Depuis le triomphe sur Facebook de certain air de Vivaldi capté en plein air, l’année où il fut révélé au festival d’Aix-en-Provence dans l’Erismena de Cavalli, Jakub Józef Orliński s’est très vite imposé dans le cercle toujours croissant des contre-ténors, à raison d’un disque tous les ans ou presque : Anima Sacra en 2018, Facce d’amore en 2019 et, peut-être pour cause de confinement, Anima Æterna qui nous arrive cet automne. Aucun rapport avec l’ensemble sur instruments anciens fondé par Joos van Immerseel, « Anima eterna », tout est dans le Æ ! On retrouve les éléments caractéristiques des deux premiers récitals : côté contenant, une photographie de couverture qui joue avec la plastique avantageuse du jeune chanteur polonais (encore que, cette fois, il doive partager la vedette avec un étrange surgissement végétal d’aspect vénéneux) ; côté contenu, une sélection de morceaux choisis et commentés par le musicologue Yannis François.
Retour à la musique sacrée, d’où le titre en écho au premier disque également consacré à ce répertoire, là où Facce d’amore explorait l’opéra. On retrouve aussi, et tant pis pour ceux qui n’avaient pas été sensibles à ses charmes dans Anima Sacra, la musique de Jan Dismas Zelenka. Dans ce programme entièrement composé d’œuvres de la première moitié du XVIIIe siècle, le compositeur bohémien se taille la part du lion, avec deux motets : « Barbara, dira, effera » sur lequel s’ouvre le disque, et « Laetatus sum », soit plus de vingt-cinq minutes, près d’un tiers de la durée totale. Entre les motets du susdit Zelenka ou du Napolitain Gennaro Manna se glissent des airs tirés d’oratorios signés Johann Joseph Fux, Francisco António de Almeida ou Bartolomeo Nucci, autrement dit Vienne, Lisbonne et Rome pour élargir le périple à toute l’Europe baroque. Et pour faire bonne mesure, le disque se conclut sur un Alleluia-Amen de Haendel (la version vinyle inclut même un numéro supplémentaire, de Davide Perez). Il y a donc là beaucoup de musique rococo, où l’expressivité atteint vite ses limites, la fureur comme l’horreur s’exprimant avant tout par le nombre de doubles croches. Les moments guillerets de virtuosité décorative sont heureusement entrelardés de pauses recueillies selon l’alternance qui s’impose dans tout programme équilibré.
Dirigé par Francesco Corti, l’ensemble Il Pomo d’Oro s’acquitte de sa tâche avec vigueur, notamment avec les trompettes martiales de l’extrait de l’oratorio David trionfante du mystérieux Nucci. Un peu de variété est également introduite par le choix d’une pièce avec chœur (le motet « Laudate pueri » de Manna) et par un motet pour duo soprano-alto, le « Laetatus sum » de Zelenka. Jakub Józef Orliński partage donc la vedette avec Fatma Saïd, la soprano égyptienne ayant même droit à un air en solo. On remarque dans la même œuvre les longues notes tenues du Gloria à deux voix. Et le disque se conclut sur une dernière note tellement susurrée qu’elle est presque inaudible, le « -men » final de l’Alleluia-Amen de Haendel. Nul doute qu’avec ce nouvel opus, Jakub Józef Orliński offrira de quoi contenter son fan-club croissant.
Jakub Józef Orliński, contre-ténor
Fatma Saïd, soprano
Il Pomo d’Oro, dir. Francesco Corti
Extraits d’œuvres de Jan Dismas Zelenka, Johann Joseph Fux, Antonio de Almeida, Georg Friedrich Händel, Bartolomeo Nucci, Gennaro Manna, et Davide Perez.
1 CD Erato (octobre 2021)