Une absence de presque dix ans
Le public s’amuse et applaudit de bon cœur
Absentes depuis trop bien longtemps des scènes de l’Opéra national de Paris, Le nozze di Figaro avaient été jouées une dernière fois à Bastille, en 2012, dans l’ancienne production de Giorgio Strehler qui achevait alors un cycle de quarante ans de bons et loyaux services (et qui n’a peut-être pas dit son dernier mot…), néanmoins précédée par l’épisodique incursion, au Palais Garnier, de la réalisation de Christoph Marthaler, au printemps 2006, reproposée deux ans plus tard au Théâtre Nanterre-Amandiers. Ce n’est donc pas étonnant, comme en témoigne le directeur musical de la maison dans une interview publiée dans la brochure de présentation, que dès ses premiers échanges avec Alexander Neef, il leur ait « semblé fondamental de programmer Mozart et plus précisément Les Noces de Figaro ».
Dans les coulisses
Les notes sur la mise en scène de Netia Jones sont, en revanche, beaucoup plus évasives, davantage l’énumération d’annotations diverses sur les auteurs et sur la période que de véritables considérations sur le travail auquel va assister le public. Cependant le ton est aussitôt donné, puisque, lorsqu’il entre dans la salle, le spectateur découvre les coulisses d’un théâtre, sans doute le Palais Garnier lui-même : « Qu’est-ce qui ressemble plus à un palais du XVIIIe siècle qu’une maison d’Opéra ? », nous dit la metteure en scène dans le programme de salle. On peut donc se laisser prendre au jeu mais il faut quelque temps pour saisir entièrement l’esprit du procédé. Si le choix du « théâtre dans le théâtre » est clair, de quel théâtre s’agit-il ? Que font ces personnages tantôt dans des loges (actes I et II), tantôt dans un atelier de couture et devant des coiffeuses (acte III), tantôt sur une scène vide (acte IV) ? Seraient-ils des acteurs s’apprêtant à jouer Le Mariage de Figaro ? Les chanteurs de ces mêmes Nozze ? Ce n’est qu’au fur et à mesure qu’avance l’action que l’on peut en déduire que ce va-et-vient ininterrompu et ces essayages réitérés ne constituent que des éléments des préparatifs des noces de Figaro et de Susanna… C’est ce qui justifie également l’alternance d’habits contemporains et de costumes XVIIIe. Le rouge prédomine, jogging et casquette de Cherubino, puis son uniforme et celui de ses acolytes dès le premier acte, robe de la comtesse au deuxième, gilet et culotte du comte au troisième : la passion amoureuse, la jalousie, voire le viol (raté ?) de Susanna par son maître ?
Tous en petite tenue
L’autre propos de la mise en scène ne s’affiche que furtivement lorsqu’apparaît le chœur de paysannes et de paysans, menés par Figaro, distribuant des tracts, projetés à l’arrière-plan, contre les violences et le harcèlement sexuels, puisque « les femmes n’y [à l’opéra] ont pas eu leur place, ni sur scène, ni en dehors ». C’est mal connaître l’histoire du genre, de même que le librettiste de notre ouvrage dont la metteure en scène nous trace un portrait à charge, « prêtre et tenancier de maison close, misogyne avoué et tricheur patenté », cet Emanuele Conegliano, Juif converti de force dès son plus jeune âge et obligé d’entrer dans les ordres sans jamais les pratiquer vraiment, aventurier assurément, libertin de la pensée, dans le meilleur esprit du XVIIIe siècle finissant. Heureusement le chef d’orchestre est là pour remettre les pendules à l’heure : la réussite des Nozze di Figaro est tout autant l’œuvre du compositeur que celle du poète (« La créativité poétique de Da Ponte, combinée à l’exceptionnelle habileté de Mozart pour mettre en musique chaque mot, a donné lieu à l’une des plus géniales relations de l’histoire des arts… la magie de Mozart, alliée au talent de Da Ponte »).
