Crédit photos (sauf indication contraire) : Michele Monasta
Arrivé du Congo avec seulement une expérience dans le chant choral, Patrick Kabongo a gravi très rapidement tous les degrés de l’échelle conduisant au cercle fermé des authentiques ténors rossiniens. Après avoir épaté le public et la critique dans L’Italienne à Alger lors de la saison dernière (et après ses triomphes à Bad Wildbad cet été dans Tancrède de Rossini et Romilda e Costanza de Meyerbeer), il revient à Tours à partir du 29 janvier pour son premier Almaviva du Barbier de Séville.
Patrick Kabongo, vous êtes aujourd’hui parisien, mais quel a été votre parcours avant de vous installer chez nous ?
Je suis né au Congo. La première fois que je suis venu en France, c’était en 2006. Je chantais dans les chœurs amateurs d’une Madame Butterfly.
Mais alors vous connaissiez déjà l’opéra avant de venir en Europe ?
Absolument pas ! J’avais juste chanté dans une église, mais en tant que basse : mon tout premier solo, c’était « The Trumpet shall sound » du Messie ! Nous chantions des pages de Haendel pour toutes les grandes fêtes, c’est là que je me suis familiarisé avec les notions de mélodie et d’harmonie ! En 2006, la chorale dans laquelle je chantais à Kinshasa devait interpréter le Requiem de Mozart. Nous étions deux basses solistes. Un chef belge, Michel Vanstals, m’a entendu. Il m’a demandé de rechanter ma partie. Naïvement, je pensais que c’était parce que j’avais été meilleur que les autres ! Mais en fait, après m’avoir réentendu, il m’a simplement demandé : « Mais qui t’a dit que tu étais basse ? Si tu veux chanter comme soliste, ce sera en tant que ténor ! ». J’ai dit OK et j’ai donc chanté les soli du ténor, tout en continuant en tant que basse dans les chœurs ! Michel Vanstals m’a demandé si je voulais venir en Europe faire un stage de chant de deux semaines. J’ai accepté. Et c’est là qu’a commencé à germer l’idée de faire le Conservatoire en Belgique…
Cela s’est fait directement dans la foulée ?
Presque… Dans la chorale où je chantais, il y avait Bernard Quintin, qui était le premier secrétaire de l’ambassade. Prudent, il m’a demandé si je me sentais capable de rester tout seul en Europe. Moi, toujours un peu naïvement, j’ai répondu oui : j’avais envie de chanter, j’étais en Europe, les choses me paraissaient simples et naturelles ! Bernard Quintin, voyant que j’étais décidé, a grandement facilité ma venue. Et une semaine avant de quitter le Congo, j’ai annoncé à ma famille que j’allais étudier le chant en Europe. L’idée n’a pas été si simple à accepter, j’étais en dernière année d’ingénierie électronique à Kinshasa, ce qui a priori m’offrait un avenir plus sûr qu’une hypothétique carrière dans le chant ! J’ai fait une année au conservatoire de Bruxelles, suivie de deux ans à l’Opera Studio de Gent. J’ai eu ensuite directement mon premier contrat à l’Opéra de Rouen.
Tout est donc allé très vite…
Oui et non : en fait, n’ayant pas eu un cursus « normal », je continue toujours d’apprendre ! Pour mon examen d’entrée au conservatoire, je n’étais quasiment pas capable de lire à vue la musique, ce ne sont pas mes années à la chorale de Kinshasa qui m’avaient formé au solfège !
Qu’avez-vous chanté pour votre examen d’entrée ?
« Evr’y valley » de Haendel et… Valentin de Faust ! La couleur de ma voix était celle d’un ténor, mais les aigus ne sortaient pas ! Mon premier cours, c’était avec Marcel Vanaud. J’ai chanté « Una furtiva lagrima » et je me souviens avoir craqué toutes mes notes aiguës ! Lui aussi était perplexe devant les graves que je possédais et la couleur de ma voix de ténor. Il m’a demandé ce que je choisirais entre une Mercedes et une Porsche. J’ai répondu : « Une Porsche ! », et il m’a dit en plaisantant : « Alors tu es ténor ! ».
Une fois que vous avez été « officiellement » déclaré ténor, comment avez-vous découvert votre adéquation au répertoire belcantiste et rossinien en particulier ?
