Crédit photos : © Matthieu Joffres
L’automne et ses tons mordorés seraient-ils favorables à l’éclosion de festivals de musique ? Plusieurs manifestations fleurissent sur le territoire : Concerts d’automne à Tours, Festival de musique ancienne en Pic Saint-Loup et Hérault, les Lisztomanias de Chateauroux et … Voix d’automne à Évian-les-bains. Sur les hauteurs du lac Léman, ce dernier festival propose un week-end d’envergure avec deux œuvres baroques
en confrontation : la Passion selon Saint-Jean de J.-S. Bach (22 octobre), La Giuditta d’A. Scarlatti (23 octobre). Le troisième concert assure la promotion des jeunes talents de l’Académie de l’Opéra national de Paris dans le domaine du Lied (24 octobre).
Journal de bord 3/3 : Voix sans maître
L’Académie de l’Opéra national de Paris
Comme le concert Scarlatti de la veille, le troisième concert de Voix d’automne (Évian) poursuit le fécond partenariat de l’Académie de l’Opéra national de Paris avec le festival, pour la 4e édition. Le directeur du festival, Alexandre Hemardinquer, déclare son attachement à ce partenariat et à la professionnalisation des jeunes artistes, en partie éprouvés par la longue crise sanitaire.
Fondée en 2015, cette Académie de l’Opéra oriente ses missions en direction de la transmission, la formation, la création, sans omettre le volet d’éducation artistique décliné en actions pédagogiques. « Le pôle de formation professionnelle accompagne chaque saison de jeunes professionnels (sélectionnés sur auditions) dans le perfectionnement de leurs savoir-faire dans des domaines aussi variés que le chant, la musique, la mise en scène » (site de l’Académie). Le directeur de l’Opéra, Alexander Neef, présidait la finale de leur sélection.
Les chanteurs et les deux pianistes sélectionnés pour Voix d’automne sont donc en formation au sein de l’Académie, soit depuis la rentrée 2021, soit depuis 1 à 2 ans (prolongement avec la crise Covid), et ce, sous la direction artistique de Christian Schirm. Bénéficiant de master-classes avec Karine Deshayes, Ludovic Tezier, Vincent Dumestre, Alain Françon notamment, mais aussi de programmes concoctés à leur intention, ces jeunes professionnels internationaux assurent de « petits rôles » dans les productions des scènes Garnier ou Bastille. Ils sont d’ailleurs salariés par l’Opéra national de Paris.
Si vous n’avez pu encore les écouter, deux productions lyriques leur seront prochainement confiées : L’Isola disabitata de J. Haydn (Opéra de Dijon, 27 novembre au 3 décembre) ; Le Couronnement de Poppée- Il Nerone de Monteverdi à l’Athénée Théâtre Louis Jouvet (2 au 12 mars 2022), puis à l’Opéra de Dijon (20 au 26 mars 2022). Sans omettre leurs concerts à l’Amphithéâtre Olivier Messiaen à l’Opéra Bastille.
De juvéniles voix d’automne
Dans la tranche d’âge de 23 à 30 ans, les jeunes artistes de l’Académie de l’Opéra / Voix d’automne caractérisent la nouvelle génération de professionnels de l’art lyrique et du récital. À la Grange au Lac, après l’interprétation de l’oratorio italien (Scarlatti), le concert du 24 octobre les immerge dans le paysage intimiste du Lied romantique. Cette polyvalence des genres, des styles et des langues est devenue l’atout de leur génération
De Franz Schubert à Gustav Mahler, quatre domaines sont successivement explorés. Les extraits du Schwanengesang D 957 de F. Schubert (1828) sont interprétés par le ténor suédois Tobias Westman et le pianiste Hugo Mathieu, récentes recrues de l’Académie. Ce Chant du cygne est un recueil posthume du compositeur viennois, plutôt qu’un véritable cycle. Néanmoins, le halo poétique nimbe les 6 Lieder sélectionnés, notamment le menaçant Krieger’s Ahnung (Le pressentiment du guerrier, poème de Rellstab) qui valorise le registre aigu du ténor avec éloquence. La poésie de Ihr Bild (Son image, poème de Heine) se balance avec une douceur alternativement amoureuse ou lugubre (majeur-mineur). On imagine bientôt le jeune ténor en Tamino ou en Belmonte mozartiens tant sa complicité avec l’allemand est naturelle.
