’écoute du public une dizaine de morceaux, entre airs d’opéra et mélodies de concert, tous tirés du répertoire de Big Luciano, sauf l’air de Don José de Carmen, abordé uniquement au disque ou en concert.
Si la romanza de Tosti donnée en hors d’œuvre est somme toute assez simple, elle lui permet de se chauffer la voix et surtout de délecter les spectateurs d’un timbre solaire qu’il ne cessera de déployer tout au long de la soirée. Le récitatif de l’air de Macduff, tiré du Macbeth verdien, « O figli, o figli miei… », dont les premières mesures sont chantées a cappella, est impressionnant d’intensité et, dans la cavatine qui suit, Kévin Amiel fait preuve d’une savante maîtrise du médium et d’un aigu d’un naturel époustouflant qu’il n’a nul besoin de forcer. C’est ensuite avec fraîcheur qu’il redonne vie à Rodolfo de La Bohème, malgré l’espace limité d’un seul air, assumant une gestuelle qui, par bribes, n’est pas sans rappeler celle de son modèle. Un probable clin d’œil à l’hôte de la soirée, comme plus tard dans ces intermèdes que sont Funicolì Funicolà et La danza de Rossini.
Mais, s’il a probablement beaucoup écouté Luciano Pavarotti, Kévin Amiel se garde bien de tomber dans le piège de l’imiter, notamment sur son terrain d’élection, comme dans « Una furtiva lacrima » de L’elisir d’amore, où il excelle par un très beau phrasé – sur « M’ama », par exemple – et un contrôle absolu de la ligne et du souffle, comme plus tard dans « E lucevan le stelle », déjà une incursion dans un répertoire plus lourd. Avec « La fleur que tu m’avais jetée », ce jeune ténor lirico veut surtout se faire plaisir et si ses moyens actuels sont sans doute encore limités pour un rôle si dramatique, son rendu est attachant et l’approche bien prometteuse.
Cependant, la gageure majeure de ce concert réside dans l’air final d’Edgardo (Lucia di Lammermoor) et Kévin Amiel s’en sort avec les honneurs : le récitatif, « Tombe degli avi miei », est presque déclamé dans une diction parfaite et le travail d’orfèvre que le chanteur mène sur la parole suscite une telle émotion que la vaillance de la cavatine ne peut que contrebalancer. On espère pouvoir le réentendre bientôt à la scène dans le rôle entier.
« La solita storia del pastore » de L’Arlesiana de Cilea, où pointe peut-être un soupçon d’accent d’Émilie, la terre natale de Pavarotti, vraisemblablement voulu par l’interprète, fait preuve d’une sûreté dans l’aigu que renouvelle O sole mio, donné en bis, où le jeune ténor démontre comment, au stade actuel de sa carrière, il peut faire ce qu’il entend de sa voix.
Intéressante la complicité le liant au chef, Benjamin Levy, qui le dirige consciencieusement, ainsi que l’Orchestre régional de Cannes-Provence-Alpes-Côte d’Azur. L’acoustique de la salle ne permet pas toujours à la musique de s’épanouir, parfois les sons nous arrivent quelque peu écrasés, on perçoit quelques stridences, surtout dans l’intermède de Pagliacci. Mais on sait gré aux musiciens de jouer avec un masque (sauf les vents, heureusement) et l’intermède de Cavalleria rusticana est une invitation à l’apaisement, Crisantemi de Puccini un délice, l’ouverture de Don Pasquale, dirigée piano, nous réserve de beaux effets et le prélude de La traviata fait ressortir des détails qui passent souvent inaperçus.
Saluons donc l’extrême rigueur de Kévin Amiel, son assurance sans esbroufe, une discipline qui l’empêche d’en faire trop. Une soirée de très haut niveau qui sera retransmise le samedi 7 novembre sur France Musique – et que les mêmes artistes proposeront ce dimanche à Cannes au Théâtre Debussy. Aux entendeurs…
Kévin Amiel, ténor
Benjamin Levy, direction
Orchestre régional de Cannes-Provence-Alpes-Côte d’Azur
Concert du jeudi 15 octobre, Hôtel National des Invalides
Ruggero Leoncavallo – Pagliacci, Intermezzo
Francesco Paolo Tosti – Non t’amo più
Giuseppe Verdi – Macbeth, « O figli, o figli miei… / Ah la paterna mano » (Macduff)
Giacomo Puccini – Crisantemi
Giacomo Puccini – La Bohème, « Che gelida manina » (Rodolfo)
Gaetano Donizetti – L’elisir d’amore, « Una furtiva lagrima » (Nemorino)
Gaetano Donizetti – Don Pasquale, Ouverture
Luigi Denza – Funicolì Funicolà
Gioachino Rossini – La danza
Pietro Mascagni – Cavalleria rusticana, Intermezzo
Giacomo Puccini – Tosca, « E lucevan le stelle » (Mario Cavaradossi)
Georges Bizet – Carmen, « La fleur que tu m’avais jetée » (Don José)
Giuseppe Verdi – La Traviata, Prélude
Gaetano Donizetti – Lucia di Lammermoor, « Tombe degli avi miei… / Fra poco a me ricovero » (Edgardo)
Francesco Cilea – L’Arlesiana, « La solita storia del pastore » (Federico)