Voilà un concert qui aura permis de rappeler le jalon important que constitue La Vestale dans l’histoire de l’Opéra. Pour être parfaitement honnête et objectif, il nous faut dire que l’œuvre est inégale : le premier acte met du temps à prendre son envol, et des pages hautement inspirées en côtoient d’autres beaucoup plus plates… Mais l’œuvre se situe au carrefour de différentes esthétiques, différentes écoles, et elle fascine par les liens qu’elle tisse avec plusieurs compositeurs (allemands, italiens, français) : l’orchestre prend parfois des allures beethoveniennes, rappelle Gluck ou annonce Berlioz, voire Rossini (le finale du deuxième acte, ou encore les « Chœur et marche funèbre » du 3e acte, préfigurant curieusement le chœur « Infelice, sventurata ! » par lequel s’ouvre le finale de La Gazza ladra). Christophe Rousset, à la tête de Talens lyriques vifs et nerveux mais aussi d’un Vlaams Radiokoor remarquable de précision et de musicalité, souligne parfaitement les filiations passées et à venir de la partition, et insuffle à la Tragédie lyrique un souffle certain qui permet à l’œuvre de constamment avancer dramatiquement, même dans le cadre d’une version de concert – et en dépit de relatives chutes de tension ici ou là dans la partition.
La distribution réunie par le Palazzetto Bru Zane est de premier plan. Le Grand Pontife et la Grande Vestale sont ainsi de vrais personnages et non de simples silhouettes secondaires. On reprochera juste à Nicolas Courjal une tendance à accentuer un peu brutalement les attaques de ses phrases, sans doute dans le souci de conférer au personnage du Grand Pontife l’ascendant, la puissance qui lui échoient. Cet artifice ne nous semble guère nécessaire : la voix de la basse française dispose d’un appui et d’une projection suffisants pour asseoir par elle-même toute l’autorité du personnage. Quant à Aude Extrémo, son timbre atypique, aux couleurs très personnelles, convient au personnage de la Grande Vestale dont la personnalité doit trancher sur celle de la douce Julia, et lui permet de rendre justice aux lignes dramatiques et torturées de « L’amour est un monstre barbare » comme à son soudain accès de tendresse au dernier acte (« Ah! je le sens, pour toi j’ai le cœur d’une mère »). Beau Cinna de Tassis Christoyannis, en dépit d’une projection parfois un peu limitée : le baryton grec choisit judicieusement de privilégier la tendresse du personnage plutôt que son côté héroïque.
Stanislas de Barbeyrac met un peu de temps à trouver sa place (il faut dire que le premier acte n’est pas celui qui met le mieux en valeur le rôle de Licinius). Mais dès le deuxième acte, le ténor français impose sa présence et dessine un personnage crédible et convaincant dans son héroïsme comme dans l’expression de sa tendresse ou de son désespoir amoureux (très émouvant « Non, non, je vis encore » au troisième acte)… Marina Rebeka, enfin, remporte un triomphe auprès du public. Il n’est pas aisé, dans ce rôle, de trouver le juste équilibre entre la sobriété classique (qui ne doit pas devenir froideur) et le lyrisme (qui doit être contenu dans de justes proportions). Marina Rebeka y parvient : préservant le galbe néo-classique des longues phrases de « Toi que j’implore avec effroi », elle se lance avec véhémence dans la cabalette « Impitoyables dieux ! » (prise à un rythme vertigineux par Christophe Rousset !), et surtout propose un phrasé quasi callasien pour le cantabile de « Ô, des infortunés » et de l’émouvant « Toi que je laisse sur la terre » du troisième acte, conférant à ces deux pages particulièrement inspirées une très belle émotion.
Un concert accueilli extrêmement favorablement par le public, dont on pourra prolonger le plaisir avec l’enregistrement que le Palazzetto Bru Zane ne manquera pas de faire paraître prochainement…
Julia : Marina Rebeka
Licinius : Stanislas de Barbeyrac
Cinna : Tassis Christoyannis
La Grande Vestale : Aude Extrémo
Le Grand Pontife : Nicolas Courjal
Un Consul, le Chef des Aruspices : David Witczak
Christophe Rousset | direction
Les Talens Lyriques, Chœur de la Radio flamande, dir. Christophe Rousset
La Vestale
Tragédie lyrique en 3 actes de Gaspare Spontini, livret d’Etienne de Jouy, créée le 15 décembre 1807 à Paris.
Concert du mercredi 22 juin 2022, Théâtre des Champs-Élysées (Paris).