Crédit photos : © Klara Beck / ONR
L’opéra national du Rhin ouvre sa saison, comme d’habitude, avec un spectacle programmé en partenariat avec le festival Musica. Pour son arrivée à la tête de l’institution alsacienne, Alain Perroux a choisi de mettre à l’affiche, en première française, l’opéra de Hans Abrahamsen, La Reine des neiges, inspiré par le conte homonyme d’Andersen. Créé en danois à Copenhague en octobre 2019, l’ouvrage a fait déjà l’objet d’une nouvelle production, en décembre de la même année à Munich, en traduction anglaise qui sera reprise pour cette troisième mise en scène ici à Strasbourg.
Outre la richesse de la source dramaturgique, adaptée par le compositeur aux côtés de Henrik Engelbrecht, l’écriture très évocatrice du compositeur favorise une immersion dans un univers poétique et onirique. Défendue par Robert Houssart à la tête de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg, la partition plonge le spectateur dans de fascinantes textures orchestrales, très suggestives, à l’exemple de l’augural tapis de flocons, sur lequel on imagine le glissement sourd de traîneaux. Porté par un langage qui ne cède pas aux tentations de l’avant-garde, ce canevas soyeux distille une atmosphère authentiquement nordique privilégiant les stases à la pulsation.
Relégué par le dispositif scénographique en fond de plateau, cet enchantement sonore où le cisèlement du discours est subordonné à l’effet hypnotique et qui requiert un vaste effectif, ne souffre guère de cet équilibre acoustique, et constitue un écrin à une écriture vocale qui témoigne d’une maîtrise assumée des codes lyriques comme des équilibres entre les différentes caractérisations. Les deux enfants, Gerda et Kay, en offrent une éloquente illustration. Tandis que la ligne du Kay de Rachael Wilson se révèle assez proche de la volubilité de la parole, celle de Gerda s’en affranchit pour des couleurs stratosphériques et décantés dont les replis font rayonner toute la palette d’émotions qui traversent la jeune fille. Si la version munichoise a été pensée pour la personnalité inimitable de Barbara Hannigan, l’incarnation de Lauren Snouffer ne démérite aucunement, et restitue toute une évanescence de sentiments.
Face à cette concentration psychologique, le reste du plateau esquisse un savoureux kaléidoscope de situations. L’homogénéité du contralto Helena Rasker résume la bienveillance de la grand-mère, de la vieille dame et de la Finnoise. Les graves solides de la basse David Leigh distinguent la dimension surnaturelle de la Reine des neiges et s’adaptent à la carrure du renne et de l’horloge. Les mêmes accents rustiques se retrouvent dans la corneille de la forêt de Michael Smallwood, qui fait une paire irrésistible avec la corneille du château en résilles de Théophile Alexandre. Les interventions du couple princier reviennent à Moritz Kallenberg et à Floriane Derthe, cette dernière étant membre de l’Opéra Studio. Des chœurs de l’OnR, préparés par Alessandro Zuppardo, se détachent deux soprani, dévolus à Dilan Ayata et Emmanuelle Schuler.
Quant au spectacle conçu par Grégoire Pont et James Bonas, il accompagne la traversée féerique façonnée par la musique. À l’avant de la scène, la scénographie presque vierge d’accessoires de Thibault Vancraenenbroeck, rehaussée par les teintes nocturnes et hivernales des lumières de Christophe Chaupin, met en valeur le travail d’animations et de vidéos de Grégoire Pont, dont on reconnaît la fluidité des formes, visages et éléments, parfaitement calibré pour l’illustration d’une œuvre sans iconoclasme promise à une fortune certaine. Cette troisième production ne devrait pas être la dernière.
Gerda : Lauren Snouffer
Kay : Rachael Wilson
La grand-mère, la vieille dame, la Finnoise : Helena Rasker
La Reine des neiges, le renne, l’horloge : David Leigh
La corneille de la forêt : Michael Smallwood
La corneille du château : Théophile Alexandre
La princesse (opéra studio) : Floriane Derthe
Le prince : Moritz Kallenberg
Dilan Ayata et Emmanuelle Schuler : soprani solistes
Chœur de l’Opéra national du Rhin, Orchestre philharmonique de Strasbourg, dir. Robert Houssart
Grégoire Pont et James Bonas : conception et mise en scène
La Reine des neiges
Opéra en trois actes de Hans Abrahamsen, livret du compositeur et de Henrik Engelbrecht d’après le conte de Hans Christian Andersen, traduction en anglais d’Amanda Holden. Créé le 13 octobre 2019 à l’Opéra royal du Danemark. Création française.
Représentation du 15 septembre 2021. Jusqu’au 21 septembre à Strasbourg et les 1 et 3 octobre à Mulhouse.