Le festival musical et gourmand des Nocturnes Sainte-Victoire (au pied de la montagne peinte par Cézanne) proposait le mardi 5 juillet 2022 La Bohème (1896) de Giacomo Puccini en version de concert piano et voix, dans la cour du Château des Remparts de Trets.
Paul Cézanne, La Montagne Sainte-Victoire vue de Bellevue (vers 1885)
Les Nocturnes Sainte-Victoire offrent, pour leur sixième édition, huit concerts de musique classique (avec un peu de jazz) selon la double formule qui attire beaucoup de public : des prestations en plein air et, pour commencer, de généreux et plantureux cocktails dînatoires. L’initiative est soutenue par les vins Terre de Mistral. Vacances, patrimoine, plaisirs gustatifs et excellence musicale : quelle formule magique ! Vision d’avenir aussi, bucolique et esthétique, qui s’étoffe de quatre concerts supplémentaires cette année.
Après les années Covid, le retour tant attendu de ce festival du début juillet, toujours d’un très bon niveau, implanté entre les villages de Trets et de Peynier, près d’Aix-en-Provence, permet de retrouver l’équipe de bénévoles et d’étudiants motivés, réunie autour de ses charismatiques organisateurs, Etienne Kippelen, maître de conférences à l’Université d’Aix-Marseille, et Alexandra Lescure, pianiste se produisant dans le monde entier. Leurs talents réunis s’expriment par ailleurs dans des concerts-lecture, aussi n’est-il pas étonnant de retrouver Etienne Kippelen dans le rôle de comédien-récitant pour narrer, sur scène, l’histoire de La Bohème.
Le public est aux anges ; le cadre est fort agréable : les nobles pierres du Château sont caressées par le vent rafraîchissant de la nuit tombante ; les cigales s’apaisent et les étoiles pointent. Dans cette version de concert, pour piano et voix, des extraits de l’opéra : air, duos, trios, quatuors entraînent l’auditeur dans des musiques bien connues. La Bohème raconte, de façon réaliste, la vie de quelques étudiants du Quartier Latin à Paris dans les années 1830. D’une grande pauvreté mais heureux d’être ensemble, le poète Rodolfo et la couturière Mimi tombent amoureux. Il formeront un couple sérieux, au destin tragique. Le peintre Marcello et sa maîtresse, la chanteuse Musetta, forment quant à eux un couple plus joyeux. Les premiers finissent par rompre et en sont fort contrits ; Mimi contracte même une maladie qui est certainement la tuberculose et décline peu à peu ; elle finit par expirer entre les bras de Rodolfo.
Donner un concert lyrique n’empêche pas de proposer des idées de mise en scène : l’équilibre entre prestation de concert et animation théâtralisée est réussi ; cela dit, il existe un certain hiatus entre les hommes, en costume ordinaire de concert, que l’on peut prendre pour des étudiants de l’époque, et les femmes aux robes resplendissantes voire festives (telle la lumineuse robe à strass de Musetta).
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Sans conteste, l’ensemble des chanteurs est d’un niveau tout à fait honorable ; une mention spéciale pour la soprano Jennifer Michel qui incarne Mimi, rôle pris au pied levé. Sa voix ample et juste, chaude, colorée, serait, dans le contexte gastronomique des Nocturnes – pour oser une comparaison avec les plaisirs de la table – un Pouilly-Fuissé grand cru. Le ténor Pierre-Emmanuel Roubel, en Rodolfo, possède une jolie voix assez légère, fort éloignée de la puissance d’un Luciano Pavarotti ou d’un Roberto Alagna dans le même rôle, avec des aigus parfois un peu faibles. Son jeu et son énergie ont séduit le public. L’analogie œnologique serait ici un Beaujolais nouveau de haute tenue.
Le bouillonnant baryton Thibaut Desplantes incarne un Marcello haut en couleur, avec une certaine puissance vocale et une envie communicative de jouer la comédie. Pour poursuivre la comparaison, ce serait un Bandol Domaine Tempier. Aurélie Ligerot, en Musetta, arrive un peu plus tard et déploie progressivement ses ressources vocales. La soprano lyrique possède un grain de voix particulier, servi par une superbe technique, une puissance et une diction captivantes. Sa prestation révélant un fort en caractère rappelle le Puligny-Montrachet, frais et floral.
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La pianiste Françoise Larrat assure vaillamment l’accompagnement, mais a du mal à trouver l’amplitude nécessaire pour soutenir les voix, peut-être à cause d’un piano au volume un peu faible, disposé d’ailleurs légèrement de dos ; surtout parce que cette musique s’accorde mal d’une réduction. Les harmonies assez simples réclament l’enveloppe sostenuto des cordes pour donner chair à la plénitude vocale. D’autant plus que les voix sont amplifiées par des haut-parleurs, ce qui, bien sûr, est très contrariant pour un concert classique, exaltant l’authentique splendeur des sonorités acoustiques : le prétexte du plein air n’est pas recevable puisqu’il s’agit de la cour d’un château devant un public relativement peu nombreux.
Malgré ces détails, la délicieuse et poignante musique de Puccini, en particulier le finale, interprétée avec autant de générosité et de classe, dans un cadre idéal, a ravi le public qui, malgré lui et bien discrètement, n’a pu s’empêcher de fredonner les mélodies et, s’ébahissant devant tant de talents, a chaudement applaudi les valeureux musiciens.
Mimi : Jennifer Michel
Musetta : Aurélie Ligerot
Rodolfo : Pierre-Emmanuel Roubel
Marcello : Thibaut Desplantes
Françoise Larrat – piano
Extraits de La Bohème
Opéra en quatre tableaux de Giacomo Puccini, livret de Giacosa et Illica (d’après Henri Murger) créé le 1er février 1896 au Teatro Regio de Turin.
Concert du 05 juillet 2022, Château des Remparts, Trets.