Distribution inégale, union orchestrale atypique , chœur hors propos et mise en scène poétique et suggestive, ce Phaéton à l’Opéra de Nice laisse comme un goût d’inaccompli. Peut-être une question de diapason…
Nous l’attendions depuis deux ans. Les répétitions de cette nouvelle production du Phaéton de Lully avaient dû être interrompues par les premiers assauts de la Covid. En ce mois de mars 2022, aux premiers jours du printemps, le fils du Soleil prend enfin les rênes du char paternel.
Phaéton, poussé par sa mère, n’a qu’un seul objectif : régner. Il y sacrifie l’amour et épouse par intérêt la promise d’un autre. L’amant éconduit n’hésitera pas alors à remettre en cause l’illustre filiation. Pour rassurer son fils, le Soleil, acceptera de laisser Phaéton conduire son char autour de la Terre. Incapable de le maîtriser, le jeune téméraire se rapproche dangereusement de la planète et commence à la brûler. Pour éviter la catastrophe, Jupiter foudroie l’impudent qui meurt dans sa chute. Sous ses ornements mythologiques, cette tragédie lyrique est aussi une allégorie tranchante de l’ambition et du pouvoir.
Eric Oberdorff signe ici une mise en scène sombre et poétique, puissamment suggestive et d’une intemporalité morale telle un îlot d’éternité au sein d’un monde et d’une actualité toujours changeants. Extrêmement chorégraphiée et sans cesse en mouvement, l’action prend vie autour, sur et en-dessous d’une tournette déjà aperçue dans une production de l’Opéra de Nice, Akhnaten, autre sujet solaire s’il en est. Pour animer ce plateau mouvant, le metteur en scène met à contribution deux circassiens et quelques danseurs contemporains de la Compagnie Humaine. À la fois danseurs et acteurs du drame à l’égal des solistes et du chœur, la qualité de leur réalisation technique ne lasse pas de subjuguer.
Tout, où plutôt un rien, suffit à créer un espace et un temps hors du monde et ouverts à toutes les interprétations. Sur ce plateau dépouillé, seules les lumières fortes et focalisées de Jean-Pierre Michel départagent la tournette et les autres espaces. Les décors et costumes de Bruno de Lavenère interrogent également la temporalité et la localité de cette histoire qui pourrait se jouer dans l’Antiquité aussi bien que sur une planète futuriste. Ce dépouillement et cette clarté mettent l’accent sur les personnages, la musique et le mouvement.
Les premières notes de l’Ouverture surprennent. L’oreille s’accoutume pourtant très vite aux sonorités modernes de l’Orchestre Philharmonique de Nice dans un répertoire qui nous a habitués depuis près de quatre décennies à des couleurs et à un diapason moins brillants. Jérome Corréas a très habilement abouté à cette contemporanéité instrumentale un continuo et des flûtes issus de son ensemble baroque Les Paladins. Il rejoint ici l’intemporalité de la mise en scène d’ Eric Oberdorff dans une réalisation musicale entre deux époques plus que convaincante. Le chef sait comme personne façonner les scènes de récits des chanteurs et créer un lien musical et narratif avec les airs, faisant ainsi avancer l’action et évoluer les personnages en permanence. Aussi réussie que soit cette interprétation instrumentale, c’est peut-être la hauteur du diapason qui aura mis le plus en difficulté l’exécution vocale de la partition.
Le chœur est très important dans Phaéton. Constamment en interaction avec le rôle-titre, il l’encourage, le libère mais va aussi lui nuire et l’accompagner dans sa chute. Les Chœurs de l’Opéra de Nice, très souvent convaincants dans la grande variété des répertoires proposée habituellement par la maison azuréenne, ne chante pas ici dans son ADN stylistique. On ne sait s’il aurait été plus à son affaire avec un La à la fréquence moins élevée mais le répertoire baroque n’est assurément pas celui qui le met le mieux en valeur. Les pupitres féminins manquent souvent d’homogénéité et l’ensemble peine à rendre avec justice et clarté la subtile construction harmonique et mélodique des grands ensembles lullystes. L’implication de l’ensemble des artistes du chœur est pourtant sans faille mais cela n’aura pas suffi…
Certains solistes auront été plus flattés par ce diapason moins grave qu’à l’accoutumée dans ce répertoire, surtout du côté des voix graves d’hommes qui y gagnent en éclat. En Protée et Jupiter, Arnaud Richard fait montre d’une belle présence aussi bien vocale que scénique. Frédéric Caton est à la fois Saturne et Merops. Extrêmement bien chantant, son vieux roi rompu à l’exercice du pouvoir est une réussite. Autre portrait plus que convaincant, celui que dresse Gilen Goicoechea de l’ambitieux et courageux Epaphus. L’écriture vocale très lyrique de son personnage met parfaitement en valeur ses magnifiques moyens. Quel plaisir également de retrouver ici Jean-François Lombard que nous avions quelque peu perdu de vue et des oreilles. Si la voix n’est plus aussi à l’aise que jadis dans l’aigu de la tessiture du Soleil, il fait merveille dans les rôles de Triton et de La Terre. Deborah Cachet met au service de l’amoureuse et resplendissante Théone son très beau soprano et se tire avec brio des exigences d’une partition qui n’en manque pas. Même la hauteur de notre fameux diapason n’aura pas réussi à la déstabiliser et la diction sera restée un modèle tout au long de cette soirée. Chantal Santon Jeffery est comme souvent un modèle de tenue et de style en Libye, femme amoureuse et puissante. L’écriture centrale du rôle met en valeur ses magnifiques moyens et la variétés des couleurs et l’attention qu’elle porte au texte est un véritable plaisir auditif.
En Clymène et Astrée, Aurelia Legay est celle qui semble le plus embarrassée vocalement au cours de cette soirée entre deux tons. Le personnage de la mère – trop – aimante de Phaéton est très joliment rendu mais la voix semble tendue, voire crispée. Espérons retrouver cette belle artiste à des hauteurs qui lui correspondront mieux. En Phaéton, Mark Van Arsdale semble souffrir du même inconfort. Balançant entre une magnifique voix de tête et une voix de poitrine souvent en tension, son incarnation du tragique égoïste est pourtant très attachante.
Nos chanteuses et chanteurs du jour se plient avec talent à cette mise en scène très cinématographique toute en circonvolution et en tensions dramatiques habillement dessinées. Tensions dont auront également souffert quelques voix. Peut-être une question de demi-ton pour une réussite en demi-teinte…
Théone Deborah Cachet
Clymène, Astrée Aurelia Legay
Libye Chantal Santon Jeffery
Phaéton Mark Van Arsdale
Triton Le Soleil, La Terre Jean-François Lombard
Epaphus Gilen Goicoechea
Merops, Saturne Frédéric Caton
Protée Jupiter Arnaud Richard
Chœur de l’Opéra de Nice
Orchestre Philharmonique de Nice
Avec la collaboration des musiciens de l’ensemble Les Paladins et des artistes de La Compagnie Humaine
Direction musicale Jérôme Correas
Mise en scène Eric Oberdorff
Assistant mise en scène Olivier Lexa
Décors et costumes Bruno de Lavenère
Lumières Jean-Pierre Michel
Phaéton
Tragédie en musique en cinq actes avec prologue de Jean-Baptiste Lully sur un livret de Philippe Quinault. Création au Palais Royal de Versailles le 6 janvier 1683
Opéra de Nice, France
Représentation du mercredi 23 mars 2022, 20h00