L’Opéra national de Bordeaux inaugure l’année 2022 avec une contribution au 400e anniversaire de la naissance de Molière. Créée lors du Printemps des comédiens à Montpellier en 2019, la production du Bourgeois gentilhomme conçue par Jérôme Deschamps revient aux sources de la comédie-ballet, avec un spectacle total et chamarré, mêlant théâtre, musique et danse, qui fait ainsi autant chatoyer la vis comica que la vitalité des notes et des pas.
Dessinés par Félix Deschamps, les décors privilégient la mobilité à vue, avec, en particulier, la chambre de Monsieur Jourdain qui s’avance, telle une loge d’avant-scène, en promontoire, pour annoncer et faire entrer le personnage sur le plateau avec une vitalité théâtrale au diapason d’un jeu d’acteur chargé en vitamines, idéal pour s’amuser des faux-semblants et autres quiproquos. Imaginés par Vanessa Sannino, les costumes réinventent l’extraversion, voire l’extravagance de cette bouffonnerie tournant en ridicule à la fois des prétentions de distinction aristocratique de la bourgeoisie que de l’ennemi ottoman, sous les lumières modulées par François Menou. Les mouvements chorégraphiques réglés par Nathalie Van Parys participent de cette jubilation, même avec un divertissement aux dimensions calibrées sur les habitudes et l’attention du public d’aujourd’hui : il ne faut pas oublier que ce finale n’avait pas, à Chambord et dans les reprises subséquentes à l’époque, vocation à être suivis religieusement assis : l’auditoire, qui d’ailleurs n’avait pas la même passivité de spectateur – usage imposé depuis seulement le dix-neuvième siècle – pouvait tout à fait se mêler aux comédiens.
On saluera évidemment l’aura et la gourmandise de Jérôme Deschamps dans la fantaisie et l’ahurissement de Monsieur Jourdain, face à une épouse à la rusticité plus terrienne campée par Josiane Stoleru. Le quarteron de maîtres es arts divers décline avec saveur les prétentions successives de chacun, entre Jean-Claude Bolle-Reddat, le maître de philosophie, Guillaume Laloux, maître de danse qui réapparaît sous le vêtement de l’intrigant Dorante, Vincent Debost, maître d’armes, par ailleurs Covielle, valet mutin comme la Nicole de Lucrèce Carmignac, et Sébastien Boudrot, maître de musique, qui revient dans la défroque du tailleur. Face à la candeur de la Lucile de Flore Babled, Aurélien Gabrielli affirme les ruses de Cléonte, quand Pauline Deshons enrichit le personnage de Dorimène, au-delà de ses habiletés, sous lesquelles affleure une tendresse amusée pour Monsieur Jourdain.
Côté chant et musique, on applaudit la fraîcheur de Natalie Pérez, l’aplomb de Jérôme Varnier, l’équilibre entre déclamation et éclat chez Vincent Lièvre-Picard, et la solidité de Lisandro Nesis. À la tête des Musiciens du Louvre en effectif modeste, Thibault Noailly fait vivre les couleurs et les rythmes d’une partition, sans jamais céder à la grandiloquence, dans cette balance entre comédie et musique où le texte prend peut-être un discret ascendant. Dans cette mascarade jubilatoire, Molière a le dernier mot – le public bordelais et les téléspectateurs de la retransmission en direct du Grand-Théâtre du 14 janvier sur France 5 ne le regretteront pas.
Monsieur Jourdain : Jérôme Deschamps
Le maître de philosophie : Jean-Claude Bolle-Reddat
Dorante / le maître de danse : Guillaume Laloux
Cléonte : Aurélien Gabrielli
Covielle / le maître d’armes : Vincent Debost
Le maître de musique / le tailleur : Sébastien Boudrot
Madame Jourdain : Josiane Stoleru
Lucile : Flore Babled
Nicole : Lucrèce Carmignac
Dorimène : Pauline Deshons
Natalie Pérez, Jérôme Varnier, Vincent Lièvre-Picard, Lisandro Nesis : chanteurs et chanteuses
Anna Chirescu, Quentin Ferrari, Maya Kawatake-Pinon, Antonin Vanlangendonck : danseurs et danseuses
Les Musiciens du Louvre, dir. Thibault Noally
Jérôme Deschamps : mise en scène
Le bourgeois gentilhomme
Comédie-ballet en cinq actes de Molière et Lully, créée le
Opéra national de Bordeaux, Grand-Théâtre, représentation du 11 janvier 2022