Créée à l’Opéra de Rennes en mars 2020 juste avant le premier confinement, cette magnifique production de La Clémence de Titus n’avait pas eu l’opportunité de rencontrer tout son public. L’erreur est en passe d’être réparée et c’est maintenant à Nantes qu’il faut aller.
Composée, paraît-il, en moins de 3 semaines, et dans le genre de l’opera seria où l’on n’attendait pas forcément le dernier Mozart, La Clémence de Titus est une œuvre dont la musique touche souvent au sublime. Le solide livret, signé Caterino Mazzolà, offre également des potentialités de lectures et de transpositions riches et variées, terrain de jeux idéal pour metteur en scène aventurier.
Un palais de marbre noir, des hommes en smokings, des femmes en robes longues, des uniformes et bottes de triste souvenir, quelques touches de blanc et une Vitellia en rose et toutes jambes dehors. Pierre-Emmanuel Rousseau signe ici sa première mise en scène d’un grand opéra de Mozart. Également costumier et scénographe, il offre à l’ultime opéra du compositeur salzbourgeois un écrin visuel d’une classe folle.
Sa Clémence de Titus n’est plus une histoire de rédemption ou un quelconque parcours initiatique. Ce que nous raconte Pierre-Emmanuel Rousseau, c’est une course folle au pouvoir sur fond de risibles amours et de sexe avorté. Tout chez cette « élite » la mène vers sa chute, de ses petits dîners sans vie à ses grandes ambitions tapageuses. Et, bien occupée qu’elle est à créer sa postérité, elle piétine sans complexe les cendres (incroyable deuxième acte) et les corps d’une nation qu’elle ignore le plus souvent sauf pour en jalouser cyniquement un quotidien censément plus doux. Qu’il est difficile d’être un grand quand les simples peuvent jouir en toute tranquillité des petits bonheurs de la vie…
De références, cette mise en scène ne manque pas à commencer par celles, pleinement assumées aux Damnés de Luchino Visconti (Interview de Pierre-Emmanuel Rousseau à lire ici). Certains y verront aussi les allusions à certaines séries à succès du moment. D’autres n’auront pas à chercher bien loin leurs propres accroches dans une actualité toujours riches de luttes intestines et de pompes ostentatoires.
La direction d’acteurs de Pierre-Emmanuel Rousseau est d’une précision clinique. Il n’en fallait pas moins pour donner vie à ces personnages aux psychoses et névroses affirmées. De la lente dégradation physique et mentale de Vitellia à la violence despotique de Titus en passant par l’asservissement physique et moral d’un Sesto entièrement soumis à ses pulsions, rien n’échappe à l’œil du metteur en scène et au nôtre. Seuls certains gestes de colère de l’empereur ont semblé plus «collés » à l’action qu’incarnés mais devraient gagner en naturel aux cours des représentations.
Avec Pierre-Emmanuel Rousseau, chaque personnage à sa petite histoire personnelle derrière son grand destin. On aurait pu les aimer pour le tragique de leurs vies, on en vient à les détester pour leurs trop humaines bassesses et leurs égoïsmes malsains. On balance et on transpose, on glose, on s’interroge. Pour tout cela, cette mise en scène est une réussite et nous ne parlerons pas ici de l’incroyable dénouement final…
Musicalement, l’auditeur est également à la fête. À la tête d’un Orchestre National des Pays de La Loire et du Choeur Angers Nantes Opéra en grande forme, Nicolas Kruger s’affirme comme un magnifique chef mozartien. Rien d’aseptisé ou d’étriqué ici. Sur des basses rondes et affirmées, il met au service du drame des trésors de contrastes et de nuances. Soulignons le travail d’orfèvre effectué sur les récitatifs. Pas d’effets gratuits mais un juste poids des mots en constante adéquation avec la situation qui se joue sur scène. Saluons, comme il le fera également au rideau final, le clarinettiste Jean-daniel Bugaj qui n’a pas manqué de briller ce soir, notamment dans l’air concertant de Vitellia « Non più di fiori« .
Christophoros Stamboglis est un Publio impressionnant à la voix ronde et bien projetée. Capitaine de la garde prétorienne attentif et désabusé, il ne restera pas longtemps immobile face à la déliquescence du pouvoir. Abigail Levis est un Annio bien chantant et son jeune patricien ne manque pas de caractère et de présence. Olivia Doray apporte également une épaisseur inattendue au personnage de Servilia, la sœur de Sextus. Son soprano charnu fait merveille dans un « S’altro che lagrime » à la ligne vocale très bien menée.
Julie Robard-Gendre est un Sesto épatant et ne fait qu’une bouchée d’une partition nécessitant des trésors de technique vocale et d’implication dramatique. Son « Parto, ma tu ben mio… », moment musical tant attendu, est à ce niveau une réussite.
Jeremy Ovenden connaît bien le rôle de Titus qu’il a notamment déjà interprété au Théâtre du Capitole de Toulouse et au Teatro Real de Madrid. Si on a déjà entendu voix de ténor mozartien plus ronde et charnue, l’artiste sait mettre son timbre expressif au service d’un personnage tourmenté à l’autorité bien campée.
En Roberta Mameli, on ne sait qu’admirer le plus. Il y a bien sûr cette incroyable beauté et cette présence enivrante, magnifiées au premier acte par les robes somptueuses de Pierre-Emmanuel Rousseau, et l’actrice est incendiaire, c’est bien peu de le dire. Sa Vitellia est capable du pire et de l’encore pire pour parvenir au pouvoir et sa folie destructrice connaitra son paroxysme dans un reversant deuxième acte, grand moment de pur plaisir théâtral. Cette incarnation ne va pas, par moment, sans sacrifier l’orthodoxie vocale à l’expressivité. Par moment seulement puisque le plus souvent, nous oublions que Roberta Mameli chante.
Cette Clémence de Titus, ce n’est pas une représentation d’opéra, c’est une histoire qu’on nous raconte et c’est à ne pas manquer !
Pour en savoir, c’est ici !
Tito Jeremy Ovenden
Publio Christophoros Stamboglis
Sesto Julie Robard-Gendre
Annio Abigail Levis
Vitellia Roberta Mameli
Servilia Olivia Doray
Choeur d’Angers Nantes Opéra
Orchestre National des Pays de la Loire
Direction musicale Nicolas Krüger
Assistant direction musicale William Lesage
Chef de chant Frederic Jouannais
Clavecin Frederic Jouannais
Mise en scène, décors et costumes Pierre-Emmanuel Rousseau
Lumières Gilles Gentner
Assistant mise en scène Jean-François Martin
Régie générale Sébastien Bourdon
Régie de scène Francois Bagur
Régie surtitres Mitchka Safavi
La Clémence de Titus, opera seria en deux actes composé par Wolfgang Amadeus Mozart en 1791, sur un livret de Caterino Mazzolà d’après Metastase et La vie des douze Césars de Suétone.
Opéra de Nantes, représentation du vendredi 10 décembre 2021, 20h
1 commentaire
Merci de votre article. Je partage votre avis sur la conduite de l’orchestre, excellent serviteur des contrastes mozartiens. Je ne partage pas votre admiration pour Roberta Mameli, qui est vocalement un peu juste. Julie Robard-Gendre est une mezzo aussi poignante que vocalement impeccable. Une découverte pour moi.