Et pour défendre cette autre facette de la production, quoi de mieux que de déshabiller tout le monde ? Susanna en sous-vêtement rouges dès son duettino de l’acte I avec son futur époux, simulant un acte sexuel vite interrompu, la Contessa en culotte et soutien-gorge bleu clair, ôtant sa robe au début de l’acte II, Figaro et Almaviva en caleçon, ce qui ne peut que nous faire constater que le premier a de plus belles cuisses que le second, Cherubino lors de ses multiples déguisements. Le comte danse alors avec une jeune fille, pendant que son serviteur s’imagine le défier (« Se vuol ballare ») : l’un des nombreux visages de Susanna. Au précipité entre le premier et le deuxième acte, la silhouette d’Alfred Hitchcock traverse rapidement la scène, bientôt suivie d’une toute petite Audrey Hepburn, à moins qu’il ne s’agisse encore du Conte et de la camériste. À la scène finale, les noces, apparaît au loin le grand foyer du Palais Garnier, où dansent les petits rats de l’Opéra : que des jeunes filles dont l’une tombe malencontreusement ; est-ce Susanna, enfin prise dans les filets du comte, voire de Figaro ? Le public s’amuse, applaudit et, pour une fois, ne hue pas la réalisatrice au moment des remerciements. La mise en scène fonctionne.
Une distribution à toute épreuve
Dans ce contexte, force est de constater que vocalement ce sont les hommes qui se taillent la part du lion. Ayant remplacé Adam Palka, initialement prévu, Luca Pisaroni forme avec Peter Mattei le couple vedette de la soirée, auquel vient s’ajouter le Cherubino très idiomatique de Lea Desandre. Déjà Figaro à Nanterre en 2006, puis Almaviva à la Bastille en 2012, le premier en impose à la fois par son jeu et par son phrasé. Retrouvant le rôle qui fut le sien dans ces mêmes lieux voici bientôt seize ans, le deuxième a toujours fière allure dans les habits du séducteur et se distingue tout particulièrement par sa maîtrise du souffle. La troisième assure une très belle ligne à son page, capable des meilleures nuances et des ornementations de haut vol. Maria Bengtsson est une Contessa manquant quelque peu de projection dans son premier air, tout en déployant un prodigieux pianissimo dans le da capo de son aria de l’acte II, aux couleurs savamment variées. Anna El-Khashem est une Susanna un peu trop claire au début mais elle gagne en assurance dès le deuxième acte.
Dorothea Röschmann est une Marcellina très appliquée ; Barbarina délicieuse de Kseniia Proshina, Bartolo de bonne école de James Creswell, Basilio de routine de Michael Colvin, dans la meilleure tradition, alors que Marc Labonnette prête avec générosité son beau timbre à Antonio.
Direction très fluide de Gustavo Dudamel.
Figaro : Luca Pisaroni
Le Comte Almaviva : Peter Mattei
Bartolo : James Creswell
Don Basilio : Michael Colvin
Don Curzio : Christophe Mortagne
Antonio : Marc Labonnette
Cherubino : Lea Desandre
La Comtesse Almaviva : Maria Bengtsson
Susanna : Anna El-Kashem
Marcellina : Dorothea Röschmann
Barbarina : Kseniia Proshin
Deux femmes : Andrea Cueva Molnar, Ilanah Lobel-Torres
Chœurs et Orchestre de l’Opéra de Paris (Alesandro Di Stefano), dir. Gustavo Dudamel
Mise en scène, décors, costumes et vidéo : Netia Jones
Chorégraphie : Sophie Laplane
Collaboration à la mise en scène : Glen Sheppard
Dramaturgie : Solène Souriau
Les Noces de Figaro
Commedia per musica de Wolfgang Amadeus Mozart, livret de Lorenzo Da Ponte d’après le Mariage de Figaro de Beaumarchais, créé le 1er mai 1786 au Burgtheater de Vienne.
Représentation du vendredi 21 janvier 2022, Palais Garnier (Paris).
1 commentaire
Come sempre una puntuale ci introduce all’opera in maniera « Visiva » … Rimane difficile accettare una messa in scena che costringe il cervello a un super-lavoro per riuscire a capire cosa di nuovo voglia dirci la regia su un’opera che è, per storia e costume, molto semplice! Questo, secondo me, va a scapito della meravigliosa costruzione musicale di Mozart e della poesia, delicata ma pungente, dell’abate Da Ponte !! MI chiedo: A che pro?? E come le voci possano essersi « adattate » a sguisciare tra un ibrido, e un si contorto pensiero, arrivando al « perdono » del Conte?? Forse il perdono dovrebbe essere chiesto a Mozart e a Da Ponte !!!