À la veille de l’entrée de Joséphine Baker au Panthéon, Pretty Yende clame son attachement à la France et à sa capitale dans un récital où le brillant se conjugue à l’émouvant, allant jusqu’à reprendre la célèbre chanson dans le théâtre même où la meneuse de revue fit ses débuts.
De nombreux fans de Pretty Yende s’étaient donné rendez-vous au Théâtre des Champs-Élysées ce lundi soir et, à en juger par l’incroyable ovation qu’ils lui ont réservée, ils n’ont pas été déçus. Il faut dire que le programme proposé avait de quoi plaire. Avouons surtout que Pretty Yende a cet abattage vocal et cette apparente humilité qui font qu’on ne peut que s’incliner devant tant de générosité et fondre instantanément face au sourire lumineux dont la soprano ne se départira pas tout au long de cette soirée.
La soprano sud-africaine est apparue sur scène dans une lumineuse robe argentée dont l’ampleur impressionnante est une ode tout entière aux gestes barrières et à la distanciation physique. Le répertoire choisi pour ce récital était tout aussi brillant et Pretty Yende s’est montrée à l’aise aussi bien dans le motet « Exultate, jubiltate » de Mozart que dans le « Regnava nel silenzio… » de la Lucia di Lammermoor de Donizetti. La facilité de la vocalisation laisse pantois et les aigus et suraigus ajoutés semblent être une partie de plaisir pour celle qui, depuis sa victoire au concours Operalia en 2011, ne cesse de triompher sur les plus grandes scènes internationales.
La voix de Pretty Yende a gardé la légèreté de ses débuts et elle a choisi d’interpréter, chez Gounod, les airs les plus aériens de Juliette et Marguerite. On ne sait ce que la soprano pourrait faire de ces personnages qui réclament dans d’autres pages un médium plus corsé mais elle nous en dessine ici des portraits d’une jeunesse et d’une vitalité insolentes. La rapidité des tempi choisis peut surprendre et le français est parfois un peu vague mais Pretty Yende a cette émotion à fleur de peau qui touche le public instantanément. Sa Rosine, version soprano, du Barbier de Séville de Rossini allie une précision technique chirurgicale à une gouaille quasi- parisienne qu’on ne soupçonnait pas.
Si les airs interprétés par Pretty Yende ne sortent pas des sentiers battus, il en va tout autrement des inévitables ouvertures qui sont inhérentes à ce genre de soirée lyrique. Quel plaisir d’entendre ces trop rares extraits du « Cheval de bronze » d’Auber ou de « Zampa, ou La Fiancée de marbre » de Hérold surtout quand ils sont interprétés avec autant de brio par des Frivolités Parisiennes en grande forme. Ce répertoire coule dans les veines musicales des artistes de l’orchestre et cela s’entend. On se surprend également à redécouvrir, encore une fois, les talents d’orchestrateur d’Ambroise Thomas ou le sens de la couleur instrumentale de Charles Gounod dans les ouvertures de Mignon et de l’orientalisante Princesse Jaune. À la baguette, Giacomo Sagripanti remplace Lorenzi Passerini initialement prévu. Plus habitué au répertoire italien, le chef d’orchestre brille par sa précision, sa pétillance, l’intelligence de ses phrasés et le relief qu’il apporte à ces pages de musiques françaises. Il confirme également ses dons d’accompagnateur en offrant à Pretty Yende un écrin instrumental idéal pour briller et laisser s’épanouir son immense talent et sa sensibilité manifeste.
Le public réserve un triomphe aux artistes et surtout à Pretty Yende. Celle-ci exprimera à son tour, dans un joli discours en anglais, sa joie d’être en France et dans sa capitale et son émotion de voir tant de visages souriants en cette période difficile et incertaine. Après un « O mio babbino caro » sur le souffle et un « I feel pretty » comme un clin d’œil, la soprano finit de mettre la salle à ses pieds avec « J’ai deux amours… », hommage touchant à Joséphine Baker et à Paris, par ailleurs superbement interprété.
Impossible pour les spectateurs de laisser partir l’artiste. La soirée se termine a cappella avec un subjugant meddley d’extraits de comédies musicales. Vent de liberté, joie de vivre et espoir dans un avenir meilleur viennent ainsi couronner ce récital brillant et émouvant.
Pretty Yende, soprano
Les Frivolités Parisiennes
Giacomo Sagripanti, direction
Une production Les Grandes Voix
Daniel Auber
Le Cheval de bronze, Ouverture
Wolfgang Amadeus Mozart
Motet Exsultate, jubilate, K 165 -K6158a
Ambroise Thomas
Mignon, Ouverture
Gioachino Rossini
Il Barbiere di Siviglia, « Una voce poco fa »
Louis-Joseph-Ferdinand Hérold
Zampa, ou La fiancée de marbre, Ouverture
Charles Gounod
Roméo et Juliette, « Je veux vivre »
Faust, Air des Bijoux
Camille Saint-Saëns
La Princesse jaune, Ouverture
Gaetano Donizetti
Lucia di Lammermoor, « Regnava nel silenzio… Quando rapito in estasi »
Théâtre des Champs-Élysées, Paris
Récital du lundi 29 novembre 2021, 20h