Eva Zaпcik, Claire Lefilliâtre, dessus ;
Paul-Antoine Benos-Djian, Nicholas Scott, David Tricou, hautes-contres ;
Cyril Auvity, Zachary Wilder, Serge Goubioud, Marc Mauillon, tailles ;
Thibault de Damas, Virgile Ancely, Geoffroy Buffière, basses.
Le Poème Harmonique – Direction : Vincent Dumestre
Le Bourgeois Gentilhomme
Comédie-ballet de Molière, musique de Lully, créée le au château de Chambord
1CD Château de Versailles Spectacles – janvier 2022 (enregistré en avril 2021
« Molière, 400 ans » est-il inscrit en lettres dorées sur la pochette élégante de ce joli disque[i]. Comment mieux lui rendre hommage qu’en proposant un enregistrement du Bourgeois Gentilhomme? Et comment mieux choisir ses interprètes que d’en confier le soin à Vincent Dumestre et ses acolytes?
Immédiatement, c’est le souvenir du spectacle signé Benjamin Lazar et… Vincent Dumestre qui nous revient. D’autant qu’il y a cette captation vidéo datant de 2004 [ii], en lien avec ces représentations historiques qui tournèrent jusqu’en 2011 dans vingt deux villes et sept pays, accueillant plus de cinquante mille spectateurs fascinés par le français « restitué » comme par l’éclairage aux bougies. Mais alors, pourquoi remettre l’ouvrage sur le métier ?
De nombreux extraits enregistrés de comédies-ballets de Lully existent, ne laissant pourtant encore qu’un reflet incomplet de cette dizaine d’œuvres [iii] qui préludent à la carrière d’un tout autre Lully, celui de la grande tragédie à la française.
Si le tout premier enregistrement des Musiciens du Louvre emmenés par Marc Minkowski était consacré, en février 1987, à ces comédies ballets, le fameux extrait de la cérémonie des turcs était le seul tiré du Bourgeois Gentihomme.
L’année suivante, la Petite Bande dirigée par Gustav Leonhardt proposait un premier enregistrement intégral du Bourgeois, ce qui ne fut pas le cas avec Jordi Savall en 1999 [iv] – lui qui rendit si célèbre la marche pour cette cérémonie turque entendue dans le film d’Alain Corneau Tous les matins du monde en 1991.
Il n’existait jusqu’ici que deux versions des musiques intégrales du Bourgeois Gentilhomme, avec celle gravée il y a tout juste vingt ans par Hugio Reyne et ses complices de la Symphonie du Marais, d’ailleurs captée, comme ce nouvel enregistrement, à l’Opéra royal de Versailles.
Là où Hugo Reyne intercalait des extraits de la comédie de Molière, Vincent Dumestre a choisi de nous régaler d’une heure et quart de musique seule.
D’emblée, ce qui frappe est bien l’espace sonore aéré, la profondeur de chant d’une prise de son claire, superlative, signée par un expert en la matière, Franck Jaffrès, Le plaisir de chaque timbre est restitué, ce qui n’est pas pour rien dans cette réussite collective.
Car c’est bien un collectif que nous entendons. Il suffit de penser à la subtilité déployée par Joel Grare et ses percussions, à la suavité du timbre de Paul-Antoine Benos-Djian, à la musette de Pierre Boragno comme à la délicate intervention de Claire Lefilliâtre pour comprendre que nous avons là un travail d’orfèvre doublé d’une distribution de luxe. Musiciens et chanteurs du Poème Harmonique sont rompus à ce répertoire, pour certains, parfois depuis plus de deux décennies.
Malgré tous ces atouts, le risque d’une redite pouvait exister. Rien de plus faux. Non pas parce que, de la distribution originale, ne restent que deux des chanteurs entendus ici, Claire Lefilliâtre et Serge Goubiou. Mais bien parce que le choix de douze chanteurs (là où le spectacle n’en convoquait que sept) correspond à une grande attention portée aux changements de couleurs et de caractères. Citer la tendre Musicienne d’Eva Zaïcik ou l’inénarrable vieux bourgeois babillard de Marc Mauillon ne saurait faire oublier tous les autres. C’est le collectif de l’excellence qui emporte notre adhésion renouvelée.
Le ballet des Nations est là, intégral, en sa splendeur, sa diversité et sa poésie. La chaconne des Scaramouches ensorcelle, après que le Mufti de Virgile Ancely nous ait réjoui par sa truculence.
Il est évident que connaître ces partitions sur le bout de la baguette permet à celui qui les a jouées tant de fois de donner tout son suc à chaque danse comme à la variété des airs. Vincent Dumestre réussit le tour de force de nous offrir un bouquet de couleurs sans jamais forcer le trait. Tout juste pouvait-on ici ou là souhaiter davantage de contrastes ou d’élan dans cette comédie ballet « faite à Chambord pour le divertissement du Roy, au mois d’octobre 1670 », quelques mois avant que Lully et Molière ne se brouillent.
Nous reste désormais un Bourgeois luxueux qui acquiert, par cette version, tous ses titres de noblesse sans avoir à passer par la savonnette à vilain. Beau cadeau musical en cette année du quatrième centenaire de Jean-Baptiste… Poquelin que de retrouver Monsieur Jourdain à la source.
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[i] Pourtant, si l’on en croit la plaque surmontée d’un magnifique buste de pierre apposée au n°31 rue du Pont-Neuf, Molière serait né en 1620. En fait, c’est bien en janvier 1622, au n°96 de la rue Saint-Honoré, dans le quartier du Palais-Royal, que naquit Jean-Baptiste Poquelin, comme l’indique une autre plaque sur un autre immeuble. Il était alors le voisin de Cyrano de Bergerac, né à une encablure de là, rue des Prouvaires, en 1619.
[ii] 2 DVD Alpha N° 700
[iii] Citons Les Fâcheux (1661), La Princesse d’Élide et Le Mariage forcé (1664), L’Amour médecin (1665), la Pastorale comique et Le Sicilien (1667), Georges Dandin (1668), Monsieur de Pouceaugnac (1669), Les Amants magnifiques et le Le Bourgeois Gentilhomme (1670).
[iv] Marc Minkowski fut publié par Erato, Gustav Leonhardt par Deutsche Harmonia Mundi, Jordi Savall par Alia Vox.