En nous rendant au spectacle Brahms le Tzigane proposé par l’Opéra de Rennes, nous savions que assisterions à un concert de qualité : les mérites du chœur de chambre Mélisme(s) ne sont plus à prouver, et nous connaissons bien l’excellent travail de Gildas Pungier et des ses choristes, leurs qualités de rigueur, de précision, leur musicalité sans faille. Une fois encore il faut louer la grande homogénéité des voix au sein de chaque pupitre, et l’admirable capacité des treize chanteurs réunis ce soir à s’écouter, se répondre ou faire fusionner leurs voix. Par ailleurs, le programme du concert, tel qu’on le lit sur le papier, présente une belle idée : il s’agit de toute évidence de mettre en perspective certaines compositions de Brahms avec des pages de musique tzigane qui les ont possiblement inspirées, et ce grâce à la participation du Bankal Trio, spécialisé dans la musique des Balkans.
Mais au cours du concert, on s’aperçoit qu’il s’agit de bien plus que cela. Là où l’on s’attendait à une juxtaposition plus ou moins didactique de pages de musique « savante » et de musique « populaire », on découvre un étonnant dialogue entre tous les musiciens, une véritable fusion entre les différentes musiques et esthétiques, sans que jamais l’une d’entre elles prenne le pas sur l’autre. Tout a été admirablement pensé dans la conception du concert : il ne s’agit absolument pas d’une succession mécanique de pages brahmsiennes accompagnées au piano (bravo à Colette Diard pour son jeu subtil, à la fois discret et présent) et de pages instrumentales populaires jouées par la clarinette, l’accordéon et la contrebasse, au cours de laquelle on s’étonnerait de certaines convergences rythmiques ou mélodiques. Le discours musical est au contraire quasi continu, les interventions instrumentales du trio préparant ou parachevant les mélodies brahmsiennes, et plus d’une fois l’accordéon, la contrebasse et la clarinette se joignent même au piano pour accompagner les choristes avec un naturel, une pertinence, une élégance confondants.
Dans ces conditions, on cesse très vite de chercher à identifier les mélodies que l’on entend : peu importe finalement qu’il s’agisse du « He, Zigeuner » ou du « Rote Rosenknospen » des Zigeunerlieder, du « O schöne Nacht » des Deutsche Volkslieder ou du « Von ewiger Liebe » des Vier Gesänge op. 43. Ne reste plus que la musique, qui émeut, transporte, charme, bouleverse, sans plus aucune distinction entre celle née de la plume d’un compositeur érudit et celle issue de l’imagination de musiciens du peuple. Une musique qui, en cette soirée, aura eu un impact physique étonnant – et très nettement visible – sur les spectateurs, qui battent la mesure, tapotent des doigts sur leur accoudoir, se balancent en rythme, frappent dans leurs mains… Gageons, si le concert avait eu lieu dans un espace ouvert, que certains d’entre eux auraient esquissé des pas de danse ! La complicité entre les musiciens du Bankal trio et les choristes de Mélisme(s) a également sauté aux yeux, les premiers écoutant avec une attention extrême le chant de leurs collègues, les seconds ayant beaucoup de mal à réfréner leur envie d’accompagner certains rythmes effrénés des musiques tziganes de mouvements de la tête, des bras ou des jambes !
Un moment rare de culture partagée, d’ouverture, de rencontres, au demeurant parfaitement en phase avec la politique actuelle de l’Opéra de Rennes. Au cours du spectacle, nous ne cessions de nous répéter : « Si seulement ce concert pouvait faire l’objet d’une captation… ». Or nous apprenons qu’un CD de ce programme va prochainement être gravé : ne le ratez pas !! (L’album devrait paraître à l’automne 2023). Et en attendant, n’hésitez pas à découvrir l’étonnant Bankal Trio grâce à son album Lorient Express !
Concert disponible sur la page Facebook de l’Opéra de Rennes !
Chœur de chambre Mélisme(s), dir. Gildas Pungier
Bankal Trio
Matthieu Langlet, clarinette
Nicolas Even, accordéon
Yves-Pol Ruelloux, contrebasse
Brahms le tzigane
Concert du vendredi 23 septembre 2022, Opéra de Rennes