Crédit photos : © Bruno Moussier
Sous la direction de Valery Gergiev, l’orchestre et le chœur du Théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg interprètent La Damnation de Faust de Berlioz en version de concert au Festival Berlioz de la Côte-Saint-André, avec Alexander Mikhailov dans le rôle titre, l’éblouissante Yulia Matochkina dans le rôle de Marguerite et le diabolique Ildar Abdrazakov dans celui de Méphistophélès.
Faust (Alexander Mikhailov) ouvre l’opéra, son chant est particulièrement attentif à la prononciation des paroles, parfaitement intelligibles du public sans l’aide des sous-titres, ce qui représente une prouesse technique, de surcroît de la part d’un étranger. Le ténor chante avec le voile du palais relevé en arrière, il obtient de ce fait un timbre infaillible et une retenue vocale qui lui permettent de ne pas noyer le texte du livret dans un magma sonore informe. Parfaitement appliqué, il réalise des descentes chromatiques avec timbre et soutien, notamment dans son exclamation “Ô mon âme”. Par ailleurs, ses aigus sont bien placés et atteints sans forcer. Il témoigne de manière générale d’une voix très égale. Sa capacité à faire comprendre les paroles au public permet de mettre en relief l’aspect métatextuel et à apprécier les mises en abîme multiples que recèle l’opéra de Berlioz, en particulier dans “Chants plus doux que l’aurore, retentissez encore”. De plus, l’interprétation de Mikhailov, attentive à l’intelligibilité du texte, permet de considérer le livret de l’opéra tout autant que la musique et de remarquer ainsi les multiples talents de Berlioz, musicien et écrivain, plus précisément compositeur et librettiste en ce qui concerne la Damnation de Faust, inspirée du Faust de Goethe traduit par Nerval, et qu’Almire Gandonnière a contribué à adapter en livret. Ainsi, le public est amené à méditer sur les tourments faustéens : “Par le monde où trouver ce qui manque à ma vie ?/ Je chercherai en vain où fuit mon âpre envie”.
Vient le tour de Méphistophélès. Ildar Abdrazakov dévoile sa tessiture de basse avec une belle ampleur. Avec beaucoup de coffre il réalise des forte saisissants qui évoquent l’hybris bachique de son personnage. Son vibrato est tonitruant et n’altère en rien l’expressivité de ses nuances piano. Sa couleur de voix incarne les différentes facettes que le texte lui prête. En effet, il est tantôt majestueux et tantôt sautillant comme dans la petite chanson “Une puce gentille”, tantôt dans la démesure propre au diable, tantôt dans la retenue savante comme dans l’air “Voici les roses”. Par ailleurs, soucieux lui aussi de bien articuler, le public semble obéir à son injonction :”Écoute ! Les esprits de la terre et de l’air commencent un suave concert”. À la suite, le chœur entonne dans une unité vocale remarquable sa mélodie piano. Si l’on perçoit furtivement des consonnes qui ne sont pas exécutées en même temps de la part des choristes, cela reste très marginal, et l’unité vocale du chœur est appréciable, chaque chanteur cherche à fondre sa voix au sein de celles des autres pour tendre à une homogénéité vocale douce à l’oreille.
Yulia Matochkina fait preuve de brio dans le rôle de Marguerite, mezzo-soprano ample dans les graves et agile dans les aigus, sa voix est claire et timbrée, son chant est distinct, elle interprète avec beaucoup de subtilité “Autrefois, un roi de Thulé” et souligne plusieurs aspects propre à la composition de Berlioz qui, sans son acuité vocale auraient sans doute été moins facilement perceptibles par le public. Notamment, elle souligne avec délicatesse l’ « assoupissement » du texte et de la musique à la reprise du thème sus-mentionné, allant jusqu’à chanter les élisions et silences du texte. Par ailleurs, son interprétation de l’aria “D’amour, l’ardente flamme” est impeccable, sa voix est équilibrée et son souffle parfaitement maîtrisé. Particulièrement expressive, dans ses nuances comme dans sa gestuelle, elle émeut et émerveille le public.
Valery Gergiev à la direction se montre sobre et précis, l’œil aux aguets des mesures, et la main vibrant au gré des variations de nuances de la partition.
Bruno Messina, directeur du Festival Berlioz a pu mener à bien le beau programme du festival et maintenir La Damnation de Faust malgré les embûches auxquelles il a dû se confronter, et notamment au casse-tête impliqué par la crise sanitaire. En effet, le vaccin russe n’étant pas reconnu en France, les musiciens russes n’ont pas pu bénéficier de pass sanitaire. Néanmoins, une dérogation exceptionnelle leur a été accordée pour que le festival puisse avoir lieu sans annulation, et des tests ont été effectués chaque jour afin de pouvoir faire s’épanouir les diverses manifestations culturelles prévues dans une ambiance festive et apaisée.
Faust : Alexander Mikhailov
Méphistophélès : Ildar Abdrazakov
Brander : Andrey Serov
Marguerite : Yulia Matochkina
Orchestre et chœur du Théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg, dir. Valery Gergiev
La Damnation de Faust
Légende dramatique en 4 parties d’Hector Berlioz, livret du compositeur et d’Almire Gandonnière d’après la traduction du Faust de Goethe par Nerval, créée à l’Opéra-Comique (Paris) le 06 décembre 1846.
Concert du 26 août 2021, Festival Berlioz de la Côte-Saint-André, cour du Château Louis XI.