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Bucarest, Festival Enescu, Korngold : Die tote Stadt
Bucarest accueille cette année la vingt-cinquième édition du Festival Enescu, initié peu après le décès du compositeur roumain à Paris en 1955, où il s’était établi depuis ses années d’étudiant, partageant sa vie entre la Roumanie et la France jusqu’à son exil dans son pays d’adoption à l’avènement du régime communiste. Si après un élan enthousiaste initial, le festival a subi les contraintes du régime de Ceausescu, il a retrouvé à partir de 1991 son autonomie artistique. La programmation balaie un large répertoire, depuis le Baroque jusqu’à la musique contemporaine, et du symphonique au lyrique, en passant par le répertoire chambriste, avec une mise en avant des œuvres d’Enescu, en particulier dans les concerts des orchestres invités.
Le vendredi 10 septembre est placé sous le signe de la voix. Si l’après-midi est baroque, avec Caldara, Haendel et Pergolèse par Philippe Jaroussky et Céline Scheen, accompagnés par Christina Pluhar et son ensemble L’arpeggiata, dans la salle de l’Atheneum Romain, la soirée est post-romantique, avec une Tote Stadt de Korngold en version de concert. Le bâtiment de l’Opéra étant actuellement en travaux, c’est la Sala Palatului, juste derrière le Musée des beaux-arts, qui l’accueille.
Cette soirée où la voix et l’orchestre se révèlent les maîtres ne fait pas cependant l’impasse sur le visuel. À défaut d’une production scénique complète, une projection multimédia a été confiée à Nona Ciobanu. L’habillage vidéographique mêle narration linéaire et motifs visuels dont la récurrence va de pair avec les thèmes musicaux ou dramaturgiques de l’opéra. La perspective de portes qui ouvrent la soirée invitent habilement à un voyage au cœur d’une intimité domestique et onirique, tandis que le foisonnement de formes et de couleurs fonctionne souvent comme un complément à l’intérêt parfois variable, mais qui n’interfère pas trop avec l’écoute.
L’essentiel reste évidemment la partition opulente de Korngold, avec son chatoiement orchestral déployé et calibré avec un bel instinct dramatique par Frédéric Chaslin, qui veille à ce que les pupitres de l’Orchestre Philharmonique George Enescu se fassent écrin généreux et partenaire pour le plateau vocal, lequel bénéfice d’un appoint sonore afin de compenser une acoustique moins favorable au chant.
Cristina Pasaroiu affirme un timbre chaud et charnu qui décline la séduction et la sensualité de Marietta, tentation qui se confond avec les tentations du souvenir, sans pour autant investir trop de profondeurs sentimentales. L’incarnation de Paul par Rolf Romei se révèle nettement plus intéressante et habitée, par-delà des limites d’endurance très rapidement perceptibles, au point de fragiliser plus d’une fois l’intégrité technique – la vaillance, en particulier du haut de la tessiture, se trouve régulièrement mise à l’épreuve. En revanche, Markus Werba se révèle à l’aise dans le personnage plus terre-à-terre de Frank, tant dans la ligne lyrique, solide, que dans les séquences plus déclamatoires. En Brigitta, Kismara Pezzati se distingue par une rondeur au medium robuste, qui ne force jamais ses graves ni sa coloration de contralto.
Le reste des apparitions ne démérite aucunement. Diana Tugui et Stephanie Houtzeel forment en Juliette et Lucienne une paire aussi complémentaire qu’alerte dans l’expression. À Michale Gniffke reviennent les interventions de Victorin, aux côtés du Fritz de Florin Estefan, tandis qu’Ilya Selivanov résume la noble pacotille du Comte Albert. Préparés par Iosif Ion Prunner, les chœurs complètent l’atmosphère étrange du rêve de Paul dans cette Ville morte d’un quasi contemporain d’Enescu explorant d’autres voies du théâtre lyrique dans la première moitié du vingtième siècle.
Paul : Rolf Romei
Marietta : Cristina Pasaroiu
Frank : Markus Werba
Brigitta : Kismara Pezzati
Juliette : Diana Tugui
Lucienne : Stephanie Houtzeel
Victorin : Michael Gniffke
Fritz : Florin Estefan
Comte Albert : Ilya Selivanov
Nona Ciobanu et Peter Košir : régie multimédia
Die tote Stadt (La Ville morte)
Opéra en trois tableaux d’Erich Wolfgang Korngold, livret du ompositeur (sous le pseudonyme de Paul Schott) d’après Bruges-la-Morte de Georges Rodenbach, créé le 4 décembre 1920 simultanément à Cologne et Hambourg.
Concert du 10 septembre 2011, Festival de Bucarest, Sala Palatului.