Devant une salle Garnier quasi pleine et un public composé de nombreux inconditionnels qui avaient fait le déplacement, Angela Gheorghiu, l’une des dernières divas en exercice, ouvre la saison monégasque dans un programme particulièrement varié.
Rien à faire…. Angela Gheorghiu demeure, ici et maintenant, une artiste au pouvoir charismatique incroyable ! Dans une robe blanche à la coupe évasée, en première partie, puis rouge, plus traditionnelle, en deuxième partie, « La » Gheorghiu, au-delà de toute la panoplie qui convient à l’authentique diva qu’elle est demeurée depuis son inoubliable Violetta au Covent Garden de Londres en 1994, semble surtout, ce soir, n’avoir envie de n’être rien d’autre qu’elle-même, face à un public monégasque qu’elle est visiblement heureuse de retrouver et d’embrasser d’emblée de ce regard qui, à lui seul, constitue la promesse d’une soirée réussie.
Le charme, c’est ce qui pourrait être le maître-mot de ce récital au programme presque trop éclectique pour être considéré comme autre chose qu’une soirée de salon – dont la bonbonnière de la salle Garnier est le lieu idéal ! – entre une artiste et son public, en toute amitié.
De fait, pendant un peu plus d’1h30, Angela Gheorghiu conduit le spectateur parmi sa playlist de musiques aimées et, parfois, enregistrées, tout en restant éloignée – à l’exception d’un bis puccinien – du répertoire lyrique.
Amorçant son programme par quelques ariettes et mélodies empruntées aux maitres de l’école napolitaine (Giordani, Paisiello) et du premier romantisme italien (Bellini, Donizetti) où elle fait passagèrement oublier, par un texte dont elle goûte avec gourmandise toutes les saveurs, une justesse pas toujours au rendez-vous, la voix de la soprano roumaine retrouve progressivement le timbre ensorcelant qui l’a toujours caractérisée et laisse faire une technique uvée pour capter notre attention dans des Tosti à l’émotion palpable (Ideale, Sogno). C’est cependant dans les brumes post-romantiques d’Ottorino Respighi (Nebbie), auxquelles ne tardent pas à pertinemment succéder la fleur divine de Schumann (Du bist wie eine Blume) et le « Habe Dank » straussien de Zueignung que l’on trouve les plus beaux moments de la première partie. Ici le soyeux et la morbidezza de la voix viennent se mêler à la pugnacité de l’accent qui, dans le crescendo de Nebbie, nous rappellent quelle belle interprète « vériste » a été Angela Gheorghiu. C’est avec la puissance fiévreuse de la onzième des Douze romances de Rachmaninov (« Vesenniye vody ») que la belle Angela achève de faire chavirer le public avant l’entracte.
On avouera que, dans la deuxième partie de la soirée, les moments de bonheur nous sont surtout venus des réjouissantes mais aussi émouvantes mélodies roumaines de Tiberiu Brediceanu (1877-1968) dans lesquelles Angela Gheorghiu trouve en Jeff Cohen l’accompagnateur complice et attentif, qu’il demeurera tout au long de la soirée. Il est cependant dommage, en particulier dans les pièces solo du programme (allant des «Variations » de Beethoven sur l’air Nel cor più non mi sento de Paisiello aux «danses populaires roumaines» de Bartók en passant par une paraphrase de Saint-Saëns sur la méditation de Thaïs), que ce pianiste ne parvienne pas complètement à imposer un climat spontané qui lui serait propre.
Au terme d’une deuxième partie qui fait la part belle à quelques « tubes » de la mélodie française tels que Plaisir d’amour (Martini), l’Elégie de Massenet et le Je te veux de Satie, qui vient clore avec nostalgie le programme officiel, la diva revient sur scène, pour y être accueillie par un public debout, visiblement ému et qui multiplie les bouquets tandis qu’elle-même lui adresse des baisers. Les bis permettront, enfin, d’entendre un air d’opéra, certes aussi éculé que le « O mio babbino caro » de Gianni Schicchi dans lequel le goût inné de la scène se fait cependant ressentir pour le plus grand bonheur du public ! Un petit pas de côté anglo-saxon avec le standard « Because you came to me », immortalisé par Mario Lanza, puis retour à la Roumanie natale avec un air traditionnel chanté a cappella, viennent clore la soirée, tandis que la chanteuse se retire doucement de la vue de ses admirateurs…
Angela Gheorghiu, soprano
Jeff Cohen, piano
Mélodies, airs et pièces pour piano de Giordani, Paisiello, Bellini, Donizetti, Beethoven, Tosti, Respighi, Schumann/Liszt, R. Strauss, Rachmaninov, Rameau, Martini, Debussy, Massenet, Saint-Saëns, Brediceanu, Bartók, Flotow, Satie, Puccini…
Salle Garnier, vendredi 8 octobre 2021.