La curiosité était au rendez-vous ce vendredi à Strasbourg. Pour plusieurs raisons : c’était l’occasion d’entendre l’Orchestre National de Lyon sous la direction de son nouveau directeur, Nikolaj Szeps-Znaider dont les gazettes disent beaucoup de bien. Et de retrouver le grand Thomas Hampson.
La dernière fois que je l’avais entendu, c’était à l’automne 2017, à l’Opéra Bastille, dans le rôle de Danilo de La Veuve Joyeuse. Je n’avais pas été totalement convaincu par son interprétation, restant sur le beau souvenir de son enregistrement de 1994 aux côtés de Felicity Lott.
Disons d’emblée que ce fut lui qui donna à cette soirée son caractère exceptionnel. Car à 66 ans, le baryton américain a donné une interprétation absolument bouleversante des Quatre chants sérieux de Brahms.
Ce n’était pas gagné d’avance. Non pas en raison de sa voix, puissante, toujours aussi maitrisée et profonde – touchante. Mais à cause de l’arrangement que l’on doit à Detlev Glanert. A l’origine pour piano, l’œuvre en devient méconnaissable. Car le compositeur allemand contemporain n’a pas seulement orchestré la partition brahmsienne. Il l’a parsemée d’interludes purement instrumentaux d’un style très éloigné des couleurs brahmsiennes, donnant une impression d’étrange patchwork musical, où le romantisme est enchâssé dans un flot sonore beaucoup plus contemporain, à l’effectif orchestral fourni et jouant sur le tragique strident des cordes comme des tutti orchestraux. Cela donne une œuvre hybride où il est difficile de se repérer. Pas sûr que ces Quatre chants sérieux y gagnent en force dramatique, alors que les textes sont une réflexion sur la mort et la finitude [1].
Il s’agit d’un moment très particulier dans la vie de Brahms, une de ses toutes dernières œuvres, pour sa si chère amie Clara Schumann. Il puise les textes dans l’Ancien et le nouveau Testament et compose ce cycle au printemps 1896, après avoir été saisi par l’accident cérébral de Clara qui décède quelques jours plus tard. Cette œuvre sombre se termine par un éclat plus lumineux, regardant vers l’espérance de la foi.
Thomas Hampson en a donné une vision profonde, intériorisée. Ce spécialiste du lied, comme de tant de domaines, allant du romantisme lyrique à la comédie musicale de Cole Porter, nous a entraîné dans un implacable voyage introspectif. Il nous a happé par sa diction, son timbre, son charisme – nous interpellant par son interprétation humaine qui allait droit au cœur et à l’âme de chacun.
Le reste du programme, purement instrumental, était, en revanche, bien décevant. Le Prélude de Parsifal qui ouvrait ce programme consacré au « romantisme sacré » n’offrait guère de sortilèges wagnériens, mais mettait à nu le manque de cohésion des pupitres comme le manque de nuances de la direction. Cela se révéla très problématique dans une Septième symphonie de Dvorak menée à la serpe par Nikolaj Szeps-Znaider. La petite harmonie manquait de subtilité, les cuivres de nuances, l’ensemble de gradation dans les phrasés. Le chef, à l’origine un fabuleux violoniste, ne semble pas préoccupé par le moelleux des phrases lyriques de Dvorak, mais beaucoup plus par le clinquant d’un orchestre rendu trop agressif. Une Septième sans âme, à des années lumières du message musical distillé par Thomas Hampson.
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[1] On peut en écouter ici l’interprétation de Matthias Goerne avec l’Orchestre de la RAI sous la direction de Semyon Bychkov, en concert en 2012.
Baryton : Thomas Hampson
Orchestre National de Lyon, direction : Nikolaj Szeps-Znaider
Wagner, Prélude de Parsifal
Brahms/Glanert, Quatre chants sérieux
Dvorak, Symphonie n°7
Concert donné au palais de la Musique et des Congrès de Strasbourg, le 20 janvier 2022