Pour célébrer les 20 ans de son activité, l’ensemble baroque Arianna choisit la Messe en si mineur de J.-S. Bach à Montpellier. Sous la direction de sa fondatrice, Marie-Paule Nounou, la fresque souveraine se déploie sous la voûte de Notre-Dame-des-Tables, basilique adossée au Musée Fabre. Les auditeurs plébiscitent tous les interprètes, manifestement aussi réjouis que le public.
La part du sacré
Entre les piliers de la basilique Notre-Dame-des-Tables (Montpellier), le choix de la Messe en si mineur BWV 232 devient une évidence dans l’acoustique généreuse de l’édifice. Se référant à la liturgie catholique romaine (les cinq pièces de l’ordinaire), en vigueur à la cour de Saxe, le Kantor luthérien de Leipzig poursuit d’autres voies que celles de raconter le drame avant tout humain des Passions. Il choisit également d’autres structures que la brève messe luthérienne en dotant le chœur, les cinq solistes et l’orchestre d’une constellation unique de 27 pièces.
Avant les deux concerts montpelliérains, les auditeurs ont pu écouter la conférence de Corinne Schneider (productrice du Bach du dimanche à France Musique). Et ce faisant, suivre la trajectoire exceptionnelle de « ce legs musical et spirituel du Kantor, construit pendant un quart de siècle, de 1724 à 1749, et suivi de sa disparition » (C. Schneider). En effet, sans commande et sans exécution de son vivant, le défi de rassembler peu à peu ces pièces, pour certaines adaptées de ses propres cantates (procédé de la parodie), demeure unique dans l’histoire musicale en Occident. A l’évidence, le défi est la marque du compositeur dont la trajectoire professionnelle provinciale est sans commune mesure avec la monumentalité de son catalogue et le génie compositionnel, dixit l’experte conférencière.
Conçue comme une somme des styles ancien et contemporain du baroque tardif, l’œuvre est donc composite et complexe. Elle assume cette hétérogénéité par la dynamique de sa construction, inscrite dans l’esthétique baroque du contraste. Interpellé par les exclamations du premier Kyrie Eleison, l’auditoire montpelliérain est à plusieurs reprises plongé dans les émotions contenues et intériorisées : celles du Crucifixus du Credo, puis du Benedictus et enfin dans l’imploration de l’Agnus Dei. Si la puissance contrapuntique du Credo est convaincante (y compris hors de toute croyance religieuse), c’est cependant la joie explosive du Gloria, de la résurrection (Et resurrexit), puis du Sanctus déployé à 6 voix et des guirlandes de l’Osanna en double chœur (pièce la plus tardive, 1749) qui laissent une empreinte durable. Celle d’une réjouissance collective que musiciens et chanteurs font partager à leur auditoire.
Une réalisation harmonieuse
Depuis le clavecin continuo, face à ses musiciens, Marie-Paule Nounou conduit l’orchestre Arianna et les quarante choristes amateurs d’Ars Vocalis (qu’elle a fondé en 1998) à la victoire. Tour à tour souple et douce (Qui tollis), pulsée et bondissante (Osanna), sa direction harmonise les textures d’une main droite déliée qui s’échappe à dessein du clavier. L’écoute de chacun-chacune est sollicitée (ce qui permet quelques réajustements réactifs au fil des deux heures de musique). Saluons la qualité vocale des cinq pupitres du chœur mixte, disposé en demi-cercle derrière l’orchestre, mais englobé par les trompettes et timbales. Un dispositif qui offre une dilatation sonore idéale dans la résonance de la basilique. Les entrées fuguées sont énoncées avec clarté (1er et 2e Kyrie), les vocalises deviennent déclamatoires (Sanctus) ou volubiles dans le vif tempo de l’Osanna, tandis que les nuances palpables (Et incarnatus est) et les articulations choisies par la cheffe modèlent la luxuriance polyphonique. Les respirations ménagées entre aria et chœurs laissent l’œuvre vivre sous la direction d’une cheffe de chant, dont la longue expérience est attestée par la discographie de ses deux Ensembles, puisant de Monteverdi ou Montéclair jusqu’à Britten et Carter. Avec cette exécution de la Messe en si mineur, Marie-Paule Nounou rejoint le projet de ses aînés, de Michel Corboz ou René Jacobs jusqu’à García Alarcón : donner vie à une interprétation personnelle.
Côté instrumental, l’ensemble Arianna est d’un professionnalisme patent, soutenu par un continuo solide (clavecin, orgue, violoncelle et violone) que l’on aurait juste souhaité plus diversifié au fil des pièces (bassons). Le pupitre de trompettes naturelles, surlignant les grands chœurs triomphants, est impressionnant de précision d’attaque et de justesse. Sollicités pour les airs solistes si exigeants, la violon solo (Cécile Desier), la flûtiste (Vasilisa Medojevic), le hautbois d’amour (Bernard Langlois ) et le corniste da caccia (Lionel Renoux) éclairent la fresque de leurs timbres idiomatiques sur instrument ancien.
Côté solistes, l’équipe homogène maîtrise l’exercice exigeant de l’aria ou du duo en langue latine, d’autant que Bach compose toujours de manière quasi instrumentale pour les voix. Le public a plébiscité l’alto Anthea Pichanick (Prix du concours Antonio Cesti à Innsbruck, 2015) dont la rondeur de timbre (Qui sedes ad dextram Patris) et l’égalité sur le registre (Agnus Dei) sont stupéfiants … et bouleversants. Les deux soprani Pauline Feracci et Heater Newhouse dévoilent une complémentarité et ductilité appréciables dans leur duo (Christe eleison), puis une clarté des aigus pour la première (Et in unum Dominum), un riche timbre pour la seconde (Laudamus te). Le ténor Sebastian Monti dont la voix est plus lyrique (Domine Deus) fait montre d’une écoute aiguisée de sa partenaire flûtiste dans le touchant Benedictus. Quant à la basse Olivier Déjean (sorti de l’Opéra-studio du Rhin, puis de l’Académie de l’Opéra-Comique ), sa ligne chantante sur le large ambitus d’Et in spiritum sanctum fait merveille.
On sait que Beethoven, auteur de la prodigieuse Missa Solemnis (1827), s’était procuré au préalable une copie de la Messe en si mineur à Vienne, copie précédemment possédée … par Joseph Haydn. De nos jours, quels profits pourraient tirer les compositeurs de ce legs de J.-S. Bach ? Ce qui est d’ores et déjà perceptible, c’est la ferveur des auditeurs et des musiciens lors de cette prestation montpellieraine !
Ensemble Arianna, chœur Ars Vocalis, Marie-Paule Nounou dir.
Pauline Feracci, soprano
Heather Newhouse, soprano
Anthea Pichanick, alto
Sebastian Monti, ténor
Olivier Déjean, basse
Messe en si mineur BWV 232 de Johann Sebastian Bach
Basilique Notre-Dame-des-Tables, Montpellier, concert du dimanche 22 mai 2022.