© Patrick Pfeiffer pour Rossini in Wilbald
Depuis plus de trente ans, le Festival Rossini de Bad Wildbad est l’autre Mecque des aficionados du Cygne de Pesaro, et plus largement du bel canto. Fondé en 1989 par Wilhelm Keitel, il s’attache à mettre en valeur les ouvrages moins connus du compositeur italien, dans une atmosphère plus intimiste que corroborent les dimensions des diverses salles de la station thermale converties, pour l’occasion en scènes lyriques. Avec la crise sanitaire, le plein air, ou du moins un lieu ouvert, étant de rigueur, c’est sous la halle de Marienruhe, à côté du stade, à l’extrémité du Kurpark, qu’est donnée Elisabetta, regina d’Inghilterra, sur une partition spécialement révisée pour le festival par Aldo Salvagno à partir de l’autographe et d’autres sources manuscrites de Rossini.
Créé en 1815 au San Carlo de Naples, l’ouvrage fournira un peu de la matière musicale du Barbiere di Siviglia l’année suivante. La célèbre ironie pointée de l’Ouverture avait déjà introduit en 1813 Aureliano in Palmira, avec un motif qui réinvestit le finale du premier acte, et on reconnaîtra dans l’air de la reine, « Quant’è grato all’alma mia », l’anticipation de la fameuse cavatine de Rosine. Et si Armida, en 1817 réservera un trio de ténors, Elisabetta offre avec la rivalité entre Norfolc et Leicester un bel exemple d’émulation de divi, aux caractères bien contrastés.
Avec des moyens adaptés à la situation épidémique et aux contraintes de la Halle, le spectacle réglé par Jochen Schönleber s’appuie sur le dispositif vidéo de Zygfryd Turchan projeté en fond de scène et inscrivant l’intrigue, avec un portrait d’Elisabetta aux allures de nature morte, sous le signe de la vanité – sans doute celle du pouvoir politique devant les élans du cœur, à en juger par le dénouement heureux. Le mobilier et accessoires sont réduits au minimum – fauteuil, pupitre – sous les lumières de Michael Feichtmeier, modulant assez habilement les ambiances dramatiques, tandis que les costumes dessinés par Ottavia Castellotti privilégient la fonctionnalité.
Au fond, l’essentiel réside dans la musique, et d’abord dans les voix. Dans le rôle-titre, Serena Farnocchia met son émission nerveuse et son timbre rond et chatoyant au service d’une incarnation souveraine, frémissante de sentiments contradictoires, dont l’évolution au fil du drame est soulignée avec un instinct certain. L’évidente virtuosité ne cède jamais à la démonstration gratuite et nourrit sans cesse l’expressivité. On retrouve cette intégrité musicale dans le Leicester de Patrick Kabongo. À rebours des équilibres des typologies vocales à la création en 1815 où le rôle était confié à la noble robustesse de baritenore d’Andrea Nozzari, la légèreté et la douceur de la ligne du ténor français d’origine congolaise souligne la tendresse sinon l’innocence du personnage. La suavité de son entrée, avec des nuances aussi naturelles que délicates, campe d’emblée la psychologie du comte. Plus à l’aise dans le cantabile, jusque dans la fluidité et l’élégance des aigus, il se révèle moins éclatant dans la vaillance que Mert Süngü, dont le mordant consommé résume opportunément les calculs et la duplicité de Norfolc, soutenus par une belle densité du grain vocal, autant que par une vigueur constante et l’énergie des attaques.
La complémentarité des tessitures et des caractérisations se retrouve dans les comprimarii, confiés à trois étudiants de l’Akademie BelCanto associée au festival. Face à l’autorité de l’Elisabetta de Serena Farnocchia, Veronica Marini campe une Matilde presque soumise, à la voix homogène et juvénile. En Enrico, son frère, Mara Gaudenzi se glisse dans les codes du travesti. Luis Aguilar ne manque pas d’impact dans les répliques dévolues au capitaine de la garde royale Guglielmo. Préparés par Marcin Wrobel, les effectifs du Chœur Philharmonique de Cracovie ne déméritent aucunement. À la tête de l’Orchestre Philharmonique de Cracovie, Antonino Fogliani rend justice aux couleurs et à la vitalité d’une partition aussi étourdissante de virtuosité que d’émotions. Une gravure discographique ne serait pas superflue pour une redécouverte aussi bien servie.
Elisabetta Serena Farnocchia
Matilde Veronica Marini
Leicester Patrick Kabongo
Enrico Mara Gaudenzi
Norfolc Mert Süngü
Guglielmo Luis Aguilar
Orchestre et Chœur Philharmoniques de Cracovie, dir. Antonino Fogliani
Mise en scène Jochen Schönleber
Elisabetta regina d’Inghilterra
Dramma per musica en deux actes de Gioachino Rossini, livret de de Giovanni Schmidt, d’après Il paggio di Leicester de Carlo Federici (d’après le roman The Recess de Sophia Lee), créé le 4 octobre 1815 au Teatro San Carlo de Naples.
Festival de Bad Wildbad, représentation du 9 juillet 2021. Également les 17 et 21 juillet 2021.