Huit ans après la production de Lilo Baur, Lakmé revient à l’Opéra-Comique dans une production de haut vol portée par une Sabine Devieilhe mémorable dans le rôle-titre, un ensemble Pygmalion brillamment inattendu et la mise en scène justement poétique de Laurent Pelly.
Pour introduire sa saison, l’Opéra-Comique a choisi de renouer avec son grand classique du répertoire, Lakmé de Léo Délibès, dans une nouvelle production de Laurent Pelly.
Le metteur en scène prend le parti d’une poétique du dépouillement et de la limpidité. Le premier acte s’ouvre sur un décor composé de panneaux en papier disposés symétriquement, se mouvant et délimitant l’espace selon les besoins de l’intrigue. À l’Acte II, cette installation se lève et se transforme en un ciel nuageux, laissant apparaître un soleil à moitié voilé. La scène du marché fait ensuite surgir de chaque côté de la scène des étalages ouverts en accordéon, créant astucieusement des dédales de couloirs. Au dernier acte, le ciel se fait plus bas, l’action prenant place dans une cabane forestière. L’espace central est couvert de fleurs blanches éparpillées dans une atmosphère de solennité sacrée, le Chœur disposé de chaque côté, observant la tragédie des amants. La variété dans les costumes est également réduite à l’essentiel : tuniques blanches versus vêtements de style européen, installant d’emblée un manichéisme culturel. Tout est réduit à l’essentiel, donc, Laurent Pelly privilégiant l’onirisme subtil à un orientalisme ostentatoire. Apprécions la délicatesse de la légende de la Fille du Paria projetée sur un écran via le jeu du théâtre d’ombres, personnages et accessoires derrière la toile. Il faut souligner enfin les variations de lumières de Joël Adam, apportant nuances et amplitude à des décors et des habits principalement de couleur noir, blanche ou beige.
Dans le rôle-titre, Sabine Devieilhe montre plus que jamais une maîtrise totale du rôle et en offre une incarnation idéale. Par-delà un engagement théâtral notable et une diction parfaite, elle témoigne d’un contrôle de la voix à toute épreuve. D’un timbre toujours très clair, la soprano aborde les volutes sonores avec une grande souplesse, et arrache le frisson avec ces pianissimi diaphanes dans le suraigu dont elle a le secret, ou staccato dans l’Air de la clochette bravé avec panache. Le ton mirifique et à demi-teinte cultivé par la soprano sied à merveille au rôle. La performance est mémorable.
À ses côtés, le ténor Frédéric Antoun campe un Gérard avec le lyrisme et le caractère épris qui lui est attendu. La voix, mue par la passion, gagne en ampleur petit à petit pour faire iriser des aigus solaires et conquérants. Les passages en duo avec Lakmé sont particulièrement vibrants (« Tu m’as donné le plus beau rêve »).
Stéphane Degout offre une interprétation magistrale du père de Lakmé, Nilakantha, dont il incarne la double tendance imprégnant le personnage entre son instinct protecteur et vengeur. Les gestes amples, solennels et richement chorégraphiés du baryton s’associent à une voix puissante d’autorité, qui fait alterner le vrombissement des graves larges et sentencielles à l’évocation du meurtre, et des médiums plus chaleureux à celle de sa fille (« Ton doux regard se voile »).
Ambroisine Bré campe une Malika à la voix chatoyante et mordorée. L’alliage de son timbre avec celui de Sabine Devieilhe est d’une belle harmonie, notamment lors du Duo des fleurs. Retenons également les prestations de Philippe Estèphe, incarnant un Frédéric attentionné envers son ami avec des aigus francs et claironnants de soldat, mais aussi le trio Elisabeth Boudreault (Ellen), Marielou Jacquard (Rose) et Mireille Delunsch en Mistress Bentson, dont les interventions d’une grande qualité théâtrale contribuent au succès de l’ensemble, sans jamais tirer la voix vers des exagérations humoristiques. Sans oublier le fidèle Hadji de François Rougier dont l’émouvant dévouement à sa maîtresse est porté par des aigus au legato joliment tissé et aux nuances très appréciées.
Il faut enfin saluer la performance de l’Orchestre et du Chœur de Pygmalion dans un répertoire inattendu. Dès l’ouverture, Raphaël Pichon tire de la fosse un son généreux en cordes et bois, restituant tout le drame de la partition d’une verve passionnée et sensuelle contenue dans un raffinement constant. Le Chœur séduit quant à lui par sa grande homogénéité, aussi bien dans des attaques précises et bien ciselées (« À l’heure accoutumée ») qu’à travers un sens des nuances très appréciable, notamment dans la prière « Blanche Dourgâ ».
La salle réserve des applaudissements chaleureux à l’équipe artistique, les bravi fusant à l’apparition de Sabine Devieilhe et Stéphane Degout, duo star de cette soirée.
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Retrouvez les artistes de Lakmé en interview !
Pour l’interview de Sabine Devieilhe, cliquez ici ;
Pour l’interview de Frédéric Antoun, cliquez ici ;
Pour l’interview de Stéphane Degout, cliquez ici ;
Et pour le podcast de Stéphane Degout, c’est là !
Lakmé : Sabine Devieilhe
Malika : Ambroisine Bré
Ellen : Elisabeth Boudreault
Rose : Marielou Jacquard
Mistress Bentson : Mireille Delunsch
Gérald : Frédéric Antoun
Nilakantha : Stéphane Degout
Frédéric : Philippe Estèphe
Hadji : François Rougier
Chœur et orchestre Pygmalion, dir. Raphaël Pichon
Mise en scène et costumes : Laurent Pelly
Décors : Camille Dugas
Lumières : Joël Adam
Lakmé
Opéra en trois actes de Léo Delibes, livret d’Edmond Gondinet et Philippe Gille d’après le roman de Pierre Loti Rarahu ou le Mariage de Loti (1880) et inspiré des récits de voyage de Théodore Pavie, créé le à l’Opéra-Comique.
Représentation du vendredi 30 septembre 2022, Opéra Comique (Paris)
1 commentaire
merci! je reste toujours sans voix et sans mots pour exprimer le flot d’émotions qui me submergent quand j’assiste à un si magnifique spectacle! Votre compte-rendu me sauve de la noyade!!!