Les Six duos op. 63 de F. Mendelssohn (1845) forment l’épisode joyeux ou sentimental du récital, grâce au duo de choc des soprani russe et italienne, respectivement Kseniia Proshina (diplômée de l’Académie de Samara) et Martina Russomanno. Leur écoute réciproque devient fusionnelle (y compris leur prise de souffle) dans Abschiedslied der Zugvögel (L’Adieu des oiseaux migrateurs). Maiglöckchen in dem Tal (Clochettes de muguet dans la vallée), danse d’essence populaire, met en relief la flexibilité de Kseniia dans l’aigu (le grave gagnerait à être timbré), le médium charnu de Martina.
Nous ne nous attarderons pas sur les extraits Des Knaben Wunderhorn de G. Mahler (1891), en version chant-piano, tant il est compréhensible que de jeunes artistes ne puissent d’emblée maîtriser l’expressionnisme et le désenchantement mahlériens. Cependant, l’ultime Lied des Verfolgten im Turn est sauvegardé par le duo Kseniia Proshina et Alejandro Baliñas Vieites (basse, diplômé du Liceu de Barcelone). D’autant que leur chant douloureux est bercé par le pianiste Carlos Sanchis Aguir, capable de faire surgir le coloris de la version orchestrale … depuis son clavier !
Quelle riche idée de s’acheminer vers les Spanisches Liederspiel op. 74 de Robert Schumann (1849) pour finir le récital ! Les nombreux duos font briller les facettes de combinaisons vocales variées. Celle associant ténor et baryton (Intermezzo) permet d’apprécier le baryton chypriote Yiorgo Ioannou (diplômé du Royal College of Music, London), au legato fermement soutenu. Le jeu chanté/ mimé de Martina Russomanno et Marine Chagnon (mezzo) dans Erste Begegnung (Première rencontre) révèle leur riche potentiel musical et scénique. Tout comme leur aisance hardie dans le tempo de boléro de Botschaft (Message), boosté par l’excellent pianiste espagnol Carlos Sanchis Aguir (diplômé de la Haute école de musique de Genève). Le panache de Martina Russomanno (soprano diplômé de l’université Mozarteum de Salzburg) devient intensément lyrique dans le subtil Melancholie. Toutefois, le public fait fête aux deux quatuors vocaux si dansants de ce cycle : le tout dernier, Ich bin geliebt (Je suis aimé) sonne avec cohésion, raffinement (nuances) et autant d’humour qu’un final de Singspiel.
À la sortie de ce concert dominical de 11h, si les auditeurs paraissent enchantés ou ragaillardis, certains regrettent la faible fréquentation qui n’a pas permis à ces jeunes talents de rencontrer le « large public ».
En cette veille du World Opera Day, ce concert de clôture du festival Voix d’automne affiche les promesses de la nouvelle génération. Grâce à l’Académie de l’Opéra de Paris, goûtons aux jeunes voix sans maître !
En savoir plus
Artistes de l’Académie de l’Opéra national de Paris
Ilanah LOBEL-TORRES, soprano
Kseniia PROSHINA, soprano
Martina RUSSOMANNO, soprano
Marine CHAGNON, mezzo-soprano
Tobias WESTMAN, ténor
Yiorgo IOANNOU, baryton
Alejandro BALIÑAS VIEITES, basse
Hugo MATHIEU, piano
Carlos SANCHIS AGUIRRE, piano
Lieder de F. Schubert (Schwanengesang, extraits), F. Mendelssohn (Six duos op.63), R. Schumann (Spanisches Liederspiel), G. Mahler (Des Knaben Wunderhorn, extraits).
Concert du 24 octobre 2021, festival Voix d’automne à Évian -les-bains