C’est la dernière semaine du Festival d’Aix-en-Provence, placé cette année sous le signe de la résurrection. La direction nous propose la version remaniée par Berlioz de l’Orphée et Eurydice de Gluck en version de concert au Grand Théâtre de Provence. L’orchestre et les chœurs Pygmalion occupent la scène (50 musiciens, 30 choristes), nous permettant d’admirer les instruments anciens des vents, cors et trompettes naturels, flûtes, hautbois et clarinettes en bois sans clétage, aux sonorités douces proches de la flûte à bec. L’Ensemble Pygmalion est placé sous la direction de son chef Raphaël Pichon qui revisite la version de Berlioz. Celui-ci n’appréciait pas du tout l’ouverture qu’il trouvait d’une « incroyable niaiserie » (!). Raphaël Pichon, en chef d’orchestre spécialisé dans la musique baroque, aime aller aux origines des choses et utilise la recherche musicologique tant pour nourrir ses interprétations que pour appuyer ses choix musicaux. Il décide donc de remplacer l’ouverture décriée par Berlioz par un prélude de la main de Gluck, retrouvé au dos de la partition originale, son caractère plus tragique et sombre convenant mieux au sujet de l’œuvre. Ce prélude a pour caractéristique d’intégrer le chœur. Ce même chœur sera repris en guise de fin de l’ouvrage après le fameux air d’Orphée « J’ai perdu mon Eurydice ».
Dans sa première version, Orphée et Eurydice est un opéra en trois actes avec une fin heureuse (lieto fine) chanté en italien : après le retournement d’Orphée et la mort une deuxième fois d’Eurydice, l’Amour, touchée par le désespoir d’Orphée qui veut mettre fin à ses jours, ressuscite à nouveau Eurydice. Dans la représentation de ce soir, le deuxième tableau de l’acte deux devient l’acte trois. Il y a donc quatre actes qui s’enchaînent sans entracte mais avec des effets de mise en espace (déplacements du chœur, entrées et sorties des artistes). Il n’y aura pas de lieto fine, conformément au goût français pour la tragédie, mais une simple reprise du prélude initial.
L’interprétation tout en finesse et en contrastes de Raphaël Pichon souligne la richesse harmonique de la musique et sa dramaturgie. L’abandon par Gluck des récitatifs secco, à présent accompagnés par tout l’orchestre, permet une plus grande expression des sentiments ; on parle véritablement en chantant, d’une manière très naturelle, ce qui charma le public du XVIIIe siècle et ouvrit la voie à l’opéra romantique. Le chœur Pygmalion se distingue particulièrement dans la scène des Furies de l’acte deux avec des couleurs remarquables et différentes pour chaque intervention en réponse au chant d’Orphée, lui-même accompagné de la harpe, qui tente de les amadouer.
La jeune mezzo-soprano canadienne Emily d’Angelo, récemment très applaudie en Siebel dans Faust à l’Opéra Bastille, fait ses débuts au Festival d’Aix dans le rôle-titre en travesti. De grande taille, les cheveux coupés courts et en pantalon noir, l’illusion est parfaite, sans pour autant négliger la féminité qui donne au rôle toute sa subtilité. Le tout servi par une voix puissante, au très large ambitus et aux couleurs riches se déployant avec une grande homogénéité tant dans le grave que dans l’aigu. Sa diction claire rend superflu le surtitrage, d’autant que ses partenaires sont francophones. La souplesse de ses vocalises met en valeur une technique impeccable et l’expressivité de son visage sert à merveille le personnage dans toute ses facettes. Le public ne s’y trompe pas, lui réservant une ovation. Une belle découverte !
Le rôle d’Eurydice est tenu par la soprano colorature Sabine Devieilhe, habituée du festival, qui souffre, ce soir-là, d’une laryngite. Cependant, sa technique vocale et son talent sont tels qu’il est impossible de s’en rendre compte et que sa prestation est en tous points conforme à ce que l’on pouvait attendre : juste, musicale, efficace dans son interprétation d’une Eurydice désespérée de la froideur que lui témoigne son époux. Le public a toujours le plus grand plaisir à écouter Sabine Devieilhe.
Quant au troisième personnage, l’Amour, son rôle ce soir se limite à l’annonce du premier acte autorisant Orphée à descendre aux Enfers pour tenter de ramener Eurydice, la scène finale où l’Amour ressuscite Eurydice ayant été supprimée. Une autre artiste bien connue du festival lui prête sa voix : la mezzo-soprano Léa Desandre, qui incarnait Cherubino dans la production des Nozze di Figaro donnée au théâtre de l’Archevêché l’an passé. Drapée dans une splendide robe rouge comme l’amour, la jeune cantatrice nous a charmés par la subtilité de son interprétation, maniant émotion et virtuosité, variant les couleurs et les dynamiques, soutenue par un orchestre très présent. Une mention spéciale à la première flûte dont le magnifique solo joué dans le noir est particulièrement salué par un public enthousiaste.
La soirée se termine sous les applaudissements et les cris de spectateurs heureux de réentendre un ouvrage dont chaque air est un tube, et qui fit de son auteur l’un des rares compositeurs de son époque joués très régulièrement tout au long du XIXe siècle avant la redécouverte des maîtres du Baroque.
Photo Laure Chauvris
Orphée : Emily d’Angelo
Eurydice : Sabine Devieilhe
L’Amour : Léa Desandre
Chœur et orchestre Pygmalion, dir. Raphaël Pichon
Orphée et Eurydice
Opéra en quatre actes de Christoph Willibald Gluck, livret de Pierre-Louis Moline d’après Ranieri de’Calzabigi.
Version remaniée par Hector Berlioz d’Orphée et Eurydice (Paris, 1774) s’inspirant d’Orfeo ed Euridice (Vienne, 1762), créé le 19 novembre 1859 au Théâtre-Lyrique
Festival d’Aix-en-Provence, représentation du jeudi 21 juillet 2022 (version de concert)
1 commentaire
Pourquoi les instrumentistes sont-ils si rarement nommés par les critiques? Les noms des musiciens de l’orchestre se trouvent toujours dans le livret du programme. Dans ce cas la flûtiste était Georgia Browne.