Serse Arianna Vendittelli
Arsamene Marina De Liso
Amastre Delphine Galou
Ariodate Luigi De Donato
Romilda Monica Piccinini
Atalanta Francesca Aspromonte
Elviro Biagio Pizzuti
Accademia Bizantina, dir. Ottavio Dantone
Serse (HMV 40)
Opera seria en trois actes de Georg Friedrich Haendel, livret anonyme d’après Nicolo Minato. Créé au King’s Theatre à Londres le 15 avril 1738.
Enregistrement live au Teatro Municipale Romolo Valli, Reggio Emilia, 29 et 31 mars 2019
Deux CD, HDBsonus
Trois ans après l’avoir capté à l’occasion d’une série de représentations au Teatro Municipale de Reggio Emilia, le label HDBsonus commercialise enfin un Serse haendélien où la théâtralité le dispute à la virtuosité. Enthousiasmant.
L’arbre qui cache la forêt
Parmi tout le volumineux catalogue d’opéras composés par Haendel, Serse est probablement celui auquel la discographie a le plus fréquemment rendu hommage. Depuis 1979 et la première intégrale baroqueuse gravée pour Sony par Jean-Claude Malgloire, il ne s’est jamais écoulé plus de cinq ou six ans sans qu’une nouvelle gravure soit proposée aux oreilles des mélomanes, la dernière en date bénéficiant du prestigieux label Deutsche Grammophon en 2018.
Le succès de cette partition lui est de longue date assuré par la mélodie qui ouvre le premier acte et qui rend hommage à l’arbre le plus fêté de toute l’histoire de l’opéra ! Rebaptisé « Largo de Haendel » par nos grands-mères, l’aria « Ombra mai fu » ne saurait cependant à lui seul résumer toutes les beautés de cet opéra, l’un des derniers composés par le Caro Sassone pour la scène londonienne en 1738. La quarantaine d’airs qui s’enchainent au fil des trois actes parcourent en effet tout l’éventail des passions humaines et offrent un condensé de l’art de Haendel, les péripéties alambiquées des amours du roi de Perse Xerxès (Serse) se trouvant reléguées au second plan.
L’opera seria du premier settecento court souvent le risque de virer au catalogue de numéros chantés les uns à la suite des autres, chaque chanteur se préoccupant d’abord de produire du beau son au détriment de la crédibilité de la dramaturgie. C’est précisément l’écueil que ce nouvel enregistrement parvient à éviter grâce à l’engagement théâtral que le maestro Ottavio Dantone insuffle aux musiciens de l’Accademia bizantina. Capté en « live », cette exécution de Serse donne à entendre un orchestre aux cordes tantôt soyeuses, tantôt rugueuses, parfaite synthèse des acquis musicologiques des baroqueux depuis maintenant quatre décennies. Dès l’ouverture, les pupitres de violons, de violoncelles et de contrebasses obéissent à la baguette d’Ottavio Dantone avec souplesse et une pointe d’acidité qui, parfaitement dosée, fait tout le prix de cet enregistrement. La prise de son réalisée au plus près des instrumentistes permet ainsi de savourer la pâte orchestrale créée par le chef sans jamais ressentir le moindre déséquilibre avec les chanteurs.
Une jolie pépinière de voix
Alors que Deutsche Grammophon justifiait en 2018 d’inscrire un nouvel enregistrement de Serse à son catalogue par la présence du contre-ténor star Franco Fagioli, le label HDBsonus fait le choix d’un casting d’interprètes moins médiatiques mais tous rompus à l’authenticité du style haendélien que souhaite défendre Ottavio Dantone et son Accademia bizantina.
