Josefine Göhmann, soprano
Mario Häring, piano
réBelles! – Portraits lyriques
Oeuvres de Feliz Anne Reyes Macahis, Arthur Honegger, Arnold Schönberg, Lili Boulanger, Paul Hindemith, Kurt Weill, Alexander Wagendristel, Olivier Messiaen, Ernest Chausson, Richard Strauss, Wolfgang Rihm, Aya Yoshida.
1 CD Deutschlandfunk – Solo Musica, (68:59′), 8 avril 2022.
Ne nous laissons pas abuser par le titre du CD, réBelles !, qui surfe sur une tendance peut-être un peu sur-représentée aujourd’hui, et ne correspond qu’imparfaitement au contenu du CD (la narratrice tristement désabusée du Youkali de Weill ou l’Ophélie de Shakespeare revisitée par Chausson, Strauss ou Rihm manifestent bien peu de rébellion…) : ce disque présente en fait une belle originalité, qui réside tout à la fois dans son programme et dans sa conception.
Le programme tout d’abord : les artistes ont choisi de nous faire entendre exclusivement des pages des XXe et XXIe siècles (à l’exception d’une page signée Ernest Chausson), dont certaines ont été peu enregistrées, voire font l’objet d’une toute première captation (« La Vierge de Cluny. Chant d’une femme » de Feliz Anne Reyes Macahis ou « Réquiem para un niño » d’Aya Yoshida). Le sous-titre un peu générique « Portraits lyriques » ne laisse pas deviner l’organisation très pensée du programme, qui propose quatre sections pouvant correspondre, explique la chanteuse dans la notice explicative, à quatre salles d’un musée, la première étant consacrée à la Vierge, la seconde aux représentations de Sirènes, la troisième à des « héroïnes » (c’est la section la moins convaincante car peut-être un peu « fourre-tout »), la quatrième au personnage d’Ophélie dans le Hamlet de Shakespeare. Ainsi sont assurées une logique et une cohésion que la lecture des titres enregistrés, au recto du CD, ne laissait guère présager. Qui plus est, ce groupement thématique permet de belles mises en perspectives (entre les conceptions de la Sirène par Chausson ou par Hindemith), voire des comparaisons très précises (le même chant d’Ophélie est mis en musique, dans un langage et selon des esthétiques très différents, par Ernest Chausson et Richard Strauss).
La conception du CD est également on ne peut plus soignée : le livret comporte plusieurs belles photographies de Josefine Göhmann (signées Felix Broede) évoquant des toiles d’Arnold Böcklin, Heinrich Vogeler, Christian Schad ou Anita Rée, un intéressant est astucieux « Qui est qui alphabétique » et un entretien avec la soprano présentant de façon éclairante le contenu de l’album. Manque seulement, pour que le bonheur du mélomane français soit complet, une traduction française des différents textes.
Anita Rée, Autoportrait (1929)
Musicalement, le CD est également une belle réussite. Josefin Göhmann, ici accompagnée au piano par un Mario Häring dont la complicité avec la chanteuse et la musicalité sont constantes, est connue du public français notamment pour avoir fait partie du Studio de l’Opéra de Lyon et pour avoir interprété le rôle de Poppée dans Le Couronnement de Poppée à l’Opéra de Vichy, dans une reprise de la mise en scène de Klaus Michael Grüber, ou encore pour avoir participé à l’inoubliable Ermione donnée par Alberto Zedda à l’Opéra de Lyon et au Théâtre des Champs-Élysées en 2016. Elle fait ici entendre une voix richement timbrée sur l’ensemble de la tessiture, et manifeste par ailleurs une vraie sensibilité, une belle versatilité stylistique, ainsi que des qualités de diction appréciables : sa prononciation de l’allemand est extrêmement claire – celle du français l’est un tout petit moins mais reste cependant fort convenable et très soignée.
Pas facile pour de jeunes artistes que de proposer un CD qui tout à la fois constitue pour eux une carte de visite, se distingue des autres albums paraissant plus ou moins dans le même temps, et rencontre son public. Pour ce qui est des deux premiers critères, ils sont parfaitement remplis par l’album réBelles ! Souhaitons aux artistes que le troisième le soit tout autant : ils le méritent pleinement !