Là aussi c’est toute une histoire… J’ai d’abord chanté des rôles de « ténor de caractère » (j’ai fait Monostatos à Rouen, par exemple). Puis je suis allé travailler la diction française à l’Académie de l’Opéra Comique, où j’ai énormément appris. Mais je ne savais toujours pas quel type de ténor j’étais ! Et puis un jour j’ai remplacé un collègue dans Le Balcon de Peter Eötvös. Ma partie était très aiguë. Mon pianiste, Bertrand Halary, m’a entendu et m’a demandé de passer le voir très vite. Ce que j’ai fait, et c’est là qu’il m’a dit qu’il pensait qu’on s’était trompé sur ma voix et le type de répertoire qui devait être le mien. Il m’a demandé de chanter La Fille du Régiment, j’ai alors découvert la facilité que j’avais en voix mixte et que j’ignorais totalement ! C’est Bertrand Halary qui, le premier, a découvert quelle était la vraie nature de ma voix… Sinon j’aurais pu continuer à me fourvoyer dans des rôles qui n’étaient pas pour moi.
La Fille du Régiment : « Ah, mes amis, quel jour de fête ! «
Puis vous avez travaillé en Italie ?
Oui, à l’Académie de Florence. Une excellente formation, qui m’a permis d’apprendre l’italien en un an. J’ai compris que j’étais dans mon répertoire lorsque, au bout de 6 mois, on m’a proposé d’être dans le second cast de L’Italienne à Alger avec Campanella !
C’est donc à partir de ce moment que vous vous êtes spécialisé dans Rossini ?
Oui ! Lors de ma deuxième année à Florence, le directeur du casting du festival de Bad-Wildbad est venu faire une audition. Il m’a offert un petit rôle, et j’ai gagné, en 2016, le prix de la Révélation du festival. La qualité artistique de ce festival est vraiment excellente : de très grands chefs, spécialistes du bel canto, y participent régulièrement (Il y a eu Alberto Zedda, Antonio Fogliani, José Pérez-Sierra,…) Et chaque année, le public a l’occasion de découvrir une ou plusieurs œuvres rares… L’an dernier, c’était Romilda e Costanza de Meyerbeer (NDR : le quatrième opéra du compositeur, créé à Padoue en 1817, sur un livret de Gaetano Rossi – le librettiste de Tancrède). C’était magnifique ! Heureusement, un CD est prévu…
Les œuvres rares vous attirent ? Vous avez participé à la re-création de Barkouf d’Offenbach l’an dernier…
C’est non seulement très intéressant, mais, de mon point de vue, presque plus facile, car on n’est pas écrasé sous des références intimidantes. Par exemple, me lancer dans Almaviva, après tant d’illustres chanteurs qui ont marqué le rôle, n’est pas simple du tout…
Barkouf à l’Opéra du Rhin en 2018 (© Klara Beck)
Almaviva, ce sera à Tours, à la fin du mois, après Lindoro sur la même scène d’ailleurs…
Ce sera mon tout premier Almaviva. A priori, version intégrale, « Cessa di più resistere » inclus ! De Rossini, j’ai aussi chanté L’Italienne à Alger, Tancrède, L’Inganno felice, L’equivoco stravagante, Le Comte Ory, Elisabetta, ou encore la Petite Messe et le Stabat mater… Je vais refaire Le Comte Ory à Metz en mars prochain et j’en suis ravi : je l’avais déjà chanté en 2012 pour Spinozi, mais ma technique belcantiste a considérablement évolué depuis, et par conséquent, je redécouvre l’œuvre et toutes ses beautés…
Puisque vous possédez un beau médium, pensez-vous que vos emplois puissent évoluer à plus ou moins long terme ?
Pourquoi pas. Argirio de Tancrède est déjà un emploi plus central que mes autres rôles rossiniens (d’autant que le chef Fogliani, l’an dernier à Bad Wildbad, m’a même demandé de faire des cadences vers le la grave…). En dehors de Rossini, je peux songer à certains Bellini (je devais faire une Somnambule, mais je n’ai pas pu parce que cela tombait en même temps que Le Barbier de Tours) ou à certains Donizetti… Le répertoire français m’attire également, notamment Nadir des Pêcheurs de perles.
Un rêve pour finir ?
Développer l’art lyrique au Congo ! Il y a de très belles voix dans ce pays… J’adorerais y monter une œuvre. Pourquoi pas La Grande-Duchesse de Gérolstein !