À rebours d’une habitude devenue quasiment la norme dès qu’il s’agit de composer la distribution d’un opéra du XVIIIe siècle, le Maestro Dantone fait ici le choix de ne retenir aucun contre-ténor, haute-contre ni sopraniste et affiche crânement la volonté de confier l’ensemble des rôles aigus à des voix féminines. Ainsi le rôle de Serse échoit-il à la soprano romaine Arianna Vendittelli dont la gageure n’est rien moins que d’endosser un personnage créé en 1738 par le légendaire castrat Caffarelli ! Si une voix féminine parait d’abord iconoclaste dans l’aria « Ombra mai fu » abordée avec des tempi très alanguis, le timbre charnu et corsé de l’interprète a vite raison de toutes ces préventions. La dizaine d’airs du personnage de Serse permet à Arianna Vendittelli de démontrer une palette de talents très large. Dans « Di tacere e di schernirmi », elle sait donner à sa voix des accents virils sans altérer la qualité de la ligne de chant et démontre dans « Più che penso » son aisance à passer d’une extrémité à l’autre de l’ambitus. Incontournable du savoir-faire haendélien, « Se bramate d’amar chi vi sdegna » est la grande aria di furor de Serse qui permet à Arianna Vendittelli de faire étalage d’impressionnantes vocalises crescendo tandis que l’ariette « Per rendermi beato » à l’écriture très ornée finit de convaincre que son timbre est idéalement calibré pour ce rôle.
Dans le rôle de Romilda, la soprano Monica Piccinini n’est pas moins légitime. Dès sa première aria « O voi che penate », on est séduit par un timbre ample et des aigus percutants. Dans le récitatif accompagné « L’amero ? Non fia vero », l’artiste se fait tragédienne et déclame avec expressivité avant de se rire des chausse-trapes de « E gelosia, quella tiranna ». Orchestré a minima pour ne faire dialoguer que le continuo et la voix, « Val più contento core » sert d’écrin à Monica Piccinini dont la voix, rendue à la simplicité, touche au cœur.
Marina De Liso met son timbre de mezzo-soprano au service du personnage d’Arsamene, le frère du roi Serse. Si le velours de la voix séduit d’abord dans l’aria « Meglio in voi col mio partire », quelques aigreurs apparaissent dans « Non so, se sia la speme » tandis que dans « Amor, tiranno amor », l’interprète rencontre des difficultés à trouver l’émotion juste.
Seule artiste française dans un casting presqu’exclusivement transalpin, la contralto Delphine Galou démontre dans le personnage d’Amastre que le beau chant n’est pas seulement affaire d’italianité. Dans l’aria « Saprà delle mie offese », les vocalises coulent de source mais la voix reste contenue dans les joues et manque singulièrement de projection. Dès « Or che siete speranze tradite », la jeune parisienne retrouve cependant une belle autorité d’accent et la voix est dès lors mieux délivrée.
La distribution féminine est enfin complétée par Francesca Aspromonte dont le soprano est mis au service de l’interprétation du rôle d’Atalanta. En seulement cinq airs, elle démontre des talents de musicienne hors pair, le luxe du timbre se doublant d’une belle autorité dans « Dirà, che amor per me ».
Deux voix masculines complètent enfin le casting de ce Serse. Au personnage d’Elviro, Biagio Pizzuti prête son timbre de baryton aux graves profonds et sonores. Dans l’aria très brève « Signor, signor, lasciate far a me », il se montre impeccable de style avant que dans « Ah ! Chi voler fiora » il laisse transparaitre un joli tempérament de comédien baroque. Dans un rôle encore plus court, Luigi De Donato compose un Ariodate proche de l’idéal. Le personnage n’a que deux airs à interpréter mais la basse italienne y donne à apprécier un timbre somptueux et étonnement souple dans l’art ô combien baroque des ornements.
Tout amateur d’opéra baroque en général et de Haendel en particulier pourra de confiance faire l’acquisition de cette nouvelle intégrale de Serse. Si la version enregistrée en 2004 par William Christie avec ses musiciens des Arts florissants et Anne Sofie von Otter n’est pas près d’être détrônée du sommet de la discographie, le travail d’Ottavio Dantone, de l’Accademia Bizantina et de ses interprètes a de quoi séduire l’amateur de musique vivante.